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L’individu mieux reconnu

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Conseil de la vie sociale, livret d’accueil, contrat de séjour… La mise en œuvre des outils prévus par la loi 2002-2 en matière de droits des usagers a constitué un profond bouleversement dans la vie des établissements. Une révolution des mentalités qui ne s’est pas faite sans difficultés.

Au cœur de la loi 2002-2 : l’usager. Jusqu’alors, on considérait trop souvent qu’il devait s’adapter à sa structure d’accueil. « On avait du mal à reconnaître l’usager comme un citoyen à part entière, admet Michel Caratti, directeur du pôle d’accompagnement spécialisé de la fondation Patronage Saint-Pierre Actes, à Nice. A cause de la culture judéo-chrétienne d’où est issu le travail social, on a longtemps sous-entendu que la personne en difficulté était presque fautive. » Cette loi a donc voulu lui garantir une place reconnue et des droits à la dignité, à l’information et à la vie privée. Pour cela, elle a prévu une série d’outils : principalement, le contrat de séjour, le conseil de la vie sociale (CVS), le projet personnalisé et le livret d’accueil. Dix ans après la promulgation de la loi, ces outils sont globalement en place partout. « Nous avons surtout réfléchi aux principes que la loi impulse, précise Anne Vuong Quang, chef de service du SAVS parisien de l’Œuvre Falret. Nous avons réinventé, dans le quotidien de nos structures, une organisation de travail et des rapports entre les professionnels et l’usager qui permettent de faire vivre les outils. »

Si, pour beaucoup d’établissements, la loi n’a fait dans ce domaine que confirmer une évolution dans laquelle ils étaient déjà engagés, d’autres ont veillé à éviter d’introduire une série d’outils prétextes, vidés de leur sens parce que contraints. « En EHPAD, le conseil de la vie sociale est une coquille vide, affirme Valérie Pouget-Gazut, qui a encadré durant dix ans ce type d’établissement, avant de devenir directrice de l’ITEP-Sessad Les Albarèdes, à Montauban. Bien souvent, les personnes âgées ne savent pas représenter le groupe. Beaucoup sont malades. Le turnover est terrible. » Les usagers aux problématiques lourdes n’ont pas d’appétence pour le collectif, ceux qui présentent des déficiences intellectuelles sont effrayés de siéger dans un CVS et ceux qui sont contraints par des mesures, comme en protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), n’y viennent jamais. « On n’est pas encore dans la coconstruction, note Alexia Anne, responsable d’un centre d’hébergement et de réinsertion sociale et de maisons-relais à Caen. On risque d’instrumentaliser l’usager. A quoi bon lui demander simplement de remplir des commissions ? »

Les outils institués par la loi ont été accueillis de façons diverses. Les personnes qualifiées, par exemple, ont rarement été nommées. A l’inverse, soulignent de nombreux directeurs, les projets d’accompagnement personnalisé ont dynamisé positivement les structures. « Dans le secteur du handicap, la loi nous a poussés à garantir un parcours adapté aux jeunes. Il a fallu se gratter la tête pour mieux prendre en compte la personnalité et l’histoire des usagers », raconte Valérie Pouget-Gazut. Le résultat est que les regards des professionnels ont changé. « Avant, il y avait notre avis et c’est tout, remarque Alexia Anne. On se disait que le résident n’était pas capable, qu’on allait lui trouver des solutions. Maintenant, on reconnaît davantage la personne dans ce qu’elle a à dire. » Satisfecit aussi pour le conseil de la vie sociale, les enquêtes de satisfaction ou les discussions autour du contrat de séjour. « Grâce à ce contrat, le séjour est valorisé, ce n’est plus une solution par défaut, poursuit Alexia Anne. Il me permet de recadrer, de rendre visibles les potentialités et les difficultés de l’usager. C’est un fil très fédérateur qui nous associe : l’usager, la famille, la direction de l’établissement et l’équipe. »

Un gain en transparence

Pour mieux informer les usagers, la loi a également imposé aux équipes d’écrire. Pour beaucoup de directeurs, cette nécessité de mieux expliquer leur travail était flagrante. « Nous avons enfin appris à communiquer, sourit Valérie Pouget-Gazut. Avant, on nous confiait un enfant, point. La structure était très fermée, on donnait peu d’informations à l’extérieur. Le fait de remettre des documents aux usagers nous a aidés à gagner en transparence, en indiquant nos valeurs et nos façons de faire. » Depuis, les équipes ont pris l’habitude de soigner leurs écrits professionnels. « Tout doit pouvoir être lu et compris par tous, y compris par les parents, insiste Michel Pinville, directeur du foyer d’accueil médicalisé Alternat-Alternote de l’association Aprahm, à Antony (Hauts-de-Seine). Pour ne pas les heurter, nous gardons toujours une perspective optimiste dans nos rapports : les acquisitions possibles, les progrès envisageables, etc. »

