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Plus clair, mais moins créatif

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Les nouveaux outils de pilotage du secteur constituent ce qui, dans la loi 2002-2, a le plus transformé la fonction de direction. Car tout a changé : les règles budgétaires, les relations avec les tutelles… Avec pour effet une hausse des compétences, estiment certains, une perte de créativité, déplorent d’autres.

La loi 2002-2 n’a pas seulement eu une incidence sur les pratiques. Qu’il s’agisse de pilotage ou de planification, elle a offert le support d’une vaste recomposition du secteur : création du groupement de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS), introduction de la pluriannualité budgétaire par le biais du contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM), instauration de comités régionaux de l’organisation sociale et médico-sociale (CROSMS)… Un mouvement que les directeurs interrogés ne relient pas spontanément à la « 2002-2 », mais plutôt à la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) ou à la révision générale des politiques publiques. Et pour cause : en remontant un certain nombre de procédures au niveau de l’organisme gestionnaire, en renforçant le rôle des sièges sociaux, la loi de 2002 éloigne les directions opérationnelles des décisions stratégiques.

Premier outil de cette recomposition du secteur, la pluriannualité budgétaire. En 2002, l’objectif est clair : 35 000 interlocuteurs budgétaires, c’est au moins 30 000 de trop. La loi crée donc les CPOM, ouverts à plusieurs institutions gérées par le même organisme depuis 2005 (ordonnance dite de « simplification du droit »). Signés entre le gestionnaire et le tarificateur, ces contrats fixent les objectifs à atteindre, les budgets affectés aux structures et leurs modalités de révision. Un dispositif qui nécessite une préparation rigoureuse et une forte implication des directions générales et des administrateurs. « Entre nos premiers CPOM conclus en 2008 et 2009 et le dernier signé en 2012, il est vrai que nous avons considérablement progressé sur la méthode, convient Marc Marhadour, directeur général de l’Adapei44, à Nantes. Nous ne produisons plus de classeurs de 200 pages : pour le dernier, nous avons synthétisé notre pensée, qui tient en 42 pages. » Sur le terrain, le CPOM est surtout apparu comme un bon moyen de consolider des financements incertains. « Le contrat conclu en octobre 2009, en commun avec d’autres APEI [associations de parents d’enfants inadaptés] de la Savoie et avec l’APAJH [Association pour adultes et jeunes handicapés], nous a permis d’obtenir une réévaluation budgétaire concernant une maison d’accueil spécialisée en déficit chronique et un foyer d’accueil médicalisé ouvert de façon aberrante, sous la pression des autorités », témoigne Daniel Chourlin, directeur général des Papillons blancs d’Albertville (Savoie). Reste que les engagements pluriannuels des financeurs ne sont pas opposables… « En effet, c’est écrit noir sur blanc, concède Daniel Chourlin. L’Etat ne paiera que dans la mesure de ses possibilités. Le coût des prestataires augmente, le taux directeur régional reste très bas. C’est assez inquiétant. » Même son de cloche du côté de Marc Marhadour : « Les premiers contrats laissaient entrevoir quelques perspectives de création de places ou d’extension de capacités. Depuis, les appels d’offres sont passés par-là, et les tutelles ne prennent plus aucun engagement de ce côté-là. » Le problème, glisse-t-il, c’est que la raréfaction des ressources est venue percuter le mouvement de la contractualisation, soupçonnée de ne répondre qu’à des objectifs d’économies.

La coopération, un choix logistique ou stratégique ?

Le salut pourrait-il alors venir de la coopération ? C’est en tout cas, depuis dix ans, le discours des autorités. Si le principe figurait déjà dans la loi de 1975, celle de 2002 l’a relancé en créant, à côté des formules déjà existantes (groupements d’intérêt économique ou d’intérêt public), le groupement de coopération sociale et médico-sociale, ou GCSMS. Paré de multiples vertus – décloisonnement avec le sanitaire, économies via la mutualisation, meilleure réponse aux besoins, etc. –, l’outil peine pourtant encore à séduire. Certains estiment ne pas être prêts à se confronter à d’autres modes de fonctionnement, comme Anne Vuong Quang, chef de service du SAVS parisien de l’Œuvre Falret : « Nous sommes déjà en pleine réflexion sur la coordination des différentes structures de l’association. Donc, c’est peut-être un peu tôt pour se rapprocher d’autres organisations. » D’autres se laissent décourager par les enjeux de pilotage. « Lorsque j’étais directrice d’EHPAD, monter un GCSMS aurait permis de mutualiser des postes coûteux : du personnel rare, des véhicules. Mais la gouvernance de ces structures collaboratives pose trop de problèmes politiques. On a laissé tomber », raconte Valérie Pouget-Gazut, directrice de l’ITEP-Sessad Les Albarèdes, à Montauban. Pour réussir, le groupement doit se fonder sur des valeurs communes et un véritable partage des responsabilités. « En 2010, nous avons ouvert une maison d’accueil spécialisée en commun avec l’APAJH de Loire-Atlantique, cite par exemple Marc Marhadour. Nous nous étions retrouvés sur un projet similaire, autour du développement durable et d’un accueil multihandicap. Le bureau est équilibré entre les deux associations, et les professionnels sont salariés du groupement. Pour eux, cela a créé de la mobilité interne, et donc un regain de dynamisme. »

