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« Le Crédit municipal assure une fonction de refuge face aux crises sociales »

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« Ma tante », le « clou », le mont-de-piété, autant d’appellations qui désignent un mode de crédit très ancien : le prêt sur gage. A Paris, le Crédit municipal prête ainsi de petites ou de fortes sommes depuis plus de trois cents ans. Loin d’être démodé, il a vu, avec la crise, sa fréquentation fortement augmenter. Houda Laroussi, sociologue, consacre un ouvrage à cette institution et à sa clientèle.

Pourquoi avoir mené cette recherche sur le Crédit municipal de Paris (CMP) ?

Bernard Candiart, son directeur général, m’a proposé de réaliser une recherche sociologique sur le prêt sur gage. Dans un contexte de forte augmentation de la clientèle, sur fond de crise économique et sociale, il s’agissait de cerner la typologie des personnes faisant appel à cette institution.

Quand le CMP est-il né ?

Le mont-de-piété – son appellation originelle – a été créé en 1637 à l’initiative du journaliste et médecin Théophraste Renaudot (1). Il s’agissait alors de combattre l’usure, c’est-à-dire le prêt d’argent pratiqué à des taux atteignant parfois plus de 100 %. Ce sont d’ailleurs les usuriers qui ont obtenu la fermeture de l’institution en 1644, et elle n’a rouvert qu’en 1777. Il s’agit aujourd’hui d’un établissement public administratif reconnu comme établissement bancaire depuis 1984 et placé en 1992 sous la responsabilité de la Ville de Paris, qui en est le seul actionnaire. Le CMP a conservé sa mission originelle de prêt sur gage, tandis que sa filiale, CMP-banques, est chargée des prêts bancaires classiques.

Qu’est-ce que le prêt sur gage ?

N’importe quelle personne majeure peut solliciter un prêt sur gage. Cela consiste tout simplement à emprunter de l’argent en déposant, en garantie, un objet. Plus la valeur de celui-ci est importante et plus le montant du prêt augmente. C’est cette valeur estimée sur le marché des enchères publiques, fixée par des commissaires-priseurs, qui détermine le montant du prêt. Celui-ci est au minimum de 30 €, la valeur moyenne des contrats tournant autour de 800 €, mais certains peuvent dépasser les 50 000 €. Toutefois, 66 % des contrats ne dépassent pas les 2 000 €. Toutes sortes d’objets peuvent être gagés au CMP. Il s’agit à 90 % de bijoux ou de montres, mais on trouve aussi de l’argenterie, des tableaux, du mobilier, des fourrures, des instruments de musique et même des bouteilles de grands crus. Actuellement, près de un million d’objets sont stockés en gage. Pour éviter les fraudes, l’identité du déposant est systématiquement vérifiée. Une autre mesure de sécurité interdit à un homme de déposer un bijou féminin sans procuration, et inversement.

Quelle est la durée du prêt ?

Le contrat est établi pour une durée de un an, mais il peut être renouvelé indéfiniment, sous réserve de payer au moins les intérêts. Faute de quoi, après trois rappels, l’objet gagé est vendu aux enchères pour couvrir le remboursement du prêt et des intérêts. Mais il est aussi possible de rembourser le prêt au bout de quelques semaines seulement. D’ailleurs, plus on rembourse vite et plus les intérêts sont faibles. Actuellement, les taux s’étagent de 4 %, pour les petits prêts, à 7,60 % pour les montants dépassant 1 524 €. Il est important de noter que plus de 90 % des objets gagés sont récupérés par leurs propriétaires. Il s’agit donc bien d’un système de prêt, et non de vente d’objets. Le nombre de contrats par personne est d’ailleurs limité.

Avec la crise, le nombre des personnes recourant au prêt sur gage a-t-il augmenté ?

C’est indéniable. De 1995 à 2005, le nombre des prêts sur gage apparaît fortement corrélé aux taux de chômage. Ainsi, entre avril 2008 et décembre 2010, le nombre d’objets déposés a augmenté de 26 %, pour un montant global en hausse de 45 %. La différence entre les deux s’explique par la hausse du prix de l’or. Environ 600 personnes fréquentent chaque jour le CMP et 900 nouveaux clients y arrivent chaque mois. Quant à la durée des dépôts, elle est passée de 18 à 24 mois entre 2008 et 2010. Un autre signe de cette fréquentation en hausse est la longueur de la file d’attente. Il faut compter en moyenne une heure, parfois deux, avant d’arriver au guichet. La salle d’attente du CMP en devient même un lieu de rencontre et de sociabilité. Les habitués expliquent aux novices comment ça se passe, et cela permet souvent aux nouveaux clients de se rendre compte qu’ils ne sont pas les seuls à rencontrer des difficultés financières.

Qui sont les clients du CMP ?

