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Naissances en errance

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Les professionnels de l’unité de psychopathologie périnatale de l’hôpital Delafontaine, à Saint-Denis, voient croître le nombre de femmes enceintes et de jeunes accouchées en situation d’errance. L’établissement et son service social se sont adaptés à leur prise en charge, mais l’insuffisance des solutions d’accueil à la sortie de la maternité est criante.

Paniqué, les larmes aux yeux, un homme débarque en cette fin de matinée dans l’unité de psychopathologie périnatale (UPP)(1) de l’hôpital Delafontaine, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Sarah Stern, la pédopsychiatre qui dirige l’unité, le reçoit presque immédiatement. Il est originaire du Sri Lanka, et le médecin suit son épouse qui a accouché ici il y a un an. Elle est atteinte d’une dépression. Avec ses trois enfants, le couple, qui a vu sa demande d’asile refusée et ne dispose plus d’aucun titre de séjour, vient d’être mis à la rue. La pédopsychiatre est très inquiète : « Vous devez appeler le 115 », insiste-t-elle, avant de traduire (l’homme ne parle pas français, tout juste quelques mots d’anglais), puis d’inscrire le numéro sur une feuille de papier. Il est déjà 13 heures. « Faites-le. You have to call to explain your situation : three children and a wife, very fragile. » (2) Elle signale également la situation au service social de l’hôpital, mais elle craint que celui-ci ne puisse intervenir puisqu’il ne s’agit pas de patients hospitalisés. « Pour de nombreuses femmes en errance, nous sommes le seul repère, le seul lien, résume la praticienne. Alors quand elles sont en difficulté, elles reviennent vers nous, même si nous n’avons pas de moyens à notre disposition pour les aider. Cette fois-ci, c’est le papa qui est venu, mais la problématique est bien là. »

L’hôpital Delafontaine est l’établissement de France métropolitaine qui reçoit le plus de patients précaires. « Sur 3 000 accouchements annuels, 1 000 passent par le service social », note Catherine Lesamedi, responsable du service social patients. L’année dernière, les jeunes accouchées sans domicile fixe étaient au nombre de 118, et 116 n’avaient aucune solution d’hébergement à leur sortie de la maternité. Autre chiffre : une vingtaine de femmes ont été orientées vers le 115 au cours de la période prénatale. « Au départ, je ne m’inquiétais pas du tout du social, précise Sarah Stern. Mais depuis cinq ans, ça s’est tellement dégradé que nous sommes bien obligés de nous impliquer. En ce moment, à l’UPP, nous rencontrons deux ou trois personnes vivant de façon précaire par semaine. »

Des parcours plus fluides

A la maternité, chaque matin, l’une des trois assistantes du service social fait la tournée du service, en fonction des situations qui lui ont été rapportées par les sages-femmes. « Nous avons adapté notre fonctionnement aux situations de précarité grâce à de multiples points, résume Catherine Lesamedi. Par exemple, toute femme peut s’inscrire chez nous, même si elle n’est pas domiciliée dans notre bassin de population. Ce serait évidemment préférable qu’elle accouche près de là où elle réside, mais dans la mesure où son hébergement est susceptible de changer très souvent, mieux vaut qu’elle sache qu’elle peut venir nous trouver. » C’est le cas de FatoumataT., une jeune maman ivoirienne, qu’Océane Cabanou, assistante de service social de la maternité, rencontre ce matin dans sa chambre. Hébergée par l’intermédiaire du 115 depuis mars dernier, elle se trouvait pour toute la fin de sa grossesse dans un hôtel de Choisy-le-Roi – en banlieue sud, alors que l’hôpital Delafontaine se trouve au nord de Paris. « Quand les gens sont en confiance, qu’ils savent qu’ils seront bien accueillis dans notre établissement, cela crée un lien et ils reviennent », souligne Catherine Lesamedi.