En dix ans, à défaut de s’emparer massivement de l’outil, les gestionnaires ont cependant bien intégré le principe de la coopération. Souvent sur des aspects logistiques, parfois avec des visées plus stratégiques, le secteur fait preuve en la matière d’une grande inventivité, privilégiant la souplesse et les rapprochements de circonstances. Consortium entre cinq Adapei de Loire-Atlantique pour décrocher un appel à projet régional ; convention de partenariat entre deux APEI savoyardes pour partager les pratiques ou négocier les prix avec les prestataires de services ou de matériel… Les exemples ne manquent pas, qui disent en creux à quel point les gestionnaires se méfient d’une intégration trop poussée : « Nous sommes convaincus que l’ARS [agence régionale de santé], à l’occasion du renouvellement de notre CPOM en 2015, proposera aux cinq associations signataires un contrat unique, voire un regroupement, prédit Daniel Chourlin. Jusqu’à présent, nous avons tenu bon. J’ai bien peur cependant que nous n’ayons bientôt plus la main. »

Difficile de départager les facteurs à l’origine de cette crainte de la dépossession : mise en place d’un nouveau cadre institutionnel, perspective de la convergence tarifaire, objectifs de réduction des dépenses publiques… Sans doute un peu tout cela. Plus, au quotidien, des relations avec les tutelles qui se sont modifiées. « Le cadrage des établissements a changé la façon de travailler, regrette Fabienne Pressard, ancienne directrice de l’ESAT-Afaser Le Manoir, à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne). Nous avons perdu des possibilités de dialogue avec nos financeurs. Pendant les six années où j’ai dirigé l’établissement, je n’ai jamais rencontré un inspecteur ou un représentant de l’ARS. Tout passe par l’échange de documents. » La loi « HPST », avec la création des ARS et le remplacement des CROSMS par une architecture descendante, aurait également éloigné les tarificateurs du terrain. « Il manque des strates dans les ARS, de véritables interlocuteurs départementaux, juge Daniel Chourlin. Les grandes associations, proches des centres de décision, n’ont qu’à traverser la rue pour rencontrer les représentants de l’Etat. Mais Lyon, c’est très loin d’Albertville. » Autre regret formulé par Michel Caratti, directeur du pôle d’accompagnement spécialisé de la fondation Patronage Saint-Pierre Actes, à Nice : « Avec la disparition des CROSMS, les directeurs ont perdu un des principaux plaisirs liés à leur poste : celui de monter des projets. Désormais, nous sommes plus contraints. »

Une plus grande équité territoriale

Cependant, pour d’autres, le secteur a plutôt gagné en transparence. « Par le passé, avec un beau sourire, l’inspecteur parvenait à dégoter un budget supplémentaire, raconte Marc Marhadour. Désormais, tout est beaucoup plus rationnel. Cela déshabille peut-être un peu le dialogue de gestion, mais, en même temps, quelle marge de négociation avions-nous sur les budgets précédents ? » Une rationalisation, notamment au moyen des appels à projets, qui est aussi un facteur d’équité, affirme Michel Caratti : « L’initiative privée avait ses limites. Si, dans un département, des associations pour autistes étaient dynamiques, les structures existaient pour les accueillir. Mais si personne n’avait fait le boulot dans le département voisin, il n’y avait rien. Cette disparité entre les territoires était inacceptable. »

Profitable aux usagers, pivots de la loi 2002-2, cette clarification vide cependant quelque peu la fonction de directeur de sa substance, regrettent certains. « Avec les appels d’offres, cela devient, ni plus ni moins, un exercice de recherche d’enveloppe financière. On n’est pas forcément conduit par ses valeurs ou par des projets auxquels on tient », résume Valérie Pouget-Gazut. « On aimait réfléchir, créer, imaginer, chercher des moyens. Désormais, renchérit Michel Caratti, on nous dit : vous monterez telle structure, à tel endroit, avec tel budget et tel cahier des charges. Pour certains, le poste de directeur est devenu moins attractif. »

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