Ici, un couple cesse de payer son loyer tant que le propriétaire n’engage pas de travaux. Là, une locataire ne peut plus faire face en raison d’une perte de revenus. Ailleurs, c’est une mère qui se retrouve seule dans son appartement après une rupture et voit ses dettes s’accumuler. Toutes ces situations peuvent être examinées par les commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (CCAPEX). Des instances examinées aujourd’hui à la loupe par Cécile Duflot, ministre du Logement : les DREAL (directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement) sont en effet chargées de dresser un diagnostic sur leur fonctionnement d’ici à la fin du mois en vue de la préparation du projet de loi sur le logement, qui devrait comporter un volet sur la prévention des expulsions.
Prévues par la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, les CCAPEX sont obligatoires dans chaque département depuis mars 2010. Ces instances, qui réunissent tous les acteurs pouvant intervenir auprès des locataires en difficulté, sont co-présidées par le préfet et le président du conseil général. A leurs côtés siègent, comme membres de droit, la caisse d’allocations familiales (CAF), la Mutualité sociale agricole (MSA) et les maires ou présidents d’agglomération. Parmi les membres consultatifs figurent les représentants des bailleurs publics ou privés, les associations de locataires, de défense des consommateurs, de lutte contre l’exclusion ainsi que les associations locales d’information sur le logement.
Objectif affiché : optimiser le dispositif de prévention des expulsions en coordonnant l’action des différents partenaires. Il faut dire que les chiffres sont alarmants. Le nombre d’assignations devant la justice a augmenté de 26 % en dix ans, pour atteindre 158 329 en 2010 (1). Sur la même période, le nombre d’expulsions avec le concours de la force publique a bondi de 84 %. Les CCAPEX ont ainsi vocation à se concentrer sur le repérage et le traitement individuel des situations les plus complexes (2). A l’issue de chaque réunion, elles émettent des avis destinés aux organismes décisionnels comme la CAF, la préfecture ou le conseil général (pour l’octroi, le maintien ou la suppression d’une aide, un accompagnement social ou un relogement du ménage…). Elles formulent aussi des recommandations à l’intention de l’ensemble des partenaires engagés dans la prévention des expulsions (comme conseiller un logement plus adapté au ménage, recommander la signature d’un protocole entre bailleur et locataire ou informer la commission de surendettement).
Cette volonté de coordination n’est pas nouvelle. Elle avait déjà été affirmée par la loi de prévention des exclusions du 29 juillet 1998, qui avait impulsé la mise en place de chartes de prévention des expulsions dans chaque département. « Celles-ci avaient eu l’avantage de mobiliser les acteurs concernés, constate Marie Rothhahn, chargée de mission sur l’accès aux droits et la prévention des expulsions à la Fondation Abbé-Pierre. Les CCAPEX sont censées avoir un rôle beaucoup plus concret. » Pour leur mise en œuvre, tardive dans bon nombre de départements, le législateur a souhaité laisser une grande latitude aux acteurs locaux. Résultat, selon le premier bilan dressé en février dernier par l’Agence nationale pour l’information sur le logement (ANIL) (3) : « Les formes d’organisation territoriale sont très variées allant de la commission départementale unique à des commissions déconcentrées par arrondissement. » Par ailleurs, « le rôle qu’elles s’assignent et les modalités de fonctionnement qu’elles ont adoptées sont extrêmement diverses ».
Quelques départements limitent leur CCAPEX à un rôle d’observation et d’évaluation des actions locales tandis que la grande majorité s’attache à traiter des dossiers individuels identifiés comme complexes. Mais, l’appréciation de cette complexité est loin d’être homogène, si bien que le nombre de dossiers étudiés varie fortement d’un territoire à l’autre. « Quand certaines commissions n’en traitent que quelques-uns, d’autres arrivent aux limites de leur capacité de fonctionnement », constate l’ANIL. Dans la Dordogne, par exemple, la commission se réunit tous les mois autour d’une trentaine de dossiers. Sont retenues les situations pour lesquelles aucune solution n’a pu être trouvée, « soit parce qu’il n’existe pas de plan d’apurement des dettes locatives, soit parce qu’il n’est pas respecté, soit parce que la personne a du mal à y adhérer », détaille Frédérique Frison-Lefèvre, directrice de l’agence départementale pour l’information sur le logement (ADIL) de Dordogne. Ce département à dominante rurale fait face à deux difficultés principales : un manque de logements sociaux et un grand nombre de logements aux loyers peu onéreux vers lesquels se tournent les ménages aux faibles ressources, mais qui se révèlent en très mauvais état ou très gourmands en énergie.