Par ailleurs, si trois assistantes de service social travaillent exclusivement sur le secteur maternité, elles ne s’échangent pas les dossiers et suivent une patiente qu’elles ont prise en charge du début jusqu’à la fin de son hospitalisation. « Si une femme revient pour une nouvelle grossesse, la même assistante de service social reprendra son dossier, insiste la responsable du service. Nous voulons lutter contre l’anomie. C’est très important pour ces patientes précaires, et garant de notre réussite. » Une réussite que la professionnelle résume en trois notions : l’accès au soin, le retour dans le droit commun et la satisfaction du patient. Enfin, des fiches de liaison ont été instaurées pour orienter les femmes vers les associations partenaires où elles peuvent trouver le lait, les couches et autres accessoires de puériculture dont elles auront besoin. « Souvent les associations vont exiger d’elles des papiers prouvant qu’elles habitent bien la commune où elles interviennent, voire des actes de naissance. Avec les fiches, les associations savent qui sont ces femmes et peuvent nous contacter si elles ont besoin de précisions. Cela fluidifie les parcours. »

Le logement en hôtel inadapté

Constituée de cinq psychologues, de deux psychiatres et d’une puéricultrice, l’équipe de psychopathologie travaille en lien étroit avec la maternité et se présente à toutes les patientes qui accouchent à Delafontaine sans avoir disposé d’un suivi de grossesse régulier. « Pour nous, c’est un signe d’alerte quant à l’attention portée à l’enfant », explique la pédopsychiatre. Elle rencontre également celles qui sont orientées par le service social, si leur errance est détectée par les sages-femmes de la maternité. « Au moment de l’accouchement, elles disent qu’elles n’ont pas de domicile, et cela suscite une telle anxiété qu’un entretien fait toujours du bien, poursuit-elle. Même si toutes n’ont évidemment pas besoin d’un suivi psychiatrique ou psychologique. »

Sarah Stern distingue trois situations types : de très jeunes femmes en rupture familiale, des patientes en fragilité psychique qui relèveraient plutôt du secteur psychiatrique si celui-ci n’avait pas drastiquement réduit ses capacités d’accueil, et des femmes isolées sans papiers – « de loin les plus nombreuses », selon la responsable de l’UPP. « Lorsque nous les repérons en prénatal, remarque Océane Cabanou, elles sont souvent hébergées par des tiers qui ne veulent pas continuer de les recevoir une fois l’enfant né. » C’est donc le 115 qui prend le relais… « Et encore, le SAMU social n’héberge pas les femmes avec des enfants de moins de 7 jours », poursuit la travailleuse sociale. S’il le faut, pour faire la jonction, un ou deux jours d’hospitalisation pourront éventuellement être ajoutés à une patiente qui a subi une césarienne. « Nos médecins savent que la précarité est très compliquée à gérer, complète Catherine Lesamedi, et qu’il faut en tenir compte dès le jour de l’accouchement. »

Mais le logement en hôtel que propose le 115 est loin d’être une solution adaptée aux femmes enceintes ou avec des nouveau-nés. Si, jusqu’au début 2011, ce service était en mesure de proposer une stabilisation dans le même hôtel à partir du quatrième mois de grossesse, cela n’est plus possible aujourd’hui. « Du coup, après la période initiale d’évaluation de quinze jours, elles enchaînent des séjours de trois-quatre jours à droite, à gauche », s’alarme la responsable du service. Ce fonctionnement les oblige à déménager sans cesse leurs effets personnels, à se recréer des repères et un réseau social dans chaque nouveau lieu d’hébergement… « Cela demande des capacités d’adaptation très importantes, à un moment où les femmes sont dans une situation de grande fatigue et où elles ont besoin de sécurité matérielle et affective », poursuit la pédopsychiatre. Et la situation n’épargne pas celles qui ont plusieurs enfants, comme MariamB., repartie pour l’hôtel après son accouchement avec un bébé présentant une dysplasie de la hanche et son fils aîné de 7ans. Scolarisé à Saint-Ouen, l’enfant est, au gré des places disponibles, ballotté d’une banlieue à l’autre. « Et le soir, on mange des sandwichs, parce que, dans les hôtels, on ne peut pas cuisiner », raconte la jeune femme arrivée de Tunisie il y a dix-huit mois. Dans son malheur, une lueur d’espoir, pourtant. A la suite des mauvais traitements que lui infligeait son compagnon, père de son deuxième enfant, Mariam a porté plainte et bénéficie désormais d’une ordonnance de protection. Elle devrait prochainement obtenir un titre de séjour, et donc accéder à d’autres types d’hébergement.