On trouve trois grandes catégories. Il y a tout d’abord la clientèle issue de la classe moyenne, puis la bourgeoisie aisée et enfin les personnes venant des milieux populaires. Les plus pauvres ne sont quasiment pas représentés car ils disposent rarement d’objets de valeur à mettre en gage. Cette institution n’en représente pas moins un miroir de la société et de sa diversité sociale. L’étude que j’ai réalisée sur le terrain montre que les clients sont des femmes à 80 %. Ce qui est logique, quand on sait que les objets gagés sont en grande majorité des bijoux. Il y a des clients de tous les âges, mais les 35-44ans sont les plus nombreux. Ce sont d’ailleurs eux qui, d’une façon générale, ont le plus souvent recours au crédit à la consommation. Plus de 90 % des clients résident en Ile-de-France, dont 30 % à Paris et, parmi ceux-ci, près de 50 % dans les arrondissements populaires de l’est. On observe en outre un renforcement des départements de la Petite Couronne, en particulier de la Seine-Saint-Denis, qui représente 20 % des emprunteurs. En ce qui concerne la situation des clients, 80 % font partie des actifs, mais 18 % des femmes et 15 % des hommes sont demandeurs d’emploi. Les employés sont de loin les plus nombreux, avec 37 % du total, suivis des personnes sans activité, des ouvriers, des retraités, des cadres et professions intellectuelles supérieures et des professions intermédiaires. Le foyer type du client du CMP est composé de deux personnes et dispose d’un revenu situé entre 1 050 € et 1 500 €.

Pour quelles raisons ces personnes font-elles appel au prêt sur gage ?

Leurs motivations sont diverses. Le plus souvent, il s’agit de personnes qui n’ont pas accès au crédit bancaire classique, notamment parce qu’elles sont au chômage ou précaires. Souvent surendettées, pour elles, le prêt sur gage représente une protection et, surtout, la seule alternative possible pour disposer d’un peu d’argent. Il s’agit aussi souvent de personnes qui ont un besoin immédiat de liquidité afin de réaliser un achat. En effet, l’un des principaux intérêts du prêt sur gage est que la réponse est immédiate et que, jusqu’à 3 000 €, le prêt se fait en liquide. Au-delà, cela passe par un virement bancaire. Or beaucoup de gens ne souhaitent pas passer par une banque ni que leurs proches soient au courant de leur démarche. Je pense à une dame âgée qui voulait continuer à aider ses enfants sans que ceux-ci se doutent de ses difficultés financières.

Beaucoup de femmes d’origine étrangère viennent gager leurs bijoux. Pour quelles raisons ?

En effet, 42 % des femmes qui viennent au CMP sont nées à l’étranger, en particulier au Maghreb, mais aussi en Afrique noire et en Asie. Leurs bijoux représentent un capital social et la garantie d’une certaine autonomie financière vis-à-vis de leurs maris. D’autant plus qu’elles n’ont en général pas accès aux prêts bancaires. La mise en gage de ces bijoux leur permet souvent de passer un cap difficile sans devoir solliciter leur mari, surtout si celui-ci est au chômage. Elles sont d’ailleurs très à l’aise au sein de l’institution, où elles échangent assez facilement avec le personnel.

Comment la crise se traduit-elle dans les demandes de prêt ?

Avec les réformes du régime des retraites et de l’assurance maladie, de plus en plus de gens fréquentent le Crédit municipal pour couvrir leurs besoins sociaux et de santé. Ainsi, un certain nombre de retraités font appel au prêt sur gage pour payer les échéances de leur mutuelle. La hausse du coût de la vie a également un fort impact. On voit arriver au Crédit municipal des fonctionnaires modestes qui ne parviennent plus à payer leur loyer. Le retour d’anciens clients est aussi un indicateur des répercussions négatives de la situation économique actuelle.

Le CMP joue-t-il réellement un rôle social ?

Le Crédit municipal a assuré historiquement une fonction de refuge financier et de régulation face aux crises sociales. Contrairement aux banques, il permet à presque toutes les catégories socioprofessionnelles d’avoir accès rapidement à un prêt, même pour des petites sommes et pour de courtes durées. Ce n’est évidemment pas gratuit, mais le système est ouvert à tous, sous réserve d’avoir un bien à gager.

REPÈRES

Docteure en sociologie, Houda Laroussi enseigne à l’Institut national du travail et des études sociales de Tunis. Elle est également chercheure associée au Laboratoire interdisciplinaire de sociologie économique du CNAM. Elle publie Le prêt sur gage au Crédit municipal de Paris (Ed. Karthala-CMP). Elle est également l’auteure de Micro-crédit et lien social en Tunisie. La solidarité instituée (Ed. IRMC-Karthala, 2009).

Notes

(1) Le premier mont-de-piété est né en 1462 à Pérouse (Italie). Des crédits municipaux existent dans plusieurs grandes villes françaises.

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