Il n’y a désormais plus aucune ambiguïté. Le séjour irrégulier d’un étranger ne peut plus justifier, à lui seul, son placement en garde à vue. C’est le sens de trois décisions rendues le 5 juillet par la chambre civile de la Cour de cassation (1) (sur les réactions associatives, voir ce numéro, page 29) qui, ce faisant, a donc suivi l’avis de la chambre criminelle rendu il y a un mois (2). La chancellerie en a immédiatement tiré les conséquences dans une circulaire du 6 juillet demandant aux parquets d’inviter les officiers de police judiciaire (OPJ) à éviter de recourir dorénavant à une mesure de garde à vue du seul chef de séjour irrégulier… tout en rappelant les conditions dans lesquelles la garde à vue demeure possible ainsi que celles dans lesquelles il peut être procédé à l’audition libre d’un étranger sans papiers ou à la vérification de son identité (3).
La question de la conformité au droit européen des placements en garde à vue prononcés au seul motif du séjour irrégulier divisait les tribunaux français depuis deux décisions sujettes à interprétation rendues par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en 2011 (4). Certains jugeaient qu’un tel placement constituait une entorse au droit européen tandis que d’autres – suivant la position de l’ancien garde des Sceaux, Michel Mercier (5) – validaient au contraire cette pratique.
Au cœur de cette bataille juridique : l’article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), qui punit d’une amende de 3 750 € et d’une peine d’emprisonnement de un an tout ressortissant d’un pays tiers à l’Union européenne qui a pénétré irrégulièrement en France, a séjourné sur le territoire sans titre de séjour ou s’y est maintenu au-delà de la durée autorisée par son visa. Cet article constitue le fondement légal de nombreux placements en garde à vue décidés sur le seul motif du séjour irrégulier. En effet, depuis la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, les officiers de police judiciaire ne peuvent placer en garde à vue que les personnes soupçonnées d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement.
Saisie de pourvois introduits par plusieurs parquets généraux contre des décisions de cours d’appel annulant des rétentions administratives d’étrangers faisant l’objet d’une procédure d’éloignement au motif de l’irrégularité de leurs placements en garde à vue pour le seul délit de séjour irrégulier, la première chambre civile de la Cour de cassation a suivi l’avis de la chambre criminelle, qu’elle avait sollicité avant de trancher. En clair, pour la Haute Juridiction, il ne fait aucun doute que, au regard de la jurisprudence de la CJUE, le recours à une peine de prison contre un étranger mis en cause pour le seul délit de séjour irrégulier prévu par l’article L. 621-1 du Ceseda est exclu lorsque l’intéressé – non disposé à quitter le territoire national volontairement – n’a pas encore fait l’objet d’une des mesures coercitives d’éloignement prévues par la directive européenne 2008/115/CE du 16 décembre 2008 – dite « directive retour » – ou s’il a déjà fait l’objet d’un placement en rétention mais n’a pas vu expirer la durée maximale de cette mesure. N’encourant pas l’emprisonnement, l’étranger placé dans l’une ou l’autre de ces hypothèses ne peut donc être placé en garde à vue à l’occasion d’une procédure de flagrant délit diligentée de ce seul chef.
Jusqu’à présent, les forces de l’ordre utilisaient fréquemment le placement en garde à vue à l’égard de personnes seulement soupçonnées de séjour irrégulier. Cette procédure leur permettait en effet de retenir les intéressés durant 24 heures, voire 48 heures en cas d’autorisation du procureur de la République. Une manière, selon les associations de défense des droits des étrangers, de donner aux préfectures le temps d’enclencher une procédure d’éloignement en cas de séjour irrégulier avéré et de faire ainsi de la garde à vue l’« antichambre de l’expulsion du territoire ».
