Quel sens les travailleurs handicapés et les personnes précaires ou touchées par le chômage de longue durée qui relèvent d’un accompagnement – dans les établissements et services d’aide par le travail (ESAT), dans les chantiers d’insertion et les centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ou via les associations de chômeurs – donnent-ils au travail ? Et comment perçoivent-ils les dispositifs qui les accompagnent ? C’est ce qu’a souhaité savoir la Croix-Rouge française, qui a mené, en partenariat avec Andicat (Association nationale des directeurs et cadres d’ESAT) et Solidarités nouvelles face au chômage (SNC) une enquête (1) auprès de 82 personnes vulnérables rencontrées en entretiens individuels (travailleurs handicapés, chômeurs de longue durée, personnes exerçant dans un chantier d’insertion ou en situation de précarité), de 45 bénévoles de SNC et de 100 professionnels du travail social (2). L’objectif était de comprendre les représentations du travail chez les personnes fragiles pour mieux les accompagner vers la réinsertion et d’interroger les dispositifs existants afin de les améliorer.
Premier constat : les trois catégories d’usagers témoignent d’un fort investissement dans le travail. Ce dernier est considéré comme « vecteur de lien social ». Avant la rémunération, le sens du travail se trouve dans « le lien aux autres, le collectif, la bonne ambiance, la bonne entente avec les collègues ». Si certains évoquent la gratification financière et la liberté ou l’indépendance qu’apporte un travail, les personnes interrogées mettent aussi en avant « le fait de se dégager du sentiment d’inutilité ou de la non-valeur, la déstigmatisation, l’ouverture des possibles et l’épanouissement ». A l’inverse, l’absence de travail entraîne perte de repères et de confiance en soi « qui vont de pair avec des journées sans rythme ni organisation structurée », relatent tout aussi bien les personnes au chômage que les travailleurs en chantier d’insertion ou les personnes en situation de précarité. L’isolement et la perte du lien social sont aussi mis en avant. « En définitive, l’inactivité subie aboutit à une véritable épreuve existentielle au sein de laquelle ce ne sont plus seulement les repères et les liens ordinaires qui se défont, mais toute une structuration intérieure. L’expérience du chômage est vécue, lorsqu’elle est durable, comme une disqualification de la personne toute entière », notent les auteurs. Pour Didier Piard, directeur de l’action sociale à la Croix-Rouge, ces témoignages montrent que, contrairement à certains discours, les demandeurs d’emploi veulent être actifs et qu’au-delà de leur recherche d’emploi, il faut « leur permettre de réaliser des activités qui les valorisent, dans lesquels ils trouvent un sens, comme le bénévolat par exemple ».
Les personnes au chômage sont très critiques vis-à-vis des dispositifs classiques proposés par Pôle emploi. Les réponses apportées, celle de « l’aiguillage » qui met en relation une situation d’inactivité avec des offres d’emploi, sont « expéditives » et laissent de côté la question de l’accompagnement et la personnalisation. Ainsi, « les modalités d’intervention de Pôle emploi contribuent à renforcer l’isolement et l’exclusion plutôt qu’elles n’y répondent ».
Les critiques se portent aussi sur l’environnement de travail des dispositifs protégés. Les conditions de travail dans les ateliers ou les chantiers d’insertion sont parfois mauvaises : il y fait froid, certaines personnes se plaignent du manque de lumière ou de la pénibilité des tâches. Les activités qui y sont réalisées ne mènent à aucune qualification, ce qui ne permet pas aux usagers de « s’inscrire dans une dynamique durable et une réelle acquisition des compétences ». Autre limite de ces structures : la cohabitation des fragilités. Ainsi en ESAT, la proximité de personnes ayant des handicaps différents pose parfois problème, certains travailleurs ne supportant pas les comportements de leurs collègues.
Au final, ces témoignages interrogent les dispositifs en place. Dans les chantiers d’insertion, « les contrats aidés maintiennent les personnes sous le seuil de pauvreté et ne vont pas au-delà de deux ans grand maximum. Alors que la personne commence juste à sortir la tête de l’eau, le contrat s’arrête et elle se retrouve sans activité, déplore Didier Piard, qui s’interroge : plutôt que de considérer ces dispositifs comme des passerelles vers le milieu ordinaire, ne vaudrait-il pas mieux en faire des structures de droit commun, avec des contrats plus longs et mieux payés ? » Dans les ESAT, si les personnes peuvent y rester toute leur vie professionnelle, « les travailleurs handicapés ne sont pas suffisamment accompagnés vers le milieu ordinaire et sont maintenus dans le secteur protégé », commente Didier Piard.
A partir de ces témoignages, les auteurs mettent en lumière quelques « clés de l’accompagnement » pour insérer des personnes vulnérables dans l’emploi. Il s’agit notamment de favoriser la participation des usagers au fonctionnement et aux décisions de l’établissement ou service ou encore de s’attacher à la personnalisation de l’accompagnement et au respect du rythme des usagers. Concernant les personnes en situation de précarité, l’enjeu est d’abord de lever un certain nombre de difficultés objectives qui représentent des freins à l’accès à l’emploi, notamment la garde d’enfants et la non-maîtrise de la langue française.
(1) Enquête présentée lors du colloque « Le sens du travail – Accompagner les personnes vulnérables vers et dans l’emploi » organisé le 16 mai à Paris par la Croix-Rouge française – L’enquête sera disponible prochainement sur
(2) Professionnels des ESAT (moniteurs d’ateliers, éducateurs techniques spécialisés, responsables commerciaux…), de chantiers d’insertion et de CHRS.