« L’évaluation interne nous donne le réflexe de nous interroger sur le sens, sur le bien-fondé de nos actions, résume Michel Caratti, directeur du pôle d’accompagnement spécialisé de la fondation Patronage Saint-Pierre Actes, à Nice. Elle nous rappelle que l’on n’est pas tout puissant et que l’on n’a pas toujours raison. L’évaluation externe nous confronte à des méthodes et nous pose des questions auxquelles on n’aurait peut-être pas pensé. » Rares sont les équipes qui remettent en cause désormais l’intérêt de la double évaluation instaurée par la loi 2002-2, quels que soient les écueils rencontrés pour sa mise en application. Mais, démarche managériale par excellence, selon la manière dont elle a été impulsée par les directions générales, elle a généré frustration ou satisfaction. « Pour nous, les délais étaient beaucoup trop serrés, explique un directeur de la protection judiciaire de la jeunesse. On nous a donné quelques mois. Ça ne suffit pas pour réinterroger nos pratiques et, au bout du compte, cela n’a débouché que sur de magnifiques tableaux qui prennent la poussière sur des étagères. »
Mise en œuvre longtemps après la publication initiale de la loi, car bloquée dans l’attente des textes d’application jusqu’en 2007, l’évaluation ne pouvait se penser en dehors de la réflexion sur le projet d’établissement, sur les référentiels de bonnes pratiques propres à chaque secteur, voire à chaque association, ni avant la mise en place de tous les outils imposés par la reconnaissance du droit des usagers. En clair, il fallait – et il faut encore – du temps, et un temps plus ou moins long en fonction de l’histoire des institutions, des résistances au changement des personnels, de l’ambiance et des pratiques régnant dans chaque institution. « Pour que la loi puisse exister dans son essence, il faut proposer une organisation de travail qui l’inclue », explique Hanen Ben Lakhdar, directrice du pôle urgence sociale et orientation du Centre d’accueil et de soins hospitaliers (CASH) de Nanterre, où un seul des cinq services vient juste d’engager sa démarche d’évaluation. « Il faut d’abord mettre en place les fondations, via la conduite de projet, avant d’en venir aux outils puis à l’évaluation, poursuit la responsable. Ainsi, ce que nous sommes en train de développer sur la traçabilité de nos actions, les rapports de nuit, les transmissions ciblées, etc., est pensé dans la perspective de l’évaluation future, interne comme externe. »
Pas d’urgence, donc, pour la plupart des directions, d’autant qu’il faut parfois commencer par désamorcer les craintes des équipes. Peur du « flicage », appréhension face à l’éventualité d’une remise en cause voire d’une judiciarisation des rapports, accepter d’être évalué ne va pas toujours de soi. « C’est vrai que ce concept allait un peu à contre-courant de notre logique, de notre culture professionnelle, de cette idée commune dans le métier que ce qu’on fait ne se mesure pas, résume Fabienne Pressard, ancienne directrice de l’ESAT Afaser-Le Manoir à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne). Il y a eu dans les équipes la crainte d’être jugé et contrôlé. Nous avons eu beaucoup de discussions afin de démystifier l’évaluation. » Pourtant, progressivement, ici et là, se sont construits les groupes de travail, les éventuels séminaires de formation, les questionnaires de satisfaction, etc. L’opération aura été, de l’accord de tous, extrêmement chronophage. « Cela nous a pris un temps monstre. Pendant un an, nous avons dû ausculter nos pratiques et répondre à un canevas de questions », insiste Michel Pinville, directeur du foyer d’accueil médicalisé Alternat-Alternote de l’association Aprahm, à Antony (Hauts-de-Seine), qui prend en charge de jeunes adultes autistes. Une charge de travail considérable pour les plus petites structures, qui impose même une réorganisation temporaire afin que l’évaluation ne se fasse pas au détriment de la prise en charge individuelle des usagers. Le tout, sans que la majeure partie des établissements puisse financer des heures supplémentaires. Alors que l’intervention d’un conseil externe, chargé de structurer la démarche, pouvait, elle, être financée par le conseil général et/ou l’ARS. « C’est vrai que cela a été une contrainte, ajoute Anne Vuong Quang, chef de service du SAVS parisien de l’Œuvre Falret. Il fallait le faire, on l’a fait, mais notre direction a fait en sorte que cela soit dynamique et intéressant, qu’on ne se sente pas seuls dans notre coin. » Son service a ainsi été associé à un groupe de travail qui incluait un groupe d’entraide mutuelle et une résidence sociale appartenant à la même association gestionnaire. « Cela nous a permis de mieux nous connaître et de découvrir les pratiques des uns et des autres », poursuit Anne Vuong Quang.
