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Autonomie en campagne

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La ferme d’Escala est une unité de soins du service de pédopsychiatrie de l’hôpital de Lannemezan, dans les Hautes-Pyrénées, qui propose à 14 adolescents de 12 à 18 ans, autistes ou psychotiques, de s’occuper des animaux et du potager pour aller mieux et s’intégrer progressivement dans la vie sociale. Comme beaucoup d’autres structures, elle doit faire face à une baisse de ses moyens.

Lorsqu’ il est arrivé à la ferme d’Escala, une des 24 unités de pédopsychiatrie que compte le département des Hautes-Pyrénées, à 5 kilomètres de Lannemezan, Anthony, jeune autiste de 12 ans, avait très peur des poules. Quatre ans plus tard, il aime en prendre une sur son épaule et sait presque tout faire dans la ferme. « Il a compris que tout n’était pas dangereux », se réjouit Philippe Hébrard, éducateur technique à Escala depuis sept ans.

Rachetée par l’hôpital psychiatrique de Lannemezan dans les années 1980, la ferme d’Escala faisait partie d’un ancien orphelinat religieux. « Très avant-gardiste dans les expérimentations, l’hôpital cherchait alors à développer les petites structures hors les murs pour permettre aux enfants “déficitaires”, comme on disait à l’époque, d’être libres, en contact avec la nature plutôt que dans un grand internat avec peu d’activités », se souvient Thierry Demange, adjoint du chef de pôle de pédopsychiatrie au sein de l’hôpital depuis cinq ans, après y avoir été infirmier.

« Nous avons trois hectares, un verger avec des pommes, des cerises, deux potagers, deux poulaillers, des prés, des chevaux, des ânes, des moutons, des lapins et notre chien mascotte », décrit avec fierté Marie-Christine Musset, éducatrice spécialisée, à la ferme depuis 2005. Les jeunes accueillis ici ont entre 12 et 18 ans et souffrent d’autisme, de troubles envahissants du développement ou de « dysharmonie psychotique », comme le précise Jean-Marie Brossard, psychologue clinicien à la ferme depuis deux ans : « Ils peuvent avoir une discordance affective, des troubles du rapport à la réalité, de l’image du corps, du cours de la pensée, des délires, des difficultés à repérer les affects d’autrui, ou avoir une interprétation des événements qui n’est partagée par personne. Les conséquences sont des troubles du comportement et des difficultés d’apprentissage. »

Dans cet établissement sanitaire, sept places sont ouvertes en hospitalisation de jour et sept en internat de semaine. Les jeunes viennent des Hautes-Pyrénées et des départements voisins (Gers, Haute-Garonne et Pyrénées-Atlantiques). Les admissions se font par année scolaire. La plupart des jeunes sont déjà suivis en soins psychiatriques ou en médico-social (centre médico-psychologique ou hôpital de jour). Les candidatures sont examinées par le psychiatre, qui prescrit l’internat ou l’hôpital de jour, avec l’avis de l’équipe pluridisciplinaire. Le premier jour, le nouvel arrivant est accompagné par un adulte connu (éducateur ou infirmier de son accueil habituel) et passe par une période d’observation. Le plus souvent, l’accueil commence par l’hôpital de jour avant de se transformer éventuellement en internat pour travailler la séparation d’avec la famille. « Les parents sont inclus dans ce processus, souligne Marie Ozenne, infirmière et cadre de santé deux jours et demi par semaine depuis avril. Ils donnent leur accord pour le placement, visitent le lieu, sont informés du planning. » L’équipe, elle, comprend septinfirmiers, trois éducateurs, trois aides-soignants hospitaliers ainsi qu’un cadre de santé à mi-temps, un médecin psychiatre trois jours et demi par semaine, un psychologue un jour et demi et une assistante sociale à 0,2 équivalent temps plein.

