Recevoir la newsletter

« En période de crise, l’opinion publique est plus compatissante envers les exclus »

Article réservé aux abonnés

La ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine, affirmait récemment sa volonté d’« en finir avec la stigmatisation des pauvres » et appelait à un changement de philosophie sur la lutte contre l’exclusion. Mais les Français sont-ils hostiles à l’aide aux populations démunies et, plus globalement, à une politique sociale redistributive ? L’éclairage de Régis Bigot, économiste et sociologue au Crédoc.

Avec la crise, depuis 2008, la pauvreté et l’exclusion sont-elles davantage stigmatisées au sein de la population ?

Nous ne percevons pas, à travers nos études, un renforcement de la stigmatisation à l’égard des plus pauvres. Au contraire, nous observons qu’en période de crise l’opinion publique se montre un peu plus compatissante envers les exclus et davantage en demande d’intervention de la part des pouvoirs publics. C’est une tendance que l’on avait déjà remarqué en 1993 et qui se vérifie depuis 2008. Lorsque les difficultés se font sentir plus durement, la population est davantage sensible à l’évolution de la pauvreté et des inégalités. Une enquête qui sera bientôt publiée pour la direction générale de la cohésion sociale [DGCS] montre d’ailleurs que plus le niveau de vie de la population s’élève, ce qui est une réalité sur une longue période, plus l’intolérance est grande à l’égard de la pauvreté et de la grande exclusion. Les gens se demandent comment notre société peut rester soudée si l’on tolère que certaines personnes vivent dans des conditions véritablement indignes. La différence aujourd’hui par rapport à 1993 est que l’opinion publique souhaite désormais davantage une régulation des disparités par le haut de l’échelle sociale, alors que, dans la crise précédente, il s’agissait d’abord d’éviter que les gens en bas de l’échelle ne sombrent définitivement dans la pauvreté. Ces dernières années, le débat public a beaucoup porté sur les rémunérations des grands patrons, des sportifs de haut niveau, des artistes… Et de fait, depuis une dizaine d’années, les très hauts revenus, ceux qui appartiennent au 1 % le plus riche de la population, ont vu leurs rémunérations augmenter de manière très significative. Or les Français, on le sait, sont nettement plus sensibles que d’autres populations à la question de l’égalité, synonyme de maintien d’une certaine unité.

Certains font néanmoins état d’une forme de rejet de la part des ménages du bas de la classe moyenne à l’encontre des exclus qui, eux, bénéficient du système redistributif. L’avez-vous observé ?

C’est quelque chose qui a toujours existé. C’est d’ailleurs l’un des principaux arguments des commentateurs d’orientation libérale qui considèrent que les classes moyennes paient des impôts tout en bénéficiant peu des prestations redistributives. Mais ces dernières années, avec le discours ambiant sur l’assistanat, on a vu l’opinion se crisper à ce sujet. Il est vrai que les classes moyennes, en termes d’avantages sociaux et fiscaux liés aux enfants, se trouvent dans le creux d’une courbe en U où l’on trouve, à une extrémité, les plus pauvres et, à l’autre, les plus riches. Pour mémoire, la moitié de la population gagne moins de 1 900 € par mois et 30 % se situent dans la fourchette de 1 200 € à 1 900 €. Or ces ménages sont aujourd’hui confrontés à des difficultés que l’on pensait réservées aux personnes précaires. Depuis vingt ans, même si le revenu à toujours augmenté plus vite que l’inflation, les dépenses contraintes, en particulier de logement, ont réduit sensiblement la part arbitrable des revenus. D’où une forte impression de baisse du pouvoir d’achat marquée par le fait de ne plus pouvoir partir en vacances, de ne pas pouvoir aller au restaurant ou au cinéma, de devoir faire attention aux dépenses d’alimentation, etc. Le mouvement hostile à la redistribution vers les plus pauvres demeure néanmoins assez modéré car il persiste en France un attachement profond à la culture de la redistribution et au rôle des politiques sociales. Les dix années de gouvernement qui viennent de s’écouler ont sans doute tiré un peu l’opinion publique vers une conception un peu plus libérale et moins interventionniste. Mais les Français ne se sont pas transformés pour autant en libéraux anglo-saxons. Ils continuent de penser majoritairement que, pour que les classes moyennes se développent, il faut venir en aide aux plus démunis et niveler les évolutions des revenus vers le haut. C’est quelque chose de profondément ancré dans nos institutions et dans la société en général.

Mais ne pensent-ils pas que l’Etat en fait trop pour les exclus ?

