Les emplois-jeunes ont été créés en 1997 sous le gouvernement Jospin. Quel était leur objectif ?
Ouvert à tous uniquement sur condition d’âge, le programme « Nouveaux services – emplois-jeunes » ne se présentait pas comme un dispositif d’insertion professionnelle. Il visait en premier lieu à défricher des emplois adossés à de nouveaux services afin de créer les conditions de leur pérennisation. En second lieu, l’objectif était, bien sûr, de faire baisser le chômage des jeunes en agissant sur la file d’attente, notamment chez les jeunes qualifiés à la recherche d’un emploi. Le gouvernement visait au départ un total de 700 000 emplois, dont 350 000 dans le secteur non marchand et 350 000 dans le secteur marchand. Mais, très vite, le programme s’est réduit aux 350 000 emplois du secteur non marchand, car cela ne fonctionnait pas dans le monde de l’entreprise. Peut-être les représentants du patronat ont-ils été effrayés de devoir s’engager sur un nombre de créations de postes important. Mais dans la société, et notamment dans les entreprises, il n’existait pas alors – pas plus qu’aujourd’hui – de dynamique favorable sur la question du chômage des jeunes. C’était l’un des défauts intrinsèques du dispositif.
Ce programme a-t-il bénéficié aux jeunes les plus éloignés de l’emploi ?
Il n’a eu malheureusement que peu d’effet sur le chômage endémique des jeunes les moins qualifiés. Parmi les 350 000 emplois créés en cinq ans, un grand nombre l’ont été dans l’Education nationale sur des postes d’aides éducateurs recrutés au niveau du baccalauréat ou plus. De même, les associations ont plutôt fait appel à des jeunes diplômés pour leurs compétences techniques ou managériales. Restent les collectivités territoriales qui, elles, ont embauché un peu plus de jeunes non diplômés sur des emplois de catégorie C, notamment dans le secteur de la médiation sociale. L’Etat, lui, a aussi recruté des emplois-jeunes, en particulier des auxiliaires de sécurité au sein de la police nationale, faiblement diplômés. Mais globalement, sur l’ensemble du dispositif, les jeunes peu ou pas qualifiés ont été minoritaires.
Les emplois-jeunes ne se sont-ils pas substitués à des emplois qui auraient été créés de toute façon ?
L’effet d’aubaine est une critique souvent faite aux contrats aidés. Mais je ne crois pas que cela ait été le cas pour ce programme. Il faut se rappeler que la prise en charge par l’Etat était à hauteur de 80 % du SMIC. Les postes d’aides éducateurs auraient-ils été créés autrement dans l’Education nationale ? Probablement pas. Les auxiliaires de sécurité dans la police ? Non plus. Les emplois associatifs ? Certainement pas, la plus grande partie des associations n’ayant pas les moyens de créer d’emploi sans une aide publique massive. Dans les collectivités territoriales, c’est en revanche plus discutable, car elles auraient sans doute recruté les agents de catégorie C dont elles avaient besoin.
Quel regard portez-vous sur le bilan des emplois-jeunes ?
Il est plutôt positif, même s’il n’y a pas eu d’évaluation globale. Au total, on sait que 470 000 embauches ont été réalisées en cinq ans. Un an et demi après leur sortie du dispositif, 85 % des jeunes concernés étaient insérés professionnellement, dont 72 % en CDI. Dans le cadre de ma thèse sur les emplois-jeunes, j’ai suivi un certain nombre de bénéficiaires, diplômés en moyenne à bac + 2. La plupart reconnaissent que, dans la conjoncture de 1997, ce programme leur a ouvert les portes du marché du travail. D’autant que beaucoup d’entre eux se trouvaient sur des emplois qu’ils désiraient. Pour les moins diplômés, cela a parfois été l’opportunité d’intégrer la fonction publique territoriale puis, par la suite, d’accéder parfois à des emplois de catégorie B, voire A, par le jeu des formations et des concours. C’est un aspect des contrats aidés qu’il ne faut pas négliger. L’accompagnement et la formation ont d’ailleurs été des facteurs déterminants et les jeunes diplômés en ont souvent profité pour compléter leur formation initiale et gagner en compétences… En revanche, cette formation n’a pas toujours été présente pour les jeunes moins qualifiés.
Quelles différences entre les emplois-jeunes et les emplois d’avenir ?
