Une dilution des interventions sur un nombre beaucoup trop important de quartiers. Des défauts persistants de gouvernance et de coordination. Un manque d’articulation entre rénovation urbaine et accompagnement social. Une répartition inadéquate des crédits dédiés à la politique de la ville. Ou bien encore une trop faible mobilisation des politiques publiques de droit commun. Tels sont les facteurs qui, selon un rapport de la Cour des comptes rendu public le 17 juillet (1), expliquent qu’après une décennie de réformes entamée avec la loi du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine et en dépit des efforts réalisés, les écarts de développement entre les quartiers prioritaires et les villes environnantes ne se sont pas réduits. Une analyse dont les sages de la rue Cambon tirent tout un ensemble de recommandations, à l’heure où le gouvernement planche sur un nouveau plan de réhabilitation des quartiers sensibles.
Pour la Cour des comptes, la mise en œuvre de la loi de 2003 s’est heurtée à l’incapacité à réformer une géographie prioritaire trop complexe, marquée par un enchevêtrement de dispositifs contractuels et territoriaux (2). Une réforme de la définition des zones prioritaires était pourtant prévue par la loi de finances pour 2008 mais le gouvernement précédent a repoussé ce chantier à 2014. « De ce fait, explique le rapport, des réformes qui étaient envisagées ont été gelées, en particulier celles concernant le renouvellement des contrats urbains de cohésion sociale, initialement prévu en 2012, ainsi que la révision de la dotation de solidarité urbaine. » La redéfinition des zones prioritaires apparaît donc aujourd’hui, pour la Cour des comptes, comme le préalable indispensable à toute nouvelle réforme. Elle doit permettre de concentrer l’effort sur les territoires qui présentent les difficultés les plus grandes tout en harmonisant les zonages légaux et contractuels.
Autre « mauvais résultat » pointé par les magistrats financiers : la politique de la ville manque d’une coordination interministérielle suffisamment forte dans un contexte où les intervenants sont de plus en plus nombreux, en particulier depuis la création de l’Agence nationale de rénovation urbaine et de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances. La Cour des comptes juge en outre que, à l’échelon central, le pilotage assuré par le secrétariat général du comité interministériel des villes est insuffisant pour assurer une bonne coordination entre les interventions de ces agences nationales et celles des ministères concernés ou entre ces derniers et les collectivités. Il en est de même sur le terrain où le rôle de coordination des préfets, notamment des préfets à l’égalité des chances, doit être renforcé.
La Cour des comptes critique encore l’utilisation par l’Etat des crédits mobilisés en direction des quartiers prioritaires : crédits « de droit commun » mais aussi crédits spécifiques du programme budgétaire dédié à la politique de la ville.
S’agissant des premiers, faute de document budgétaire complet et fiable retraçant l’effort financier de toutes les administrations en faveur des banlieues, la Haute juridiction financière exprime des doutes sur l’intervention effective des politiques publiques dans les quartiers. Et elle recommande aux pouvoirs publics de s’assurer que ces crédits sont bien supérieurs à ceux qui sont mobilisés, en moyenne, sur l’ensemble du territoire.
Quant aux crédits spécifiques de la politique de la ville, la Cour des comptes déplore qu’ils ne soient pas prioritairement mobilisés en faveur des zones connaissant les difficultés les plus fortes. Elle recommande à cet égard un rééquilibrage dans leur répartition au profit des six départements identifiés comme rencontrant les plus grandes difficultés : Bouches-du-Rhône, Essonne, Nord, Rhône, Seine-Saint-Denis et Val-d’Oise.
Autre critique liée à l’affectation de ces crédits spécifiques : ces derniers bénéficient à des associations soumises à des objectifs peu contraignants et dont les résultats sont insuffisamment évalués.
Enfin, les sages pointent le risque que ces crédits spécifiques se substituent dans certains cas aux crédits de droit commun pour financer des actions qui relèvent normalement des politiques de chaque ministère. Un effet pervers « particulièrement marqué dans le domaine de l’éducation et de l’emploi », où la complémentarité des financements devrait au contraire être renforcée.
Assurant partager nombre des constats de la Cour des comptes, le ministre délégué chargé de la ville a annoncé le 17 juillet sur Europe 1 qu’il allait lancer à la rentrée, notamment avec les élus, une « concertation » sur la politique de la ville, « pour arriver à une nouvelle carte qui soit plus adaptée à la réalité » et permette de concentrer les efforts sur les territoires les plus en difficulté.
Interrogé sur la demande de la Cour des comptes de limiter l’action à six départements, François Lamy a toutefois rejeté cette proposition qui exclurait certains quartiers difficiles. Le ministre souhaite également mettre en place un nouveau contrat unique avec les acteurs locaux, conciliant plus finement rénovation urbaine et cohésion sociale.
(1) Rapport disp. sur
(2) La politique de la ville est aujourd’hui mise en œuvre dans 751 zones urbaines sensibles (ZUS), au sein desquelles on décompte 416 zones de redynamisation urbaine, comprenant elles-mêmes 100 zones franches urbaines. Et à ces zones s’ajoutent 2 493 quartiers ciblés par des contrats urbains de cohésion sociale, dont 70 % ne sont pas classés en ZUS.