Des progrès étonnants

Tous les matins, du lundi au vendredi, deux groupes d’enfants alternent une semaine sur deux pour assurer les soins aux animaux ou s’occuper du potager. Les groupes sont constitués de façon à favoriser les interactions positives et à éviter des tensions trop grandes entre les jeunes. « La ferme est totalement comprise dans le soin, explique Thierry Demange. Pour les enfants qui viennent ici, les animaux et le potager permettent d’obtenir des progrès spectaculaires ! » Il cite l’exemple de Nicolas, « arrivé totalement mutique, se cachant sous la table comme un petit animal apeuré », qui a pu, quelques années plus tard, partir vivre avec sa copine en foyer d’accueil médicalisé (FAM). « La ferme permet de leur apprendre à prendre soin d’autrui, pointe Katia Notz, médecin psychiatre ici depuis novembre 2010, chargée des admissions et de l’élaboration du projet de l’établissement. Pour ces enfants, la prise en compte de l’autre est problématique. Comprendre que l’autre a des besoins ne va pas de soi. Apporter un soin à un animal est le début de prendre soin de l’autre et de soi. »

Chaque matin, de 9 heures à 11 heures, le groupe chargé de la ferme lâche les poules, ramasse les œufs, nourrit les animaux, brosse les chevaux, caresse les agneaux… Parfois, ils sont amenés à donner le biberon à un agneau parce que sa mère ne veut pas le nourrir. « Une situation et un geste très forts pour eux », analyse Marie-Christine Musset. Au début, certains ont des appréhensions, n’osent pas s’approcher ou, au contraire, s’approchent trop près, avec des gestes brusques. Petit à petit, ils prennent confiance. « Les animaux nous servent de médiation, développe Baptiste Saves, éducateur spécialisé. Nous observons s’ils savent qu’il faut mettre le grain, l’eau, etc. S’ils arrivent à prendre en compte les besoins des bêtes, nous pouvons leur donner progressivement des responsabilités, ce qui les valorise. Certains arrivent à s’occuper seuls du poulailler et en sont très fiers. » Ces gestes simples du quotidien d’une ferme aident à mesurer le rapport à la réalité de ces enfants. Car, pour certains, comprendre pourquoi il faut nourrir un animal chaque jour n’est pas évident, même au bout de plusieurs mois.

La répétition au quotidien

Les enfants commencent l’atelier potager en allant se mettre en tenue. Tous se retrouvent dans une salle avec un tableau où est inscrit ce qui pousse à chaque saison et ce qu’il faut faire. Un cahier sert en outre à consigner le travail quotidien. « Il faut beaucoup répéter : pourquoi il faut acheter des graines, pourquoi arroser, pourquoi enlever les mauvaises herbes, etc. », raconte Karine Fétiveaud, infirmière à la ferme depuis 2004 et référente de l’atelier potager. Les enfants plantent, soignent et récoltent légumes et fruits (tomates, salades, pommes de terre, fraises, framboises, etc.) qui viennent améliorer l’ordinaire des repas livrés par l’hôpital. « Planter les graines, regarder les plantes pousser puis manger les légumes, cela remplace de grands discours sur la temporalité et permet vraiment aux enfants de progresser », souligne Jean-Marie Brossard. « Les enfants voient qu’une tomate ne vient pas de rien, qu’il faut d’abord planter une graine, l’arroser pour qu’elle pousse. Cela favorise la mise en place chez eux d’un processus de pensée qui les aide à sentir et à comprendre que des choses se passent sans qu’ils les voient », complète Marie-Christine Musset. A leur demande ou sur proposition de l’équipe, certains enfants disposent d’un potager individuel dont ils sont entièrement responsables. Ils peuvent rapporter ce qu’ils ont produit chez eux. « La possibilité de montrer ce qu’ils savent faire change le regard des parents sur ces enfants, affirme Katia Notz. Quand ils arrivent, certains ne manifestent aucune envie, aucune énergie vitale. Le travail à la ferme crée cet élan et donne cette envie. »

