Première mesure-phare du nouveau gouvernement, le projet de loi créant les emplois d’avenir sera examiné en urgence à partir du 11 septembre au Parlement. L’exécutif veut aller vite et faire adopter ce texte emblématique du début de quinquennat fin septembre, pour voir les premiers contrats signés avant la fin de l’année. Présenté le 29 août en conseil des ministres (1), ce texte vise les jeunes de 16 à 25 ans pas ou peu qualifiés et très éloignés du monde du travail, en particulier dans les zones fortement touchées par le chômage. Ces emplois seront principalement créés dans le secteur non marchand pour des activités en développement et ayant une utilité sociale. Particulièrement visés, le secteur associatif, les collectivités locales et plus largement l’ensemble des organisations de l’économie sociale et solidaire (ESS) à but non lucratif. Après s’être étonnés de ne pas être mentionnés dans le texte, les réseaux de l’IAE (insertion par l’activité économique) ont obtenu la garantie que cet oubli serait réparé (voir ce numéro, page 7).
Dans l’ensemble, les acteurs de ce large champ d’activités saluent la démarche visant à mettre en place un dispositif destiné aux jeunes confrontés à des difficultés d’insertion professionnelle. Pour Bernard Cavat, directeur général de l’Association de prévention soins et insertion et secrétaire général du GNDA (Groupement national des directeurs généraux d’associations du secteur éducatif, social et médico-social), il paraît logique que les associations de solidarité, qui se réclament de l’intérêt général, participent à cet effort auprès des jeunes. Cet enthousiasme sur le principe se heurte pourtant à des interrogations et inquiétudes. Première d’entre elles, le public visé. Les structures du secteur associatif, souvent fragilisées par des difficultés financières, seront-elles tentées d’embaucher un jeune en emploi d’avenir sur un poste destiné à une personne qualifiée, balayant les efforts réalisés en matière de professionnalisation ? Rien ne permet, en l’état initial du texte, d’écarter cet effet d’aubaine. A celui-ci s’ajoute le risque de favoriser le recrutement de jeunes compétents assez proches du monde du travail. C’est ce qui s’est produit avec les emplois-jeunes en 1997, dispositif qui a majoritairement bénéficié aux jeunes diplômés (voir notre « Rencontre », ce numéro, page 36). Pour Pierre Savignat, maître de conférences associé à l’université de Grenoble, il est indispensable « de bien définir ce qu’on entend par “peu qualifié” et d’organiser un cadre assez contraignant avec, par exemple, un système de contrôle par Pôle emploi, pour éviter tout risque d’effet d’aubaine et de substitution ».
Le gouvernement a choisi de cibler principalement le secteur de l’économie sociale et solidaire pour accueillir ces jeunes, en raison du gisement d’emplois qu’il représente. Mais, au sein de ce champ, le secteur social et médico-social a-t-il vocation à recruter des personnes éloignées de l’emploi ? « Demander à des associations sous pression financière depuis plusieurs années d’accueillir des jeunes sans qualification pour faire un travail complexe d’accompagnement de personnes fragiles, cela pose la question de la vision qu’a le gouvernement du travail social », analyse François Vercoutère, délégué général de la Fédération des centres sociaux. Pour Pierre Savignat, c’est une erreur : « Le ciblage sur certains secteurs est ambigu : ces champs d’activité sont des gisements d’emplois pour des personnes qualifiées, non pour des personnes sans diplôme. » Sur les 70 métiers recensés dans l’ESS, seuls cinq ne requièrent aucune qualification et 13 exigent le niveau CAP ou BEP. Aussi l’Usgeres (Union de syndicats et groupements d’employeurs représentatifs dans l’économie sociale) veut-elle ouvrir le dispositif jusqu’aux qualification de niveau III, du fait des besoins de recrutement du secteur. Elle demande aussi que les emplois d’avenir soient accessibles jusqu’à 30 ans. Il faudrait ouvrir ce dispositif et « ne pas raisonner en termes de secteur mais de types d’emplois qui permettent un vrai parcours professionnel, comme par exemple les métiers d’entretien ou de cuisine », ajoute Pierre Savignat. Jean-Patrick Gille, député (PS) d’Indre-et-Loire et président de l’Union nationale des missions locales (UNML), confirme que le profil des jeunes ciblés devrait être un sujet majeur de débat à l’Assemblée nationale : « Il faut accepter l’idée que, dans des quartiers où le taux de chômage avoisine les 50 %, des jeunes qualifiés puissent bénéficier du dispositif. Plus la zone est en difficulté, plus le système doit être souple », défend le parlementaire.