Pour la responsable de l’ADIL, le premier apport de la CCAPEX est d’offrir une meilleure connaissance des familles menacées d’expulsion, en particulier les locataires du secteur privé. Avant sa mise en place, les commissions départementales d’aide publique au logement (CDAPL) – dont les missions ont été transférées aux CAF et à la MSA – étudiaient uniquement les dossiers des ménages vivant en logement conventionné. « Dans les faits, elle s’occupaient surtout des bailleurs publics puisque les propriétaires privés conventionnés ne déclaraient pas forcément les impayés à temps, poursuit Frédérique Frison-Lefèvre. En s’ouvrant à l’ensemble du parc privé, les CCAPEX élargissent considérablement le nombre de situations que l’on peut résoudre. » En 2011, la CCAPEX de Dordogne a ainsi étudié 225 dossiers, dont 120 dans le parc privé et 105 dans le parc public, concernant une majorité de personnes seules ou de familles monoparentales (voir page 33). Elle a majoritairement été saisie par la CAF (60 % des saisines), mais aussi par les bailleurs (15 %) (4).
« Le bilan de l’année 2011 est vraiment bon », estime Frédérique Frison-Lefèvre. La plupart des dossiers étudiés (68 %) ont trouvé une issue positive pour le ménage en difficulté (rétablissement de l’aide au logement, dettes soldées, relogement dans le secteur public, déménagement, etc). En revanche, dans 13 % des cas, le ménage n’a adhéré à aucune forme d’aide et la procédure d’expulsion n’a pas pu être évitée. Enfin, 19 % des dossiers n’ont pas été étudiés par la CCAPEX (déménagement ou réquisition de la force publique avant le passage en commission). Ces résultats s’inscrivent dans un contexte local déjà bien outillé en matière de prévention des expulsions. « Au sein de l’ADIL, deux salariés y sont entièrement voués depuis 1998, précise Frédérique Frison-Lefèvre. Un partenariat avec les bailleurs sociaux les avertit dès les premiers impayés, ce qui fait que, au final, seuls 30 % des ménages concernés seront assignés en justice. »
En outre, dès que l’assignation est transmise par le préfet aux partenaires, les travailleurs sociaux se rendent systématiquement au domicile des personnes pour analyser leur situation. « Cela nous permet aussi de repérer si les gens vivent dans un logement indécent voir indigne. » Un partenariat avec les barreaux de Périgueux et de Bergerac permet également aux personnes de bénéficier d’un avocat lors de l’audience au tribunal, via l’aide juridictionnelle. Au final, 70 % des locataires sont présents ou représentés. Un taux bien supérieur à la moyenne nationale, où le taux d’absentéisme lors de ces audiences s’élève à 62 %.
Toujours dans le Sud-Ouest, le département de la Charente, qui a vu augmenter de 10 % le nombre de procédures d’expulsions entre 2007 et 2011 (contre 50 % au niveau national), possède un dispositif de prévention unique en son genre (5). Le groupement d’intérêt public (GIP) Charente Solidarités regroupe depuis 1998 tous les acteurs intervenant dans le champ de la prévention des expulsions, sous la houlette du département et de la préfecture. « Si au départ on ne voyait pas très bien quelle plus-value elle pouvait nous apporter, la CCAPEX a finalement un peu élargi notre spectre de partenaires, comme les associations caritatives et les dispositifs d’urgence que l’on voyait un peu moins souvent », reconnaît aujourd’hui Gervais Rougier, directeur du GIP. En 2011, cette commission a étudié neuf dossiers et formulé sept recommandations et un avis. Mais six de ces situations avaient déjà été examinées par la cellule de recours mensuelle du GIP. L’arrivée de la nouvelle instance, à qui échoient les rares cas passés entre les mailles du filet du groupement, n’aura donc pas été décisive dans le département.
En Ile-de-France, et plus particulièrement dans la Seine-Saint-Denis, la situation se révèle bien différente. Devant l’ampleur des difficultés d’accès et de maintien dans le logement des ménages, les CCAPEX ne semblent pas de trop pour répondre aux besoins. Dans cette région, le nombre d’assignations pour impayés de loyer est passé de 31 000 en 2000 à 33 000 en 2010. Une relative stabilité qui masque l’augmentation forte des expulsions avec concours de la force publique. Pour des raisons budgétaires, les préfectures font en effet de plus en plus le choix d’aller au bout de l’expulsion (6). A l’image de la situation au plan national, chaque CCAPEX francilienne possède une organisation différente (7). Par exemple, celle de l’Essonne n’étudie aucun dossier, préférant examiner des cas d’école, quand la commission des Yvelines – la plus ancienne – traite environ 3 000 dossiers par an. Leur organisation territoriale peut également varier : certaines sont uniques pour l’ensemble du département quand d’autres sont découpées en plusieurs arrondissements.
