Prévue de longue date, la deuxième biennale de l’Unaforis (Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale), qui devait accueillir à Nancy, du 4 au 6 juillet, plus de 300 personnes, autour du thème « Travail social sans frontières : innovation et adaptation », a été reportée in extremis. C’est le 22 juin que le bureau de l’association faisait part de sa décision, expliquant avoir « été saisi très récemment des graves difficultés que traverse l’institut régional du travail social [IRTS] de Lorraine », l’hôte de la manifestation. Quelques jours plus tard, dans un nouveau communiqué, il précisait qu’« au regard des tensions sociales » qui perturbent l’institut, « il n’était pas possible d’assurer le déroulement d’une rencontre sereine aux participants » et que « la réception d’un événement de cette envergure aurait risqué de compliquer encore la situation au sein de l’IRTS ». La biennale est finalement reconduite début décembre en région parisienne (1).
De fait, sur les sites de Nancy et de Ban-Saint-Martin (près de Metz) de l’institut, l’heure n’est guère aux réjouissances. Le 27 juin, le conseil d’administration de l’Alforeas (Association lorraine de formation et de recherche en action sociale), qui gère l’établissement, a voté un « projet de plan de redressement financier » proposé par le bureau. Une séance qui a démarré par la venue de deux délégations d’étudiants et de salariés, qui ont demandé la démission de la direction générale de l’IRTS et du bureau de l’association. Le projet fait état d’un déficit de 3,7 millions d’euros pour les deux exercices 2010 et 2011 (dont 3,1 millions l’an dernier) et du coût élevé de la masse salariale. Afin de redresser les comptes, il propose un plan de sauvegarde de l’emploi, échelonné sur 2012-2013, intégrant la suppression de 30 postes équivalent temps plein (sur les 154 que compte l’IRTS) sur les activités autres que la formation initiale et impliquant la réorganisation de l’ensemble des services. La révision ou la dénonciation de l’accord d’entreprise est également envisagée afin d’augmenter les heures de face-à-face pédagogique dans la limite de 650 heures annuelles (contre 380 heures actuellement), de mettre en place un statut de formateur et de réduire les congés trimestriels. A cela s’ajoutent des économies de fonctionnement. Des propositions qui « constituent la feuille de route politique donnée à la direction » et seront soumises prochainement au comité d’entreprise et aux organisations syndicales avant que le conseil d’administration n’ait à se prononcer sur leur validation définitive, tient à préciser Yvon Schléret, président de l’Alforeas.
Parmi les salariés et les étudiants, fortement mobilisés depuis plusieurs mois, c’est la colère et l’inquiétude. « On découvre un plan social et la dénonciation de l’accord collectif, qui n’ont jamais été évoqués avec les représentants du personnel », déplore Judith Kaiser, déléguée syndicale CGT (syndicat majoritaire). « C’est un tremblement de terre. Comment ces mesures pourraient-elles ne pas avoir d’impact sur les conditions de travail des salariés et la qualité de la formation des étudiants ? », s’inquiète Sophie Partouche, secrétaire du comité d’entreprise. Les salariés sont d’autant plus amers qu’ils estiment avoir été « constructifs » dans la gestion de la grave crise financière que traverse l’IRTS. « Sans leur contribution, l’établissement aurait déjà fermé ses portes », estime Judith Kaiser, qui précise que le projet présenté le 27 juin fait suite à la procédure d’alerte lancée en juillet 2011 par le comité d’entreprise. En outre, ajoute Sophie Partouche, les salariés ont montré leur volonté d’être partie prenante en présentant des propositions chiffrées de sortie de crise dans le cadre de la commission économique et sociale créée au sein du comité d’entreprise à l’invitation des administrateurs (2). « Si certaines d’entre elles ont été reprises, elles s’inscrivaient dans un plan global qui permettait un redressement financier sans casse sociale. »
Ce désaccord est révélateur de la divergence de vues entre les instances dirigeantes et la majorité des salariés sur les raisons du déficit. Le président de l’association évoque les effets de la crise, responsable de la chute des admissions des étudiants et de la baisse des activités de formation continue, mais aussi le recours trop important aux vacataires. C’est notamment pour diminuer cet appel aux intervenants extérieurs qu’est proposée une augmentation des heures de face-à-face pédagogique et l’introduction d’un échelon de formateur.
Mais la majorité des représentants du personnel dénonce la hiérarchisation des fonctions et les risques de déclassement dans la mesure où il n’y a pas, aujourd’hui, de formateurs en tant que tels mais des cadres de direction qui cumulent des missions de formation et d’ingénierie. Ils refusent de « payer le déficit » qu’ils jugent, quant à eux, imputable, d’une part, à des erreurs de gestion et de positionnement stratégique et, d’autre part, à un sous-financement des formations initiales par le conseil régional : celui-ci verse 9,50 € de l’heure par étudiant alors que la moyenne nationale tourne autour de 10,50 €. « On ne peut pas comparer ce tarif avec une moyenne nationale qui masque les écarts », soutient, pour sa part, Daouïa Bezaz, conseillère régionale et présidente de la commission aux formations de la région. Et de préciser que « le déficit provient des activités autres que la formation initiale et ne saurait en aucun cas être compensé par l’argent du conseil régional », ce qui « a été acté par le conseil d’administration ».
La région, qui rappelle avoir reçu les étudiants, les syndicats et les salariés, se dit toutefois prête à améliorer la qualité des enseignements en travail social. « On ira dans ce sens-là à partir d’un projet, construit, clair et transparent dans sa gestion », assure Daouïa Bezaz, qui avait pointé, comme les salariés, des erreurs de gestion. « Il y a plusieurs analyses possibles de ce qu’on appelle des “erreurs de gestion” », relève, de son côté, Yvon Schléret, qui se réjouit que le préfet de région ait demandé à la trésorerie générale de réaliser un audit des comptes de l’IRTS, « ce qui permettra d’avoir un regard extérieur supplémentaire ». Il se dit par ailleurs prêt à travailler avec le conseil régional à l’évolution éventuelle du statut juridique de la structure porteuse de l’IRTS dans le cadre de l’« acte III de la décentralisation » que veut engager le nouveau gouvernement « et qui devrait augmenter les pouvoirs de la région en matière de formation ».
De leur côté, plusieurs « élus représentants les salariés au conseil d’administration et à l’assemblée générale de l’Alforeas » ont diffusé, le 4 juillet, un texte où ils expliquent que le 27 juin « il s’est agi de prendre des orientations pour la survie de l’institut », condamné sinon à la cessation de paiement. Expliquant que « les forces créatrices existantes peuvent permettre aussi une minoration de l’impact de ces mesures sur l’emploi », ils estiment que la « seule sortie honorable de ce conflit, c’est la volonté commune et unanime de maintenir l’outil ».
(1) Quant à la remise du « prix du meilleur mémoire santé social » prévue lors de la biennale, elle aura lieu en septembre à Paris.
(2) Un premier projet de plan de redressement financier avait en effet été présenté au conseil d’administration le 25 avril dernier et les administrateurs avaient souhaité la participation des personnels à l’élaboration de ce plan.