Autre point noir du dispositif : l’accompagnement du jeune et sa formation. Ces contrats se calquent sur le cadre juridique du contrat unique d’insertion, « ce qui est une bonne chose, car cela évite de réinventer la roue », juge Nicolas Clément, directeur général de l’Uniopss. Pour autant, leurs modalités de mise en œuvre pour favoriser l’insertion des jeunes sont jugées encore floues. « Il est difficile de faire le bilan des actions de formation des contrats uniques d’insertion. Puisque la durée des emplois d’avenir est plus longue, profitons-en pour faire un meilleur suivi », fait valoir Sophie Alary, responsable Vie fédérale et partenariats à la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale), qui évalue à un millier le nombre de salariés susceptibles d’être accueillis en emploi d’avenir au sein de son réseau (850 associations).
Pour l’Usgeres, la formation doit se mettre en place dès le début du contrat à travers un mode d’alternance et faire l’objet d’un financement spécifique. Elle propose que des enveloppes dédiées issues du Fond paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) financent ces actions. Dans la même idée, le collectif des réseaux de l’IAE (2), qui a formulé une série de propositions d’amendements, attend que le FPSPP exerce, au-delà, une mission d’appui et de conseil auprès des employeurs. Pour obliger ces derniers à mettre en œuvre les actions nécessaires à la qualification, le collectif aimerait que les contrats puissent être initialement signés pour une durée de six mois (au lieu de un an) renouvelables dans la limite de 36 mois, ce renouvellement étant lié au respect des engagements des employeurs. Une suggestion qui se heurte néanmoins au risque de « précariser » les contrats…
Pour Bernard Cavat, le dispositif représente, par ailleurs, une opportunité pour le secteur de créer des modules de formation adaptés au public jeune sans qualification. « Pour que ces emplois d’avenir ne se développent pas au détriment de la professionnalisation, nous devons imaginer des dispositifs de formation qui permettent la pérennisation de l’emploi. Cela demande à la branche des secteurs social et médico-social de s’organiser fermement pour répondre à l’invitation du gouvernement ! » De son côté, François Vercoutère imagine la mise en place d’une démarche collective sur un territoire ou sur un type d’emploi : « Des employeurs pourraient se réunir pour assumer collectivement la formation d’une cohorte de jeunes sur un type de métiers par exemple. » Les comités stratégiques de pilotage à l’échelle territoriale prévus dans le projet de loi pourraient faire émerger de telles initiatives.
Tous les acteurs du secteur insistent également pour que la loi organise l’accompagnement du jeune. Lequel ne doit pas se limiter à son insertion professionnelle, mais doit prendre en compte toutes ses difficultés, insiste le collectif des réseaux de l’IAE. L’Usgeres propose qu’un tutorat obligatoire assorti d’une aide financière spécifique soient imposés.
Particulièrement ciblé par ces nouveaux emplois, le secteur de l’aide à domicile ne cache pas son scepticisme. Au vu de la crise qu’il traverse, les associations restent dubitatives quant à l’opportunité d’embaucher des jeunes en contrats d’avenir. « Après avoir poussé à la professionnalisation, les conseils généraux nous disent qu’ils n’ont plus les moyens de financer les postes qualifiés. La tentation risque d’être grande d’imposer l’embauche de salariés en contrat d’avenir, ce qui serait quasi indolore pour les finances départementales », craint Guy Fontaine, secrétaire général de la Fnaapf-CSF (Fédération nationale des associations de l’aide familiale populaire-Confédération syndicale des familles).