Parfois, des solutions de fortune

Brigitte Andrieux, puéricultrice de l’UPP, a développé tout un carnet d’adresses pour orienter les patientes vers les associations qui pourront les aider en offrant un accueil de jour, un lieu d’échange parents-enfant, des vêtements, des couches, de la nourriture pour bébé, etc. Mais, parfois, aucune solution ne se dessine. « Un jour, en désespoir de cause, alors que le 115 n’avait plus rien à proposer, nous avons dû nous résoudre à conseiller à une dame qui n’avait plus aucune solution de se diriger vers le service des urgences le plus proche, se souvient Brigitte Andrieux. Là, pour la nuit, elle a pu faire dormir son enfant dans un berceau, dans le hall, pendant qu’elle restait assise sur une chaise… » Le service a aussi mis en place un vestiaire pour les tout-petits à partir de dons. C’est également Brigitte Andrieux qui le gère. « Ces dames n’ont absolument rien pour accueillir leur enfant, résume la soignante. Pas de vêtements, ni de porte-bébé, ni de jouets d’éveil… Je leur explique que ce que je leur donne a été donné par d’autres mamans pour que cela soit utile. Elles peuvent le rapporter quand elles n’en ont plus besoin, et souvent elles le font. Cela leur permet de ne pas se sentir redevables. » Avec ces femmes en errance, Brigitte Andrieux tente également de travailler la question de l’allaitement. « Parce que, vous comprenez, une boîte de lait c’est quand même 18 €… » Mais l’allaitement non plus ne va pas de soi chez une jeune maman qui ne mange pas à sa faim. A l’image de Verline Joseph, qui a débarqué d’Haïti aux lendemains du tremblement de terre du 12janvier 2010. La jeune femme a accouché il y a quatre mois d’un petit Sandro. Sans titre de séjour, elle vit chez une tante, qui ne veut plus d’elle depuis qu’elle est rentrée de la maternité. « Ici, on m’a conseillé d’appeler le 115, explique la jeune femme, mais ma tante m’a dit : “Bon, finalement tu peux revenir.” Mais je n’ai aucun argent, alors parfois je ne mange pas – je n’ai pas le droit de me servir dans le frigo. Et du coup je n’ai plus de lait. » Lors de l’entretien avec la puéricultrice, qui observe discrètement le développement et les réactions de l’enfant, il sera suggéré à Verline d’entrer en contact avec l’Association vers la vie pour l’éducation des jeunes (AVVEJ), située à Bobigny, qui dispose d’un espace multiaccueil où l’enfant pourrait passer une demi-journée de temps en temps, afin d’éviter l’instauration d’un lien mère-enfant trop fusionnel.

Car l’équipe de l’UPP est avant tout attentive au bon développement de la relation mère-enfant. « Au bout d’un moment, à force de ruptures et d’errance, ces femmes, et donc leurs enfants, peuvent aller vraiment très mal », constate Sarah Stern. Sa collègue Rafaelle Pelleau, psychologue, se remémore l’histoire de cette femme originaire de République démocratique du Congo, arrivée en France à la suite du meurtre de son compagnon au cours d’une manifestation. « Elle n’avait pas de famille dans son pays, elle est arrivée ici enceinte, avec un syndrome de stress post-traumatique. Nous avons entamé une prise en charge, elle a commencé à nouer des liens avec moi, la maternité, des associations… Et puis, pensant l’aider à se stabiliser, la CAFDA [Coordination de l’accueil des familles demandeuses d’asile] l’a envoyée dans un foyer dans le nord de la France. Tout a volé en éclats. Elle avait une recrudescence de ses cauchemars. Ce qu’elle me racontait était très violent, mais je ne pouvais pas faire des entretiens par téléphone. J’ai quand même pu la mettre en lien avec le centre médico-psychologique local, même si le suivi est beaucoup plus léger que ce dont elle aurait besoin. »

Des dispositifs saturés ou trop lents

« Quand l’équipe peine à mettre en place le suivi psychologique nécessaire, c’est désespérant pour les professionnels, qui s’investissent pour rien, et bien sûr pour les patientes, qui vont de plus en plus mal », regrette Sarah Stern. Si la situation se dégrade, il faudra proposer une solution médicale, telle une hospitalisation en unité de soin mère-bébé. « Mais c’est impossible pour des femmes sans papiers, majoritaires parmi les femmes en errance, précise la pédopsychiatre. Car ce n’est pas un soin d’urgence qui peut être pris en charge dans le cadre de l’aide médicale d’Etat. Donc, au final, ces patientes n’ont pas accès aux mêmes soins que les autres. »