Car l’un des effets positifs de la démarche d’évaluation a été, par la mise en place de groupes de travail communs, d’échanges de bonnes pratiques ou de calendriers similaires, de renforcer la cohésion et de mieux harmoniser les pratiques au sein des associations. « Nous avons construit notre propre référentiel associatif, validé par le conseil d’administration et les conseils de la vie sociale », note Daniel Chourlin, directeur général des Papillons blancs d’Albertville (Savoie), qui gère des établissements œuvrant dans le domaine du handicap mental. Ici, l’évaluation progresse chapitre par chapitre dans toutes les structures de l’association en même temps, menée par dix évaluateurs internes spécifiquement formés. « Nos administrateurs aussi seront évalués, souligne le directeur général. C’est une occasion fabuleuse de renforcer la cohésion associative. »
Enfin, l’effet de l’évaluation le plus unanimement partagé est la valorisation du travail réalisé au quotidien. « C’est ainsi qu’il faut envisager la démarche, même dans un contexte difficile comme la perspective de restructuration qui menace les équipes du CASH, justifie Hanen Ben Lakhdar. Nous avons l’occasion de montrer, de rendre lisible, la qualité de notre travail. » Détailler un fonctionnement, des pratiques, des modalités de prises en charge, les comparer aux recommandations de bonnes pratiques et aux objectifs du projet d’établissement puis les décliner en indicateurs gradués, permet en effet de mettre en valeur, voire de quantifier l’activité réalisée. Il s’agit tout simplement de montrer ce que les équipes savent faire, sans craindre de montrer leurs limites. « Finalement, l’évaluation a souligné que nous étions dans la bonne voie, affirme Michel Pinville, à Antony. Elle a permis de mettre en évidence tout le travail réalisé au quotidien et d’apporter des améliorations. » Les rapports de l’évaluation interne soulignent en effet aussi les points faibles des structures et permettent de mettre en place des actions correctives. Il s’agira parfois d’améliorer la représentation syndicale du personnel, de faciliter les réunions de délégués ; ou encore de mieux organiser la communication avec les familles et le recueil de leurs souhaits. « Nous, elle nous a permis de réaliser que notre règlement de fonctionnement était trop dense, qu’il fallait le rendre plus accessible aux usagers, note Anne Vuong Quang. Alors, nous l’avons retravaillé, puis, dans l’esprit de la loi, nous l’avons soumis à notre conseil de la vie sociale qui a demandé encore d’autres modifications. »
Mais la démarche d’évaluation met aussi en évidence le manque de moyens dont souffrent bon nombre de structures. « Pour répondre au référentiel de bonnes pratiques, il nous faudrait faire des modifications architecturales de nos établissements, ce qui est impossible à réaliser avec nos moyens actuels », constate Jean-Roger Hermant, directeur de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Les Collines, à Pouzauges (Vendée). Un constat que certains ont d’ailleurs choisi d’utiliser pour faire pression sur leurs tutelles : « Cela nous a permis d’aller voir nos financeurs et de leur dire : voilà les objectifs de l’établissement, pour les atteindre, nous avons besoin de moyens, explique Valérie Pouget-Gazut, qui a été directrice d’EHPAD durant dix ans avant d’intégrer l’ITEP-Sessad Les Albarèdes, à Montauban. Et dans notre EHPAD, cette démarche a été payante. »
Quant à l’évaluation externe, beaucoup de structures n’en sont pas encore à ce stade. Au sein de plusieurs établissements et services, cette perspective suscite une certaine anxiété. « Quand il faudra rendre l’évaluation externe, ça va être la folie, s’alarme Jean-Roger Hermant. C’est infaisable. Les exigences sont trop hautes et le délai trop court. » Il faut dire que dans son établissement, l’évaluation interne est à peine entamée. Alors l’évaluation externe… Le coût est également ce qui inquiète les plus petites structures, en attente sur ce point d’une aide de leurs financeurs. Quant aux plus grosses organisations, mutualisation et pouvoir de négociation sont d’ores et déjà à l’œuvre en leur sein pour faire baisser les tarifs des prestataires. Reste que là où l’auto-évaluation a été bien vécue, elle n’est pas vraiment crainte. « Nous sommes en train de revoir la cinquantaine de points d’amélioration de la qualité que notre évaluation interne a révélée, se rassure Anne Vuong Quang. Après tout, je ne vois pas comment on pourrait faire encore mieux… »