« Ras-le-bol qu’on estime que l’aide aux personnes âgées est un gisement d’emplois de personnes non qualifiées ! Ce dispositif va à l’encontre de tous les efforts réalisés ces dernières années sur la professionnalisation du secteur ! », s’étrangle Bernard Ennuyer, sociologue et ancien directeur d’un service d’aide à domicile. De son côté, Yves Verollet, directeur général de l’UNA, rappelle que seuls 7,5 % des salariés du réseau ont moins de 26 ans et que le recrutement des jeunes est, d’une façon générale, difficile dans ce secteur peu attractif. « Les emplois d’avenir ne constituent pas en soi une réponse satisfaisante aux problèmes récurrents de recrutement pour les métiers du domicile », martèle la Fédération Adessa A Domicile. Et de proposer a minima que les conseillers de Pôle emploi soient sensibilisés aux métiers du domicile – qui demandent des compétences relationnelles importantes – et que seuls les jeunes de plus de 18 ans soient concernés. Petit bémol, si les jeunes pourront difficilement être recrutés sur des emplois d’avenir pour les interventions auprès des personnes âgées dépendantes ou des familles en difficultés, les organisations pensent toutefois pouvoir embaucher ces jeunes pour des prestations de confort (ménages, petits travaux).
Quid, enfin, des interférences avec les autres contrats aidés, le risque étant d’aboutir à un empilement des dispositifs et à des contrats à plusieurs vitesses au sein d’une même structure ? « 85 % de publics que nous accompagnons correspondent au profil des emplois d’avenir », explique Olivier Dupuis, secrétaire général du CNEI (Comité national des entreprises d’insertion). Pragmatique, l’organisme estime néanmoins avoir « la capacité d’intégrer 20 000 jeunes sur trois ans dans ce dispositif, sachant qu’il pourrait permettre de libérer des postes pour les autres contrats d’insertion ». Pour y parvenir, le CNEI réclame que l’aide octroyée au titre du contrat initiative emploi, qui concerne le secteur marchand – et donc les entreprises d’insertion –, soit portée à 75 %, comme dans le secteur non marchand. Cela pourrait justifier, à terme, de revaloriser l’aide au poste versée aux entreprises d’insertion, explique Olivier Dupuis. Pour les réseaux de l’IAE, l’enjeu est en effet de ne pas voir leurs revendications budgétaires sacrifiées sur l’autel du nouveau dispositif.
Pour sa part, Jean-Patrick Gille est « convaincu que, bien gérés, les emplois d’avenir peuvent se substituer aux contrats d’autonomie [3], dont, curieusement, le gouvernement n’a visiblement pas envie de se séparer ». Il estime en revanche que le nouveau dispositif « peut être l’une des sorties positives du contrat d’insertion dans la vie sociale (CIVIS) ». Dans une note du 9 juillet, la Fonda s’inquiétait que l’engagement en service civique (proposé aux jeunes de 16 à 25 ans pour l’accomplissement d’une mission d’intérêt général) soit remplacé par les contrats d’avenir. Au contraire, François Vercoutère voit une « belle complémentarité » entre les deux dispositifs, jugeant que, dans les centres sociaux, le service civique pourrait être une passerelle vers les emplois d’avenir.
Pour Jean-Patrick Gille, il est indéniable que les missions locales auront un rôle important à jouer dans les déclinaisons territoriales du dispositif. Aux côtés des régions, qui veulent devenir chefs de file dans le domaine de l’emploi et de la formation dans le cadre du prochain acte de la décentralisation. Reste enfin, pour éviter que cet énième dispositif soit un cautère sur une jambe de bois, à lancer une réflexion globale sur les politiques en faveur de la jeunesse, de l’éducation jusqu’à l’emploi.
(2) Composé de Chantier école, du CNEI (Comité national des entreprises d’insertion), du Coorace, de la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale), d’Emmaüs France, d’Envie, du Réseau Cocagne, de Tissons la solidarité et de l’UNAI (Union nationale des associations intermédiaires).
(3) Mis en œuvre en 2008 dans le cadre du plan « Espoir banlieue », ils visent l’accompagnement vers l’emploi et la qualification de jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville par des opérateurs publics ou privés de placement.