L’année dernière, un peu moins d’un tiers des femmes en errance qui ont accouché à Delafontaine ont également pu bénéficier d’un partenariat noué avec le Comité d’entraide aux Français rapatriés (CEFR) : 20places de son CHRS de Vaujours sont en effet réservées aux sortantes des maternités du département pour une durée de trois jours. « Certaines ont pu rester plus longtemps en fonction de l’évaluation de leur situation sociale et médicale », poursuit Catherine Lesamedi, la responsable du service social. Pour les patientes qui présentent une problématique éducative concomitante, les centres d’accueil mère-enfant du Centre départemental enfance et famille (CDEF) de Bobigny sont également accessibles, avec un hébergement de trois mois renouvelables. « Mais pour une jeune maman sans papiers, entrer dans un hôtel maternel aujourd’hui, c’est quasi impossible, tranche la travailleuse sociale. Il faut un projet d’accompagnement. Or, généralement pour elles, il ne manque “que” le logement… » Par ailleurs, ces dispositifs – qu’ils soient d’urgence ou de plus long séjour – sont saturés en Seine-Saint-Denis. D’après un « livre blanc » publié en février 2012 par Interlogement93, les places en centre mère-enfant ne couvrent que 10 % des besoins. Et leurs procédures d’admission s’étalent sur quelques jours, voire quelques semaines ou quelques mois, ce qui ne permet pas de répondre aux situations d’urgence correspondant aux sorties de maternité. Enfin, il existe dans le département de Seine-Saint-Denis la circonscription sociale spécialisée d’accueil des publics en errance (CSSAPE), mise en place par le conseil général (3). Sa mission est de rattacher les personnes qui n’ont pas de domicile à un service social. « Mais les délais d’attente sont longs, faute de moyens humains, note Catherine Lesamedi. Il est quand même arrivé que nous fassions aboutir quelques dossiers. » Pour toutes les autres, retour au 115 et à l’hôtel.

Prochain objectif, le développement d’un partenariat entre le service social de l’hôpital et l’Amicale du Nid dans l’accompagnement des mères en situation de précarité. Cette association, qui possède un accueil de jour pour les femmes en errance à Saint-Denis, reçoit déjà des patientes orientées par l’UPP ou le service social patients. « Mais nous voulons renforcer notre proposition en direction des femmes avec enfant, avec la possibilité de rencontrer un travailleur social et de bénéficier d’un suivi de l’allaitement ou de conseils de nutrition propres à leur situation de mère », précise Jean-Jacques Deluchey, directeur adjoint de l’Amicale du Nid. En effet, les mères sont parfois gênées par le regard des autres dans l’accueil de l’association tel qu’il est actuellement aménagé. « Il faut savoir trouver le juste milieu entre l’isolement complet et le trop envahissant », suggère Sarah Stern.

Pour l’heure, FatoumataT. a vu son séjour à la maternité se prolonger pour des complications consécutives à sa cé­sarienne. A Brigitte Andrieux, venue la rencontrer dans sa chambre, elle a livré toute son histoire par le menu : ses dix ans passés en France sans papiers, les hébergements chez des « connaissances », les valises laissées chez les uns ou les autres, les mensonges pour rassurer la famille restée au pays, puis les derniers mois en hôtel. Pour quitter la maternité, elle aimerait bien avoir une poussette. Et puis, timidement, elle demande : « S’il vous plaît, vous vous occupez déjà très bien de moi, alors j’ai peut-être pas le droit de demander… Mais là où on va me mettre, est-ce que c’est possible d’avoir les sanitaires dans la chambre ? Parce que, avec un bébé, vous comprenez, se relever la nuit, trouver des toilettes ou une salle de bains sales, c’est dur… »

Notes

(1) UPP de l’hôpital Delafontaine : 2, rue du Docteur-Pierre-Delafontaine – 93205 Saint-Denis – Tél. 01 42 35 61 40 (p.3049).

(2) « Vous devez appeler pour expliquer votre situation : trois enfants et une épouse, très fragile. »

(3) Voir ASH n° 2674 du 17-09-10, p. 32.

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