L’importance de l’espace

Pour l’équipe, le but n’est pas de faire de ces enfants des agriculteurs. « Ce n’est pas une ferme rationnelle mais un outil de soin », précise Philippe Hébrard. Les lieux sont entièrement organisés en fonction des besoins des enfants. « L’espace a été spécialement réaménagé, poursuit-il. Les moutons sont loin, nous devons marcher pour aller les voir, ce qui incite les enfants à laisser sortir leur énergie. » « L’espace a une fonction, confirme le psychologue. Ici, ils peuvent s’éloigner lorsqu’ils ont des pulsions agressives. A défaut d’espace psychique personnel rassurant, ils bénéficient d’un espace réel vaste. Je n’imagine pas ces enfants dans une structure fermée. » En apportant chaque jour du nouveau, les ateliers ferme et potager favorisent également une scansion du temps : la naissance des agneaux, le ramassage du foin, la cueillette des pommes… « On travaille sur du vivant, sur la temporalité, la vie, la mort. C’est un outil fantastique ! s’enthousiasme Jean-Marie Brossard. Les animaux sont de très bons supports pour travailler la distance, l’acte et ses conséquences, la symbolisation. » Il y a quelques années, racontent les professionnels, un jeune avait tordu le cou d’une oie. Ensuite, il avait demandé de ses nouvelles chaque jour pendant plusieurs jours. Il n’avait pas l’intention de la tuer et n’avait pas eu conscience de son acte. Et pourtant l’animal, bel et bien mort, n’est pas revenu dans la basse-cour. « On reprend les événements comme celui-là ou la mort d’une brebis et de son agneau lors de la mise bas, précise Katia Notz. On parle de la réalité de la vie, de la mort. Qu’est-ce que l’enfant fait de cette mort ? Que peut-il en dire ? On explique ce que devient l’animal après. Cela aide ces enfants qui ont du mal à s’inscrire dans une chronologie à construire une pensée continue. »

Si les ateliers ferme et potager sont au cœur de l’identité d’Escala, les enfants suivent aussi une scolarité, en fonction de leur niveau et de leurs capacités. Certains sont scolarisés sur place avec Mélanie Bentayou, professeure des écoles détachée trois jours par semaine par l’Education nationale. D’autres suivent quelques heures en SEGPA (2) ou en ULIS (3). « Des élèves peuvent aussi être intégrés dans des classes normales pour certaines matières », détaille l’institutrice. C’est le cas cette année d’un élève qui a suivi les cours de maths de 6e avec une auxiliaire de vie scolaire, et qui suivra l’an prochain les cours de maths, d’histoire-géographie et d’anglais de 5e. « Chaque enfant a un projet personnalisé, indique Marie Ozenne. La planification des ateliers et le projet de soin est travaillé à l’année. Lors du bilan effectué fin juin, nous réfléchissons aux ateliers qui lui seront le plus bénéfiques. » Chaque professionnel est référent de plusieurs jeunes et responsable de certains ateliers. L’infirmière Karine Fétiveaud était cette année référente de trois jeunes et des ateliers potager, expression créative et journal, ainsi que responsable en second des ateliers peinture, psychomotricité et expression corporelle. Elle a préparé des écrits de synthèse sur ces ateliers pour les journées de bilan. « Pour un atelier, on souligne les points positifs et négatifs, explique-t-elle. La ferme et le potager sont reconduits chaque année, mais la peinture ou la créativité pas forcément. Le fait d’être référent pour un atelier se décide lors des journées de bilan, en fonction du projet du jeune inscrit dans un atelier. »

L’un des objectifs du placement de ces jeunes, orientés par le secteur médico-social ou par l’intersecteur de pédopsychiatrie, est de travailler l’autonomie pour aller vers une insertion dans la vie sociale. « Il s’agit de réinscrire l’enfant dans une démarche médico-sociale, commente Marie Ozenne. Il peut passer deux ou trois ans ici, avant d’ aller en IME [institut médico-éducatif] puis en IMPro [institut médico-professionnel], de manière à acquérir une formation puis un métier. » Même si ce n’est pas le cas de tous les jeunes passés à Escala, on relève de belles réussites. « Certains auraient pu finir en hôpital psychiatrique pour adultes mais, grâce à leur passage ici, ils ont pu travailler en ESAT [établissement et service d’aide par le travail]. Nous sommes très contents d’avoir réussi cela », se félicite Thierry Demange. Avec toutefois un bémol : les entrées en ESAT se font plus rares ces dernières années, « vu les exigences de productivité », regrette Marie­Christine Musset.