Il s’agit d’emplois aidés dans les deux cas mais les deux programmes sont très différents. Dès le départ, les emplois-jeunes n’étaient pas un dispositif d’insertion professionnelle. Tels qu’ils sont présentés, les emplois d’avenir visent explicitement les jeunes peu ou pas qualifiés, âgés de 16 à 25 ans et vivant dans des zones urbaines sensibles ou dans des zones rurales en difficulté. Sans que cela soit dit clairement, il s’agit d’un dispositif d’insertion professionnelle fondé sur une logique de discrimination positive.
Qu’est-ce que cela change au pilotage du dispositif ?
L’ingénierie du programme va être déterminante, avec une première question incontournable : comment réaliser le « sourcing », c’est-à-dire la détection des jeunes concernés ? On va sans doute vouloir passer par les missions locales, ce qui paraît logique. Mais leur public actuel est, dans sa grande majorité, composé de jeunes diplômés de niveaux IV et V. Les jeunes sortis précocement du système scolaire savent d’expérience que les propositions les concernant sont extrêmement rares, y compris en mission locale. De plus, la déscolarisation est bien souvent une conséquence d’autres difficultés (familiales, sociales…). Les travailleurs sociaux le savent bien. Le fait même d’aller dans une mission locale, donc de s’inscrire dans une dynamique positive, n’est pas une démarche simple. En outre, le fossé est énorme entre ces jeunes peu ou pas qualifiés et les emplois d’utilité sociale ou appartenant à des filières d’avenir dont il est question. Il faudra attendre les décrets d’application, mais lorsqu’on parle des filières verte ou numérique ou encore du secteur social, on pense qualification. Or les jeunes dont on parle sont loin d’être en capacité de déployer immédiatement toutes les compétences nécessaires. On cible explicitement les 120 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme, et il va donc leur falloir parvenir, en seulement trois ans, à un niveau qui leur permette d’occuper ces emplois. La seconde question cruciale est celle de la formation. On ne peut imaginer recourir aux modèles de la formation classique qui ne fonctionnent pas pour ces jeunes en échec scolaire. Alors quelle formation concevoir ? Il y a là aussi un enjeu considérable en termes d’ingénierie et d’innovation pédagogiques. Ce sera un travail assez difficile à mener, et si cette population se révèle trop difficile à trouver et à accompagner, le risque est réel que, de manière insidieuse, on assiste à une montée du niveau des diplômes, au moins pour certains secteurs d’activité. Chaque préfecture aura son stock d’emplois d’avenir à créer, et ce sera la course pour atteindre l’objectif des 100 000 emplois dès 2013. Si c’est ce qui se produit, le modèle ne fonctionnera pas. Il faut donc partir du terrain, et surtout pas de manière descendante par les services de l’Etat.
Les emplois d’avenir, affirmez-vous, ne doivent être que le premier étage d’une véritable politique de l’emploi des jeunes…
La jeunesse est explicitement l’une des priorités du président de la République, et les emplois d’avenir ne doivent être que l’un des éléments d’une politique plus globale. Il ne faut pas oublier les titulaires d’un CAP ou d’un brevet d’Etat, les bacheliers, les diplômés du supérieur… Il me semble donc qu’il faut mener une réflexion globale, notamment en continuant à avancer sur le chantier de l’apprentissage et de l’alternance, qui doivent encore être évalués mais qui permettent à beaucoup de jeunes de se trouver dans des conditions de réussite. Il faut réfléchir aussi à ce fameux premier pas dans l’emploi, qui reste difficile pour les jeunes. Des solutions sont à mettre en œuvre pour faciliter leur entrée dans l’entreprise et dans l’emploi. Les études montrent qu’il faut en moyenne entre un et cinq ans avant de décrocher un contrat à durée indéterminée. C’est énorme ! Mais si, à côté de ces premières briques que sont les emplois d’avenir ou les contrats de génération, on n’en pose pas d’autres, ce dispositif sera détourné de son objectif initial pour essayer de lui faire faire un peu tout. Ce serait dommage, car avoir ciblé en priorité les jeunes les plus en difficulté est une décision risquée mais nécessaire.
Docteur en sociologie, Eric Molière a consacré sa thèse, en 2005, aux emplois-jeunes. Il est consultant en organisation et conditions de travail et chercheur associé au Largotec (Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne). Il intervient en outre dans deux masters : administration publique et gestion des collectivités territoriales, à l’UPEC, et cadres d’intervention en terrains sensibles, à Paris-Ouest Nanterre-La Défense.