Dorénavant, une personne qui, à l’occasion d’un contrôle, refusera ou se trouvera dans l’impossibilité de justifier de son identité pourra, si elle est soupçonnée du seul délit de séjour irrégulier, simplement être retenue sur place ou conduite à un local de police pour une procédure de vérification d’identité d’un maximum légal de quatre heures. Le ministère de la Justice en rappelle le cadre légal – l’article 78-3 du code de procédure pénale – dans une circulaire du 6 juillet. Pour la chancellerie, « l’impossibilité de justifier une identité correspond, en pratique, au cas d’espèce suivant : la personne n’a sur elle aucun papier d’identité ou document de nature à justifier de son identité ». En revanche, « une personne qui, par exemple, présente une pièce d’identité dont la date de validité a expiré justifie son identité, dans la mesure où ce n’est pas l’authenticité du titre qui est affectée mais uniquement sa validité administrative ». Dans l’hypothèse où l’intéressé est réellement dans l’impossibilité de justifier de son identité, il doit alors être présenté devant un OPJ qui le met en mesure de fournir par tout moyen des éléments permettant d’établir son identité (éléments « oraux ou écrits tels qu’un passeport, un permis de chasser, un permis de conduire, une carte professionnelle, une carte d’étudiant »). Durant le temps de la vérification d’identité, les forces de l’ordre disposent alors de la faculté d’informer les services de la préfecture.
Au-delà de la procédure de vérification d’identité, les forces de l’ordre peuvent également « retenir » sous le régime de l’« audition libre » un ressortissant étranger ne pouvant justifier de son identité. « Juridiquement concevable », cette audition sans placement en garde à vue suppose toutefois que la personne n’a pas été conduite par la force publique sous la contrainte devant un OPJ. Le cas échéant, dès le début de l’audition de l’intéressé, « l’officier ou l’agent de police judiciaire doit lui demander de confirmer qu’elle a suivi de son plein gré les agents de la force publique et qu’elle n’a subi aucune contrainte de leur part lors du transport », insiste le ministère. Si elle confirme n’avoir subi aucune contrainte, elle doit être informée qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie. Rappelons que, comme la vérification d’identité, l’audition libre permet de retenir une personne quatre heures au maximum.
La circulaire attire encore l’attention des parquets sur le fait qu’un placement garde à vue reste possible – sous réserve des critères prévus par l’article L. 62-2 du code de procédure pénale (6) – pour les étrangers à l’encontre desquels serait relevée, outre le délit de séjour irrégulier, une infraction punie d’une peine d’emprisonnement (« faux, usage de faux et usurpation d’identité », par exemple).
Enfin, le ministère de la Justice rappelle que les objectifs de la « directive retour » ne font pas obstacle à ce que, tout en respectant le principe de proportionnalité, fassent l’objet d’une sanction pénale comprenant le cas échéant une peine privative de liberté :
d’une part des comportements de violence envers les personnes dépositaires de l’autorité publique ou de fraudes avérées (telle la remise de faux documents administratifs), détachables de l’infraction de séjour irrégulier ou de soustraction à une mesure d’éloignement ;
d’autre part, les comportements visant à faire échec à l’exécution forcée de la mesure d’éloignement par l’autorité administrative lorsqu’a été préalablement mise en œuvre la mesure la plus coercitive prévue par la directive, à savoir le placement de l’étranger en rétention.
De son côté, le ministère de l’Interieur a également adressé, le 6 juillet, une circulaire aux préfets leur demandant d’organiser leurs service « en considération de ce nouveau cadre juridique » (7)… en attendant de nouvelles règles. Rappelons en effet que Manuel Valls compte proposer « rapidement » une loi pour remplacer la garde à vue sur la seule foi du séjour irrégulier et ainsi « redonner un fondement légal » à l’action publique. Selon son entourage, un texte pourrait être présenté au Parlement « pour la rentrée ».
(1) Cass. civ. 1re, 5 juillet 2012, n° 11-19.250, n° 11-30.371 et n° 11-30.530, disp. sur
(3) Circulaire n° 11-04-C39 du 6 juillet 2012, disp. sur
(6) L’article 62-2 du code de procédure pénale donne une définition précise de la garde à vue et de ses motifs.
(7) Circulaire n° NOR : INT/K/12/07284/C du 6 juillet 2012, disp. sur