La réflexion collective n’est pas oubliée. Chaque mardi après-midi, une réunion clinique donne l’occasion de travailler sur une situation, en croisant les observations des professionnels. L’équipe pluridisciplinaire se réunit au complet le vendredi pour la synthèse d’un des jeunes, et une fois par mois pour une séance de supervision. Parfois, des professionnels extérieurs sont invités. La ferme d’Escala entretient en effet de nombreuses relations avec des partenaires qui peuvent changer d’une année sur l’autre : Adapei, maison départementale des personnes handicapées, Centre ressources autisme, APAJH, Arseaa, conseil général des Hautes-Pyrénées, protection judiciaire de la jeunesse, action éducative en milieu ouvert, etc. « Il y a des partenaires avant, pendant et après le placement, précise Marie-Christine Musset, responsable notamment des relations avec les partenaires. Certains enfants peuvent être accueillis simultanément à la ferme et dans d’autres structures. »

De gros efforts sont faits par l’équipe pour préparer les transitions, et notamment la fin du séjour, obligatoire, à l’âge de 18 ans. « On essaie de faire une intégration progressive pour éviter des changements trop importants qui généreraient des blocages, argumente Marie-Christine Musset. Nous voulons prendre le temps afin d’éviter un effondrement psychique qui impliquerait une réinitialisation en hôpital psychiatrique et un traumatisme irréversible. » Mais cela demande de la souplesse, de l’adaptabilité et du personnel… Un jeune de 14 ans passe ainsi deux après-midi par semaine à l’IME du château d’Urac, géré par l’association Amefpa. « Cela lui permet un temps de rencontre, de socialisation avec des jeunes de son âge », note Bruno Farenc, directeur de l’Amefpa. D’autres jeunes de la ferme viennent régulièrement faire des stages à l’IMPro. Le partenariat fonctionne dans les deux sens puisqu’il arrive que des enfants de l’institut thérapeutique, éducatif et pédagogique du château d’Urac, souffrant de troubles du comportement, partent à Escala pour une prise en charge pédopsychiatrique. « C’est un partenariat au plus près, du sur-mesure, souligne le directeur. Mais je voudrais que ces relations soient entérinées de manière plus institutionnelle et ne tiennent pas uniquement par les personnes. »

Si la ferme d’Escala a montré son utilité pour les jeunes autistes et psychotiques, elle est à présent confrontée à l’évolution de son public. « Nous recevons de plus en plus de jeunes très difficiles qui sont à cheval sur plusieurs structures pour soulager équipes et familles d’accueil, souligne Karine Fétiveaud. Ils ont besoin de soins, mais la ferme doit être en capacité de les recevoir. » Or, comme d’autres établissements, ce lieu est victime de la baisse de son budget. « Petit à petit, on nous enlève des moyens, se désole l’infirmière. Jusqu’à il y a deux ans, nous ouvrions toute l’année, le week-end et les vacances, mais cet accueil n’existe plus. On nous a supprimé deux postes infirmiers, nous sommes passés de 100 % à 50 % de temps cadre, et le contrat de l’assistante sociale a été remplacé par un temps partiel de 20 %. Or elle allait dans les familles, faisait le lien avec les structures extérieures, s’occupait des dossiers administratifs. Nous avons aussi perdu une demi-journée de temps de classe. » « Il faut que ça dure, résume Jean-Marie Brossard. Mais il ne va pas de soi que les choses durent même quand elles sont utiles. »

HISTORIQUE
Les animaux à Lannemezan

Créé en 1938 dans un cadre verdoyant, l’hôpital psychiatrique de Lannemezan a longtemps intégré un parc de loisirs avec des animaux, un lac, fournissant aux patients de multiples activités occupationnelles. Il y a même eu dans la ferme de l’hôpital un élevage de chevaux Mérens. Guide de randonnée équestre devenu éducateur technique à la ferme d’Escala, Philippe Hébrard a œuvré cinq ans au foyer d’accueil médicalisé de l’hôpital, où il faisait de l’attelage et de l’équithérapie pour des jeunes et des adultes déficients. Mais l’activité s’est arrêtée en 2005, lorsque l’infirmier équithérapeute est tombé malade. Aujourd’hui, le seul travail équestre qui subsiste concerne quelques enfants de l’hôpital de jour Beausoleil qui viennent monter dans le club tout proche une fois par semaine. « La ferme d’Escala est la dernière trace de cette tradition de l’hôpital de Lannemezan », souligne Alain Baqué, son directeur.

Notes

(1) Ferme thérapeutique d’Escala : 28, rue des Chênes – 65250 Escala – Tél. 05 62 98 39 36.

(2) Section d’enseignement général et professionnel adapté.

(3) Unité localisée pour l’inclusion scolaire.

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