Pourquoi ce référentiel d’auto-évaluation ?
Il s’agissait pour la FNAPsy de répondre à la circulaire de 2005 sur les groupes d’entraide mutuelle (GEM) qui demande que, chaque année, le groupe procède à une évaluation interne de son activité. L’idée était d’aboutir à un référentiel d’autoévaluation en phase avec les orientations législatives, c’est-à-dire fondée sur la participation des adhérents.
Avec une trentaine de GEM portés par les grands réseaux associatifs – Unafam, FNAPsy, FASM Croix-Marine (2) – et de professionnels de la santé mentale, nous avons mis en place deux questionnaires. L’un, classique, visait à renseigner sur les critères de fonctionnement définis dans la réglementation, tels que les charges salariales, les modalités de gestion, etc. Ses résultats étaient transmis à l’agence régionale de santé. L’autre, beaucoup plus ouvert, se centrait sur le recueil de la parole des adhérents. Comme il n’est pas possible de trouver des preuves objectives de ce qu’est l’entraide et la réciprocité, nous avons plutôt cherché à savoir quels bénéfices ils retiraient, dans leur propre vie, de la convivialité mise en place dans le GEM. Les adhérents devaient répondre à 25 questions, en donnant pour chacune d’entre elles un exemple concret. Les personnes trop handicapées psychiquement étaient accompagnées par des animateurs ou d’autres adhérents plus à l’aise qui les aidaient à s’exprimer.
Et que disent les adhérents ?
Sur les 30 sites, nous avons obtenu des résultats spectaculaires allant tous dans le même sens. Les usagers des GEM plébiscitent cette forme de dispositif parce qu’il leur permet une participation à la vie sociale sans être stigmatisés en tant que personnes handicapées. Si on part de ce qu’ils nous disent et des exemples qu’ils donnent, il y a bien un effet produit par le groupe d’entraide mutuelle.
Les disparités de fonctionnement des GEM se sont-elles vérifiées ?
Très nettement. On peut classer les groupes d’entraide en trois grandes catégories. Premièrement, le groupe qui fonctionne comme une institution insérée dans un dispositif sanitaire ou médico-social plus large, avec éventuellement des formes d’accueil de jour que le GEM vient assouplir. Le parrain joue un rôle dirigeant, en rupture totale avec l’esprit de la circulaire de 2005. Les animateurs peuvent être des soignants ou des éducateurs, et dérogent eux aussi d’une façon très directe au rôle qui leur est demandé par les textes de références, c’est-à-dire d’être au service du projet d’animation des adhérents.
La deuxième catégorie est constituée des GEM qui luttent pour fonctionner au plus près de l’esprit des textes. Les groupes soutenus par les associations d’usagers, mais aussi par les professionnels de la santé mentale, sont plus particulièrement en pointe. Le bureau est composé pour l’essentiel d’usagers de la santé mentale. Le GEM est adossé à un parrain, qui peut être une structure médico-sociale, mais qui n’intervient qu’en termes de suggestion et de collaboration, le plus souvent à la demande des adhérents.
La troisième catégorie est plus aléatoire. Des associations ont touché une subvention, mais ne savent pas trop comment s’orienter. Le GEM fonctionne comme un groupe d’adhérents, parfois sans animateur, parfois sans parrain, et dans une grande incertitude liée à son fonctionnement.
Pourquoi ce référentiel n’a-t-il pas été utilisé ?
Il est opérationnel et pourrait être mis en place. Nous avions même imaginé le déploiement d’un dispositif national après une seconde phase d’expérimentation. Mais il s’est heurté à plusieurs obstacles. A commencer par le fait que les GEM se trouvent eux-mêmes en difficulté face à un outil de recueil et de traitement d’informations, qui demande une préparation et une formation des personnes. A cela s’ajoutent des attentes très différentes de l’administration sur le mode d’évaluation du dispositif. Les pouvoirs publics nous ont par exemple critiqué sur le manque de représentativité de l’échantillon expérimental de 30 GEM. Nous avons d’abord objecté que les réponses des usagers étaient parfaitement cohérentes et allaient toutes dans le même sens. Puis la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, en particulier, nous a reproché le manque de cotations des réponses. Pour ne pas passer pour des idéologues, nous avons fini par intégrer des échelles de cotation après chaque rubrique. Sauf que les adhérents ont refusé de les renseigner. S’ils acceptaient de traduire leur vécu des situations en répondant aux questions, leur attribuer un coefficient n’avait en revanche aucun sens à leurs yeux, puisque la convivialité n’est pas un état stable.
Du coup, comment avez-vous perçu le durcissement du nouveau cahier des charges ?
Ce qui est paradoxal et regrettable, c’est que le cahier des charges de la circulaire de 2005 était suffisamment précis. Il imposait des règles de fonctionnement référées au droit commun. Sur un plan qualitatif, il assignait aux GEM des objectifs clairs, c’est-à-dire ouvrir un espace non institutionnalisé, favorable à la création d’échanges et évoluant grâce à la participation des adhérents. Il n’y avait donc aucune raison de surcharger la barque. La difficulté à laquelle on se heurte est d’abord une difficulté de compréhension. Un GEM est à la fois un dispositif institutionnel de type association loi de 1901, financé en tant que tel, mais qui ne doit surtout pas produire d’institutionnalisation au risque de devenir une structure médico-sociale. C’est difficile à faire comprendre. Il faudrait simplement en revenir aux textes fondateurs et se mettre au travail sur des pratiques évaluées et conformes à ces orientations.
(1) Qu’il a d’ailleurs présenté le 15 mai dernier lors du séminaire de la chaire de travail social et d’intervention sociale du CNAM sur l’expertise des bénévoles et des usagers
(2) Union nationale des amis et familles de malades psychiques, Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie, Fédération d’aide à la santé mentale Croix-Marine.