Nous disposons d’un indicateur sur cette question qui remonte à 1991. Actuellement, 62 % de la population considère l’intervention de l’Etat insuffisante à l’égard des plus démunis. Et si l’on remonte à 2002, ce chiffre était de 53 %. Depuis 1991, il y a toujours eu entre la moitié et les trois quarts de la population qui pensait qu’on n’en faisait pas assez pour les plus démunis. Un autre indicateur datant, lui, de 1988 concerne le RSA (auparavant le RMI). La question est de savoir si ce dispositif aide plutôt les gens à s’en sortir ou s’il les incite au contraire à ne pas rechercher d’activité. Lors de la création du RMI, l’opinion publique était plutôt favorable, jugeant nécessaire la création d’un filet de sécurité sociale pour les personnes ayant vraiment du mal à s’en tirer professionnellement. Puis, au fil du temps, cette opinion s’est un peu durcie, avec le sentiment que cette aide était donnée sans véritable contrepartie. La création du RSA, en 2009, a changé la donne et la suspicion de favoriser l’assistanat a reculé. Puis, à nouveau, on constate que l’opinion favorable au RSA s’étiole un peu. L’espoir qu’il avait suscité lors de son lancement semble s’estomper pour les mêmes raisons que pour le RMI précédemment. Néanmoins, une majorité de la population continue de juger le RSA plutôt utile. C’est ce que montre notre étude de 2010 sur l’état de l’opinion sur le RSA et les prestations familiales.

L’opinion publique est cependant favorable au principe de la contrepartie…

En réalité, elle est assez partagée. Les deux tiers de la population pensent qu’une certaine contrepartie est nécessaire, sans aller jusqu’à un contrôle et à une stigmatisation excessifs des personnes précaires. Le troisième tiers estime qu’il faudrait au contraire imposer davantage aux bénéficiaires de travailler, quitte à réaliser des heures d’intérêt général. Le clivage passe évidemment entre la gauche et la droite, mais aussi entre catégories socioprofessionnelles. Paradoxalement, les plus compréhensifs se retrouvent à la fois chez les plus pauvres – ce qui est logique – mais aussi chez les plus riches. Beaucoup de personnes aisées estiment en effet que l’Etat a un rôle à jouer en vue de maintenir un socle minimal de cohésion sociale. Pour elles, l’égalité des chances, c’est aussi permettre à chacun de disposer d’un niveau de confort minimal afin d’avoir la possibilité de s’insérer dans la vie sociale. Les personnes dégagées des principales contraintes financières sont donc plutôt favorables à la redistribution afin de maintenir la cohésion sociale. En revanche, au sein des classes moyennes, compte tenu de la difficulté que rencontrent beaucoup de ménages à joindre les deux bouts, on souhaite davantage que tout le monde fasse des efforts pour s’en sortir et l’on observe davantage de suspicion à l’égard de prestations sociales qui n’inciteraient pas à travailler.

Qu’attendent les Français de l’Etat en matière de cohésion sociale ?

Le Crédoc a publié, en 2011, une étude pour la DGCS afin de connaître les attentes des Français en matière de cohésion sociale (1). Avant de la réaliser, nous pensions que le maintien de la cohésion sociale passait, dans l’opinion publique, avant tout par l’existence d’un Etat providence plus ou moins interventionniste et protecteur. La cohésion sociale est, certes, un mot valise dans lequel chacun met un peu ce qu’il veut, mais il ressort de cette étude que, pour la majeure partie de la population, ce sont les efforts de chacun pour vivre ensemble, l’engagement de certains au sein des associations et l’entraide familiale qui contribuent le plus à la renforcer – 41 % des personnes citent même le respect mutuel comme condition indispensable à la cohésion sociale, bien avant la réduction des inégalités sociales. Bien sûr, les réponses mettent aussi en avant des demandes d’intervention forte dans des domaines aussi essentiels que l’emploi, le logement, l’éducation et l’école. Mais, pour résumer, la population française défend majoritairement un modèle mixte, qui passe à la fois par des interventions publiques visant à soutenir des conditions de vie permettant à chacun de s’insérer et par la création de liens sociaux, la transmission d’un certain nombre de valeurs républicaines et les efforts de chacun dans ses relations avec les autres. La principale menace désignée comme pesant sur la cohésion sociale est alors la montée de l’individualisme, devant les discriminations, le chômage et la pauvreté.

REPÈRES

Economiste et sociologue, Régis Bigot est directeur du département « Conditions de vie et aspirations des Français » du Crédoc. Il a dirigé, avec Patricia Croutte, l’étude « RSA, prestations familiales et aides aux familles : état de l’opinion début 2010 », réalisée pour la CNAF (Crédoc, 2010). Il a par ailleurs publié Fins de mois difficiles pour les classes moyennes (Ed. de l’Aube, 2010).

Notes

(1) « Pour l’opinion, la cohésion sociale repose sur les efforts de chacun et l’action des pouvoirs publics » – Sandra Hoibian – Rapports n° 275 du Crédoc.

Rencontre

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur