Faiblesse des ressources et accidents de la vie, isolement sont très souvent à l’origine des difficultés à se maintenir dans son logement. Une enquête conduite en 2010 auprès de 1 800 locataires et bailleurs en contact avec les 34 antennes départementales de l’Agence nationale pour l’information sur le logement (ANIL) montre que les catégories familiales les plus exposées sont les personnes seules (45 %), devant les familles monoparentales (20 %), les couples avec enfants (20 %) et les couples sans enfants (14 %) (1). Les foyers enquêtés disposent, pour la plupart d’entre eux, de revenus modestes, voire très faibles, inférieurs au seuil de pauvreté dans plus d’un cas sur deux. Par ailleurs, huit ménages sur dix déclarent percevoir une aide au logement, soit un taux très supérieur au taux national.
C’est le plus souvent à cause d’un imprévu qu’ils sont confrontés à des difficultés financières : dans sept cas sur dix, une baisse des ressources est à l’origine de l’impayé (chômage dans 39 % des cas, divorce dans 10 % des cas, accident ou maladie dans 18 % des cas, passage à la retraite pour 4 % des situations). S’y ajoutent 10 % de cas de surendettement. Seuls 6 % des locataires font état de difficultés à payer le loyer dès l’origine. Les litiges avec le bailleur représentent 12 % des impayés (la nature du litige portant sur des travaux à effectuer ou le montant du loyer ou des charges).
Cette baisse de revenus imprévue engendre un taux d’effort élevé pour les ménages, malgré l’aide au logement. Ainsi, près d’un locataire sur deux consacre plus de 35 % de son revenu au paiement de son loyer hors charges. Ce taux atteint même 50 % ou plus pour un quart des locataires, dont une bonne part de personnes seules. Mesurées en mois d’impayés de loyer, les dettes des locataires se révèlent assez lourdes. Seuls 40 % des impayés sont inférieurs ou égaux à trois mois de loyers, pour un quart de trois à six mois et 35 % de plus de six mois. Par ailleurs, d’autres dettes s’ajoutent aux dettes locatives pour près de 40 % des locataires.
Dans son bilan d’activités 2011, le groupement d’intérêt public (GIP) Charente Solidarités s’est intéressé au devenir des locataires une fois que le concours de la force publique pour l’expulsion du logement a été accordé. Sur les 77 ménages concernés, dix ont pu être maintenus dans les lieux malgré le stade avancé de la procédure (un dans le parc privé et neuf dans le public). Par ailleurs, dix ménages ont été relogés dans le parc privé, 24 autres sont partis sans laisser d’adresse, 13 ont été hébergés, deux ont quitté le département, deux ont été incarcérés, quatre sont entrés en CHRS (centre d’hébergement et de réinsertion sociale) ou en sous-location. Au final, le GIP fait état de 12 expulsions réelles en 2011, c’est-à-dire des expulsions pour lesquelles la force publique s’est déplacée alors que le ménage était encore dans les lieux. Elles concernaient sept personnes isolées, trois familles monoparentales et deux couples.
Autre constat de cette étude, la précarité s’accentue parmi les ménages assignés devant le tribunal. Ainsi, la proportion de ménages percevant des revenus du travail diminue fortement (19 % en 2011 contre 25 % en 2010 et 26 % en 2009). Les ménages touchant le RSA représentent 33 % des ménages assignés, contre 13 % en CDI et 6 % en contrats précaires. Une autre enquête conduite en 2011 par la Fondation Abbé-Pierre (2) note que « la crise économique semble avoir un impact majeur sur les impayés de loyers ». La part des ménages mettant en avant une dégradation de leur situation professionnelle comme cause de l’impayé a fortement augmenté entre 2010 et 2011 (de 43 % à 52 %). Les problèmes de santé sont également en forte croissance (de 13 à 21 %) et sont désormais à la même hauteur que les ruptures familiales. Le montant du loyer en cause dans la difficulté se situe majoritairement entre 481 € et 925 € (51 %), devant les loyers inférieurs à 481 € (38 %) et ceux supérieurs à 925 € (11 %).
Une enquête qualitative menée par 15 ADIL fin 2011 et pilotée par l’antenne du Gard s’est cette fois intéressée à 100 ménages expulsés de leur logement (3). L’objectif était de comprendre pourquoi la prévention n’avait pas fonctionné. Premier constat : cette population se caractérise par un cumul de difficultés (professionnelles, familiales, psychologiques, etc). Cette accumulation exceptionnelle d’épreuves les « empêche de prendre la mesure réelle des conséquences de l’impayé de loyer ». Autre observation : la plupart des ménages enquêtés méconnaissent leurs droits et les moyens de les faire appliquer, tandis que la profusion d’actes et d’interlocuteurs augmente leur démobilisation. A tel point que certains d’entre eux n’ouvrent plus leurs courriers, assimilant les relances à une forme de « harcèlement ». S’agissant de l’audience devant le tribunal, les ménages expriment beaucoup de regrets quant à son déroulement. « Sa rapidité, en comparaison du long temps d’attente qui précède leur présentation à la barre du tribunal et de l’importance que ce moment revêt pour eux, leur cause une profonde déception », constate l’étude.
Autre enseignement : la procédure d’expulsion génère une grande anxiété. « Presque toujours, elle fige les personnes, les empêchant de rassembler l’énergie nécessaire à la construction d’un autre projet logement. » La peur de devoir expliquer la situation à ses proches est alors doublée de la hantise de se retrouver réellement à la rue.
Enfin, quelles que soient les causes de l’impayé à l’origine de l’expulsion (cherté du loyer, conflit avec le bailleur, logement inadapté), la plupart des ménages en étaient eux-mêmes arrivés à la conclusion qu’ils ne pouvaient pas se maintenir dans le logement en raison très souvent de sa mauvaise qualité. D’ailleurs, « lorsque les ménages ont enfin pu être relogés dans de bonnes conditions, ils n’expriment jamais de regret quant à leur ancien logement mais témoignent de la grande souffrance que la procédure d’expulsion a représentée », conclut l’enquête.
(1) Disponible sur
(2) Disponible sur
(3) Disponible sur