Dans les services et établissements, la demande individuelle des résidents est désormais davantage prise en compte. Non sans interrogation de la part des équipes. « Accentuer le prisme de la demande des usagers, de la réponse à leurs besoins, n’est pas aisé, convient Marc Marhadour, directeur général de l’Adapei 44, à Nantes. Il nous faut veiller en permanence à équilibrer la réponse individuelle et la politique collective. » Davantage de parents s’autorisent à contester les mesures de placement prises pour leurs enfants, et les familles d’usagers d’EHPAD sont devenues plus exigeantes. « Parfois au détriment des résidents, estime Jean-Roger Hermant, directeur de l’EHPAD Les Collines, à Pouzauges (Vendée). Que répondre à une famille qui souhaite qu’un résident change de vêtements chaque jour, alors que son habitude a toujours été de le faire une seule fois par semaine ? » Mais, globalement, la crainte de l’usager-roi, qui s’était fortement exprimée en 2002, s’est estompée. « On a plutôt constaté que peu de gens, parmi notre public dépendant et fragilisé, revendiquaient leurs droits, soupire Michel Caratti. L’avantage de la loi est justement d’avoir pu briser le tabou du pouvoir du travailleur social sur l’usager »

La lente intégration des outils

Si la crainte de la prise de pouvoir par les usagers a préoccupé les équipes, le management, lui, a dû faire preuve de beaucoup de pédagogie. Les professionnels n’ont en général pas réagi négativement aux changements de rapports avec l’usager, assurent la plupart des directeurs. Mais ils ont été lents à intégrer les outils. D’abord, certains ont cru qu’on voulait « leur réapprendre leur métier ». D’autres, devant ces nouveautés imposées, ont regimbé par refus de l’autorité. Mais la plupart ont surtout redouté des contraintes supplémentaires. « Ils se sont demandé où ils trouveraient le temps d’écrire. Et ils ont eu l’impression qu’on inversait les priorités, se souvient Alexia Anne. Ils préféraient régler les problèmes d’alcool d’un usager plutôt que de l’éduquer à la citoyenneté pour qu’il participe au CVS. » Par ailleurs, certains ont craint que les usagers ne s’impliquent qu’afin d’être bien vus de l’équipe, ce qui fausserait la relation. Et une partie des professionnels trouvaient anormal que l’usager soit en droit d’avoir des exigences sur la manière dont il est servi. « Les équipes prédisaient que tout ce temps passé en réunion et en rédaction de documents serait pris sur le temps d’accompagnement, ajoute Daniel Chourlin, directeur général des Papillons blancs d’Albertville (Savoie). Sans doute, si ce n’est qu’il était indispensable que l’on apprenne à se poser pour réfléchir aux prises en charge. »

Au final, si la participation des usagers apparaît comme l’aspect de la loi le plus difficile à mettre en œuvre, pour les directeurs, les conséquences sont globalement positives. Même si certains secteurs de l’action sociale y ont quelque peu échappé, comme la protection judiciaire de la jeunesse. « Les éducateurs de la PJJ écrivent beaucoup, mais ils rendent des comptes sur la mesure, pas à l’usager », constate l’un de ses directeurs, qui préfère rester anonyme. Valérie Pouget-Gazut mesure bien cette différence entre les secteurs : « En gériatrie, les usagers sont payeurs, leurs droits se sont améliorés plus rapidement. Dans le secteur du handicap, où les établissements n’ont jamais craint de voir partir les résidents, où les familles ne sont pas très demandeuses, tout va plus lentement. » Et, selon les structures, le contrat de séjour a fait débat : « L’usager nous donne-t-il des réponses se conformant à ce que l’on souhaite entendre ou ose-t-il nous parler de ses vrais projets de vie ? questionne Michel Caratti, qui a décidé d’abandonner ce contrat. Les tutelles aiment ce genre d’outils, les objectifs et les calendriers les rassurent. Elles ont l’impression que l’on est plus professionnels. Mais notre rigueur existe en dehors de ces cadres. »

Quant à leur fonction, nombre de responsables affirment que grâce à cette meilleure prise en compte des droits des usagers, elle s’est professionnalisée. « La loi nous permet de solliciter plus souvent les personnes accompagnées, même si, parfois, c’est aussi perçu comme une contrainte lorsqu’elles ne sont pas en mesure de se concentrer sur un projet d’accompagnement », souligne Anne Vuong Quang « En revanche, il me semble qu’on a perdu en spontanéité et en créativité, considère Valérie Pouget-Gazut. Pour les équipes, tout ce qui sort du cadre est lourd et fait peur. C’est moins dynamisant pourles usagers. »

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