Dans une décision du 19 juillet dernier, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a condamné la République française pour avoir manqué à son devoir de vigilance particulière visant à prévenir le suicide d’un prisonnier vulnérable. Elle a en effet estimé que le suicide en prison par pendaison d’un détenu polytoxicomane aurait pu être évité si des mesures spéciales avaient été mises en place et si les services psychiatriques avaient été alertés de l’aggravation préoccupante de l’état psychique du détenu.
Les faits sont les suivants : en juin 1998, un homme est incarcéré à la maison d’arrêt de la Santé (Paris), en application d’un mandat de dépôt du chef de violences avec arme sur la personne de sa concubine, et condamné un an plus tard à cinq ans de prison. Dès son incarcération, il reçoit l’aide d’un psychiatre du service médico-psychologique régional (SMPR) à raison d’une ou deux rencontres par mois. Après qu’il a passé deux séjours successifs en quartier disciplinaire, un psychiatre du SMPR observe qu’il va très mal et évoque « le passage à l’acte avec velléités suicidaires ». Un des médecins mentionne même par écrit que, selon les surveillants, il a tenté à deux reprises de se suicider. En dépit de ces constatations, le détenu est condamné à une nouvelle sanction de 15 jours en quartier disciplinaire pour avoir blessé un codétenu avec un verre cassé et insulté deux responsables pénitentiaires. Au bout du quatrième jour, il est retrouvé pendu sans vie à une grille du sas de sa cellule, à l’aide d’une ceinture en tissu.
Dans son arrêt, la CEDH juge que les autorités n’ont pas pris les mesures adéquates pour protéger la vie du détenu et ont imposé une sanction disciplinaire inadaptée à l’état psychique de ce dernier. Bien qu’elle constate que, dès son incarcération, l’intéressé a pu accéder à des médecins généralistes et spécialistes, la Cour observe ainsi « un certain nombre d’éléments en sens contraire ». D’abord, la décision de placement en cellule disciplinaire n’a été précédée ou accompagnée d’aucun avis particulier au service médical compétent et ce, en dépit de la recommandation R (98) 7 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe qui préconise que les risques de suicide soient appréciés en permanence par le personnel médical et pénitentiaire. Ensuite, la CEDH estime que la mention des deux tentatives de suicide du détenu, ses actes d’automutilation et son comportement à l’origine de la sanction disciplinaire auraient dû alerter les autorités sur la vulnérabilité de sa santé mentale. Et ne voit aucune raison justifiant l’absence, durant son séjour en quartier disciplinaire, de consultation du service de psychiatrie du SMPR, lequel était précisément en charge de son suivi. La Cour relève en outre que, les jours précédant son suicide, différents médecins de garde de l’unité de consultations et de soins ambulatoires l’ont examiné en quartier disciplinaire et constaté son mal-être, sans pour autant en informer le SMPR, ni faire intervenir un psychiatre extérieur.
Pour les juges, le comportement du détenu permettait tant aux autorités pénitentiaires qu’au personnel médical de constater son état critique, état que le placement en quartier disciplinaire n’a fait qu’aggraver. Et cela aurait dû, selon eux, les conduire à anticiper une attitude suicidaire, notamment en alertant les services psychiatriques, et à mettre en place des mesures spéciales, telles une surveillance appropriée ou encore une fouille régulière qui aurait permis de trouver la ceinture avec laquelle il s’est donné la mort.
Pour toutes ces raisons, la France a, selon la CEDH, violé les articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Et est condamnée à verser la somme de 40 000 € aux requérantes, les sœurs de la victime.