Dans le contexte de crise économique et de hausse du chômage, le secteur des services à la personne, souvent présenté comme un gisement d’emplois important, peut-il devenir une opportunité d’insertion pour les demandeurs d’emploi éloignés du marché du travail ? Dans une étude (1), le Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) a, d’une part, analysé le secteur des services à la personne et les caractéristiques des emplois qui le composent, d’autre part, examiné la façon dont les dispositifs de droit commun et d’insertion par l’activité économique (IAE) facilitent l’accès des chômeurs à ce champ d’activité.
Les auteurs décrivent un secteur « aux contours incertains » qui regroupe plus de 25 activités distinctes et dans lequel intervient une multiplicité d’acteurs aux statuts divers (associations, centres communaux d’action sociale, entreprises, particuliers-employeurs). Il reste néanmoins principalement structuré autour de deux activités : l’aide aux personnes âgées (environ la moitié des emplois) et les services de ménage (environ un tiers). Si le nombre de salariés a doublé en 20 ans, il connaît un net ralentissement depuis 2007. En outre, les perspectives de croissance de ces emplois sont subordonnées au soutien public. Enfin, ces postes restent encore peu attractifs car précaires : temps partiel subis, travail le week-end, niveaux de rémunération faibles. L’examen du profil des salariés et de son évolution récente montre que si ces emplois sont encore majoritairement occupés par des femmes, les hommes progressent dans les activités de ménage (10 %). Plus d’un salarié sur dix est d’origine étrangère et la moitié a plus de 45 ans, « ce qui pose la question du renouvellement de la main-d’œuvre à brève échéance ». Si le niveau de qualification reste faible, ces emplois nécessitent pourtant « un socle minimum de compétences », des « qualités relationnelles », des « capacités d’ajustement aux attentes des particuliers » et, dans le domaine de l’aide aux personnes dépendantes, « la capacité de faire émerger les potentialités de la personne aidée afin de préserver au maximum son autonomie ». C’est tout le paradoxe d’un secteur peu reconnu.
Comment orienter les demandeurs d’emploi vers ces métiers ? Les expériences menées par Pôle emploi et les conseils généraux se limitent à la mise en place de plateformes collectives de recrutement, d’information et de formation ainsi qu’à quelques expérimentations à portée limitée. L’IAE – conçue comme un « sas » de transition vers l’emploi ordinaire pour les publics en difficulté – pourrait-elle être un levier d’insertion dans le secteur des services à la personne ? Difficilement, répondent les auteurs, qui ont identifié trois obstacles à l’insertion des usagers de l’IAE dans ce champ d’activité.
D’abord, les structures de l’insertion par l’activité économique sont peu présentes sur le marché des services à la personne. Les organismes de ce secteur manifestent eux-mêmes une certaine défiance envers ces dispositifs d’insertion qu’ils perçoivent comme des concurrents bénéficiant d’aides publiques spécifiques. Ils se méfient en outre des salariés en insertion, jugés instables et moins productifs que les autres. Les salariés eux-mêmes sont parfois réticents à quitter le secteur de l’IAE qui les protège de conditions de travail jugées très dures en milieu ordinaire. Pour dépasser cette méfiance mutuelle, certaines structures d’IAE ont elles-mêmes créé leur propre organisme agréé de services à la personne pour offrir des débouchés à leurs salariés. Sans grand succès puisque « les relations se distendent rapidement et les passerelles entre les deux types de structures sont rarement effectives ».
Deuxième difficulté : le faible niveau de scolarisation ne permet pas aux salariés de l’IAE d’accéder aux formations des métiers de l’aide à domicile auprès des personnes âgées, là où il y a le plus de besoins d’emploi. Par ailleurs, ces salariés manifestent peu d’intérêt et de motivation pour des métiers requérant un fort investissement relationnel. Enfin, leur faible attractivité reste, sans surprise, un obstacle.
Pour lever ces freins, des groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ) (2) ont vu le jour dans le domaine de l’aide à domicile et du médico-social. Ces groupements recrutent des publics ayant des difficultés d’accès à l’emploi pour les mettre à la disposition de leurs adhérents – des entreprises qui ont des problèmes structurels de recrutement – via la mise en œuvre de parcours d’insertion et de qualification. Le GEIQ s’adresse à un public en difficulté plus proche de l’emploi que celui de l’IAE. Premier à s’être lancé dans les services à la personne, le GEIQ de Savoie regroupe 11 associations et a accompagné 11 salariés à l’exercice de ces métiers après un recrutement en trois étapes qui a permis de vérifier l’intérêt et les capacités des candidats (ateliers collectifs pour présenter la réalité du métier, une journée de tests, un entretien). En un an, les salariés obtiennent le diplôme d’assistant de vie aux familles, un titre que les employeurs ont jugé plus accessible à un public éloigné de l’emploi que le diplôme d’Etat d’auxiliaire de vie sociale. Au final, « ce type de dispositif pourrait constituer un prolongement complémentaire de l’IAE, apportant une solution potentielle à la question de la professionnalisation et au temps partiel subi, l’objectif étant de proposer des emplois à temps plein », notent les auteurs.
Reste que le modèle économique des GEIQ n’est pas encore stabilisé : leur réussite dépendra « de la capacité des structures d’aide à domicile à faire face à leurs difficultés financières d’une part, à celle du GEIQ à réunir un nombre suffisant de structures et de salariés d’autre part, afin de permettre une mutualisation efficace de l’offre et de la demande de main-d’œuvre ».
(1) « Les services à la personne : un levier d’insertion pour les publics éloignés de l’emploi » – Cahier de recherche du Crédoc n° 288 – Décembre 2011.
(2) Voir le « Décryptage » sur les GEIQ, notamment dans le secteur de l’aide à domicile, dans les ASH n° 2761 du 25-05-12, p. 20.