Le vide juridique induit par la censure, en mai dernier, par le Conseil constitutionnel de la définition du harcèlement sexuel (1) n’aura perduré que trois mois. La loi visant à rétablir un nouvel article 222-33 du code pénal définissant ce fait a en effet été définitivement adoptée par les parlementaires le 31 juillet. Un texte complété dans la foulée par une circulaire de la chancellerie, qui se félicite du vote de ces nouvelles dispositions qui s’inspirent en partie des directives européennes et donnent une « définition plus précise mais également plus large que par le passé du délit de harcèlement sexuel afin de recouvrir l’ensemble des situations dans lesquelles des personnes peuvent faire l’objet de ce type d’agissements ».
Selon la loi, le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle – « gestes, envois ou remises de courriers ou d’objets, attitudes… », explicite la circulaire – qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. « Le non-consentement de la victime est ainsi un des éléments constitutifs du délit », souligne le ministère de la Justice, précisant que « la loi n’exige nullement que la victime ait fait connaître de façon expresse et explicite à l’auteur des faits qu’elle n’était pas consentante ». Il ajoute que « l’absence de consentement pourra résulter, dès lors qu’elle n’est pas équivoque, du contexte dans lesquels les faits ont été commis, un faisceau d’indices pouvant ainsi conduire le juge à retenir une situation objective d’absence de consentement (par exemple, un silence permanent face aux agissements ou une demande d’intervention adressée à des collègues ou à un supérieur hiérarchique) ». S’agissant de la condition de répétition des actes, la circulaire stipule qu’il suffit qu’ils aient été commis à au moins deux reprises et qu’aucun délai minimum entre ces actes n’est exigé, ceux-ci « pouvant être répétés dans un très court laps de temps ».
En outre, stipule la loi, peuvent être assimilés au harcèlement sexuel les faits, même non répétés, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.
Dans tous les cas, la sanction encourue est de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. Elle est portée à trois ans de prison et à 45 000 € d’amende lorsque les faits sont commis dans plusieurs cas de figure :
lorsque l’auteur du délit a abusé de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;
lorsque le harcèlement est commis sur un mineur de 15 ans (2) ou une personne particulièrement vulnérable du fait de son âge, de sa maladie ou – ce qui est nouveau par rapport au projet de loi initial – de la précarité de sa situation économique ou sociale apparente ou connue de leur auteur (3) ;
dès lors que les faits ont été perpétrés par plusieurs personnes.
Une seule et même définition du harcèlement sexuel s’applique, qu’il soit commis en milieu professionnel ou non. Une définition qui vaut également pour les fonctionnaires.
Notons que les peines encourues en cas de harcèlement moral sur le lieu de travail ont été alignées sur celles du harcèlement sexuel : deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende.
Les faits de harcèlement sexuel sont susceptibles de provoquer une altération de la santé de la victime. Mais le ministère de la Justice rappelle qu’ils ne sont pas visés par l’article 706-3, 2°, al. 2 du code de procédure pénale qui liste les infractions donnant droit à une indemnisation intégrale de la victime, quelles que soient ses ressources. Si l’altération de la santé ne peut être considérée comme un élément constitutif du délit de harcèlement sexuel, elle peut toutefois être prise en compte comme une preuve du délit et un élément d’appréciation de sa gravité, explique la circulaire, et par là servir à déterminer la sévérité de la peine et l’importance des dommages-intérêts.
La loi punit également les discriminations qui font suite à du harcèlement sexuel. Dans ce cadre, le texte entend par discrimination toute distinction opérée entre les personnes parce qu’elles ont subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel ou témoigné de tels faits, y compris si les propos ou comportements n’ont pas été répétés. Ces actes discriminatoires sont ceux commis par des particuliers ou des agents publics. Dans le premier cas, illustre la circulaire, l’acte discriminatoire pourra, à titre d’exemple, être constitué « si une personne, qui a fait l’objet de la part de son employeur d’un propos à connotation sexuelle portant atteinte à sa dignité, même non répété, est licenciée pour avoir protesté à la suite de ce comportement sexiste ». Ces agissements sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. Commis par un agent public ou une personne chargée d’une mission de service public, l’acte discriminatoire peut être sanctionné de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. Peut par exemple tomber sous le coup de cette peine le fait de refuser un droit accordé par la loi ou d’entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque.
Si une discrimination en raison de l’orientation sexuelle pouvait être jusqu’à présent retenue, celle basée sur l’identité sexuelle peut également aujourd’hui être sanctionnée. Cette disposition s’applique donc non seulement aux personnes homosexuelles mais aussi désormais aux personnes transsexuelles ou transgenres. Une mesure saluée par le secteur associatif (voir ce numéro, page 24).
La loi est entrée en vigueur depuis le 8 août dernier (4) et ne peut donc s’appliquer aux faits commis avant cette date. S’agissant du harcèlement sexuel qui, dans certains cas, exige des actes répétés, précise la circulaire, il suffit qu’un de ces actes ait été commis à partir du 8 août pour que l’infraction soit caractérisée. Quant au délit de discrimination en raison du harcèlement sexuel, il importe que la discrimination soit intervenue à partir du 8 août même si elle était motivée par des harcèlements commis avant cette date.
La chancellerie souligne en outre que si une juridiction d’instruction ou de jugement a été saisie avant le 4 mai dernier (date de la décision du Conseil constitutionnel), les parquets doivent, si cela est juridiquement possible, procéder à la requalification des faits. Requalification qui peut intervenir aussi bien en première instance qu’en appel, y compris à la suite d’un renvoi après cassation. Dans les affaires ayant donné lieu à une enquête ou à une instruction et où, en l’absence de possibilité de requalification, une décision de classement sans suite ou de non-lieu s’impose, les magistrats doivent informer les victimes de leur possibilité de demander réparation devant les juridictions civiles, indique la garde des Sceaux.
(2) Toutefois, lorsque le mineur est âgé de 15 à 18 ans, le plus souvent un apprenti ou une personne en alternance ou en formation, la ministre de la Justice invite les parquets à retenir la circonstance aggravante d’abus d’autorité.
(3) Il peut s’agir par exemple « des jeunes femmes élevant seules leurs enfants à la suite d’une rupture conjugale et disposant de très faibles revenus », illustre la circulaire.
(4) Le lendemain de la date de sa publication au Journal officiel.