« Chaque commission s’est adaptée aux réalités du terrain, constate Lucie Labbouz, chargée de mission sur la prévention des expulsions à la DRIHL (direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement). La majorité des CCAPEX ont choisi de traiter des dossiers individuels. A ce titre, les critères de sélection sont différents d’un département à l’autre. Certains portent sur le niveau de l’impayé de loyer, d’autres sur la situation locative des locataires menacés d’expulsion, etc. » (8). Dans la Seine-Saint-Denis, département qui concentre les difficultés économiques et sociales, la CCAPEX porte une démarche originale en poursuivant deux missions : l’analyse de dossiers concrets et l’analyse de cas théoriques, qui conduisent à la rédaction des fiches de bonnes pratiques avec les partenaires concernés. Cette commission a ainsi eu l’occasion de plancher sur le droit au logement opposable (DALO), la procédure d’expulsion dans les squats, les dispositifs de tutelle/curatelle ou les arrêtés de péril et d’insalubrité.
La trentaine de partenaires de la CCAPEX étudie tous les mois six à quinze dossiers concrets. « Cela prend du temps car on rentre dans le fond de chaque situation », explique Vanessa Serrano, chef du bureau de prévention des expulsions au sein de l’unité territoriale de la DRIHL de Seine-Saint-Denis. Dans ce département, un cas est défini comme complexe lorsqu’il fait l’objet d’un échec de coordination, c’est-à-dire que « différentes choses ont été tentées par différentes instances mais que les réponses ont été soit négatives, soit contradictoires entre organismes ». La CCAPEX semble ici bien jouer son rôle de déminage de situations délicates, notamment lorsque les relations entre le bailleur et le locataire sont très tendues. « Nous sommes très satisfaits des retours des premières commissions », assure Vanessa Serrano, évoquant une situation particulièrement difficile. « On a réussi à convaincre le bailleur de laisser une nouvelle chance à la mère de famille qui vivait dans un logement social depuis dix ans, raconte-t-elle. Elle a pu signer un nouveau bail, qui était auparavant au nom de son concubin. » Le second rôle de cette CCAPEX visant à « actualiser les pratiques et les connaissances » semble également apprécié. Toutes les fiches pratiques réalisées par la commission devraient être annexées à la charte de prévention des expulsions en cours de réactualisation dans le département et dans le reste de l’Ile-de-France.
Reste que l’arrivée des CCAPEX est loin de répondre à l’ampleur de la tâche. « Chez nous, cette commission fonctionne bien, mais nous sommes loin de capter l’ensemble des ménages menacés d’expulsion, constate Anne-Laure Rançon, responsable du pôle juridique de l’ADIL du Val-de-Marne. Cette commission ne peut pas changer à elle seule la situation. » Le fait que celle-ci ne puisse qu’émettre des avis et des recommandations et ne soit en aucun cas décisionnaire constitue une première limite de taille. Il n’est en effet pas rare qu’une commission demande au préfet de ne pas recourir à la force publique pour expulser un ménage, mais que ce dernier décide le contraire. D’autre part, les CCAPEX ne sont pas saisies obligatoirement, ce qui limite encore leur portée.
La grande latitude laissée aux acteurs locaux pour leur mise en place n’est pas non plus vue d’un très bon œil. « Trop de disparités entre les CCAPEX engendrent de l’inéquité », ajoute Marie Rothhahn, qui regrette que les règlements intérieurs et la définition des cas complexes « varient du tout au tout ». Par ailleurs, les acteurs pointent une insuffisante articulation des CCAPEX avec d’autres instances, comme les commissions de surendettement ou les commissions DALO. « Certains préfets expulsent des ménages pourtant prioritaires au titre du DALO », regrette la chargée de mission de la Fondation Abbé-Pierre.
Autre reproche adressé au dispositif, ses trop faibles moyens de fonctionnement. Aucune enveloppe nouvelle n’a été prévue pour sa mise en œuvre. « Quand on compare ces commissions à celles du droit au logement opposable, les moyens octroyés sont ridicules », estime Marie Rothhahn. Difficile, dans ces conditions, de réaliser une instruction efficace des dossiers avant de les étudier en commission et d’assurer un suivi de la mise en œuvre des avis et recommandations. Pour l’ANIL, l’absence d’un véritable diagnostic de la situation du ménage représente une faiblesse majeure. Elle constate ainsi que « les réunions consistent souvent à mettre en commun les informations dont disposent les divers participants à propos d’un même dossier, mais se limitent à renvoyer le dossier vers le service social si le lien avec le ménage n’a pas été établi ou s’il se trouve rompu. Dès lors, la commission est dans l’impossibilité de rendre un avis ou une recommandation efficace. » Même la CCAPEX de Seine-Saint-Denis, qui dispose d’une équipe étoffée pour instruire les dossiers, peine à remplir cette mission. « Notre équipe a les moyens de creuser les dossiers pour recueillir des informations. Mais elles ne sont pas toujours faciles à obtenir auprès des différents services. C’est notre principal frein », confie Vanessa Serrano. Autre difficulté technique, l’absence de logiciel unique permettant de mesurer l’activité. « Les CCAPEX ne disposent pas pour le moment d’outil statistique de gestion, constate Lucie Labbouz. Dans l’attente de celui-ci, chacune travaille avec son propre tableau Excel. »
Plusieurs pistes d’amélioration sont évoquées pour renforcer l’efficacité de ces commissions. Tout d’abord, une harmonisation de leurs missions et de leur fonctionnement. L’ANIL propose notamment l’élaboration progressive d’une définition nationale des « cas complexes ». Un effort de communication auprès des bailleurs et des locataires en difficulté pourrait également leur permettre de gagner en visibilité. « Il faudrait que notre dispositif soit mieux connu du public, notamment dans le secteur privé, note Vanessa Serrano. Il ne faut surtout pas que la CCAPEX soit vue comme un lieu qui pointerait du doigt les défaillances de qui que ce soit, mais comme un lieu qui essaie de régler des problèmes. » A ce sujet, l’ANIL estime que certaines commissions devront dépasser leur réticence à communiquer davantage par crainte d’être submergées de demandes. Enfin, s’agissant de l’instruction des dossiers, cette dernière suggère de confier cette mission à un opérateur extérieur. Autant de pistes qui nécessitent des moyens supplémentaires et une forte volonté politique.
Deux numéros nationaux d’appel existent pour favoriser la prévention des expulsions. Le numéro « Allô prévention expulsions » (0 810 001 505) de la Fondation Abbé-Pierre a été lancé en 2009.
D’après une étude d’impact conduite en 2011 sur ce numéro, 56 % des appels provenaient d’Ile-de-France, 10 % de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, 4 % de Rhône-Alpes et 4 % du Nord-Pas-de-Calais, « des régions touchées par la crise du logement et la cherté des loyers ». En mars 2010, le secrétariat d’Etat au logement a par ailleurs confié à l’Agence nationale pour l’information sur le logement (ANIL) la mise en place du numéro gratuit « SOS loyers impayés » (0 805 106 075) à destination des locataires et des bailleurs. Il a enregistré 13 000 appels en 2011.
Dès le premier impayé de loyer, le bailleur peut engager une procédure d’expulsion qui suit plusieurs grandes étapes.
• Le commandement de payer, délivré par un huissier, donnant deux mois au locataire pour trouver une solution.
• L’assignation, délivrée par huissier de justice, qui fixe une date d’audience devant le tribunal d’instance.
• L’information au préfet par l’huissier deux mois avant l’audience, qui permet au préfet d’informer les organismes sociaux et de lancer une enquête financière et sociale.
• L’audience devant le tribunal d’instance, où le locataire peut se faire représenter.
• La résiliation du bail, si le juge n’a pas accordé de délai (inférieur à deux ans) pour régler la dette locataire.
• Le commandement de quitter les lieux à partir duquel le locataire peut demander au juge de l’exécution un délai de un mois à un an.
• Le concours de la force publique qui peut être demandé si le locataire se maintient dans les lieux – excepté du 1er novembre au 15 mars lors de la trêve hivernale (sauf exception).
(1) Ces chiffres, fournis par la Fondation Abbé-Pierre, concernent les assignations pour impayé de loyer mais aussi trouble de voisinage, congé pour vente, etc.
(2) D’après la circulaire du 31 décembre 2009, les situations complexes sont celles qui peuvent déboucher sur un refus d’aide, une suspension d’aide ou des situations d’échec – Voir ASH n° 2644 du 29-01-10, p. 11.
(3) Voir ASH n° 2748 du 24-02-12, p. 12.
(4) Si certaines CCAPEX ouvrent la saisine aux bailleurs et ménages locataires, d’autres s’y refusent. Mais la grande majorité des saisines provient de la CAF ou de la préfecture.
(5) Voir notre reportage sur celui-ci, ASH n° 2671 du 27-08-10, p. 42.
(6) L’expulsion leur permet d’éviter d’avoir à indemniser les bailleurs en cas de maintien des locataires dans les lieux.
(7) La DRIHL répertorie le fonctionnement de chaque CCAPEX d’Ile-de-France sur son site :
(8) Selon le rapport de l’ANIL, les impayés étudiés par les CCAPEX s’élèvent pour 55 % des dossiers à un montant compris entre 2 000 et 5 000 €. Mais en Ile-de-France, ce sont parfois des dettes de plus de 11 000 € qui sont étudiées.