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« La loi est plus exigeante, mais aussi plus valorisante pour les directeurs »

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Comment la loi 2002-2 a-t-elle été conçue ? Quels étaient ses objectifs ? Les a-t-elle atteints ? Ancien haut fonctionnaire, Jean-François Bauduret a participé de très près à la genèse de ce texte. Son analyse dix ans après…

Qu’est-ce qui a motivé la mise en chantier de la loi 2002-2 ?

La loi du 30juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales, qui encadrait le secteur jusque-là, avait été ravaudée par des vagues d’amendements successifs qui la rendaient peu lisible. Il existait par ailleurs de grandes disparités de l’offre d’équipements sur le territoire et les procédures budgétaires, comptables, tarifaires et de contrôle restaient imprécises. En outre, la loi demeurait muette sur deux points essentiels : les droits des usagers et l’évaluation de la qualité des prestations des établissements et services.

Quelles sont les grandes lignes de ce texte ?

La loi de 2002 réorganise en profondeur l’ensemble du secteur social et médico-social. Elle constitue, à mon sens, une véritable refondation, tant sur les objectifs poursuivis que sur les outils favorisant leur mise en œuvre. En premier lieu, elle définit les grands principes de l’action sociale et médico-sociale et la nature des missions d’intérêt collectif dévolues aux établissements et services. En découle une nomenclature des structures la plus souple et la plus diversifiée possible. Ce qui a été insuffisamment souligné et valorisé. Elle revisite ensuite toutes les procédures organisant le secteur : planification, autorisations de création, formules de coopération et de contractualisation pluriannuelle, règles budgétaires et tarifaires, dispositifs de contrôle, rénovation du statut des établissements publics… Elle crée, enfin, de nouveaux outils visant à promouvoir les droits des usagers et l’évaluation de la qualité.

En matière de droits des usagers, l’une des grandes dispositions de la loi, les objectifs visés ont-ils été atteints ?

S’agissant de la représentation individuelle et collective des usagers, lors de l’élaboration du projet de loi, nous avons rencontré des résistances, tant de la part des professionnels que des associations gestionnaires. Mais les sept ans de gestation de la réforme ont été suffisamment longs pour que les sept nouveaux outils prévus dans ce domaine soient finalement bien acceptés. Sur ce point, les effets de la loi ont été très positifs et ont produit une réelle révolution des mentalités. Bien entendu, il est toujours possible de respecter formellement les outils mis en place sans pour autant générer une véritable démocratie sociale et médico-sociale au sein des structures. Il est facile, par exemple, de créer un conseil de la vie sociale vide de sens. Mais je connais de nombreux établissements qui se sont pleinement investis pour créer des instances représentatives des usagers dignes de ce nom, et leur donner une réelle efficacité, y compris dans le champ du handicap mental. On peut regretter, cependant, que l’administration n’ait pas mis sur pied un dispositif de suivi, de conseil et d’appui, afin d’aider à la mise en œuvre de ces nouveaux outils. Sur ce point comme sur d’autres, la loi 2002-2 s’efforce d’unifier la diversité des structures. Or il est toujours difficile d’ériger des règles communes prenant en compte toutes les spécificités. Ainsi, les droits d’une personne âgée en EHPAD [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] ne peuvent pas être mis en œuvre d’une manière strictement identique à ceux d’une personne en situation de grande exclusion, accueillie en CHRS [centre d’hébergement et de réinsertion sociale].

Un autre axe fort concernait l’instauration d’une double procédure d’évaluation, interne et externe, des établissements et des services…

S’agissant de l’auto-évaluation, ou évaluation interne, celle-ci se développe positivement, même si l’on observe d’inévitables disparités. Il y a dans l’auto­évaluation cette idée, qui me semble très juste, que le professionnel ne saurait fonctionner dans une toute-puissance aveugle et qu’il doit se distancier suffisamment pour agir dans un souci de qualité et de respect de l’autre. Sur l’évaluation externe, la loi comporte une malfaçon importante. Initialement, nous souhaitions introduire la seule auto-évaluation dans la loi de façon à instiller progressivement une culture de la qualité chez les professionnels, avant de passer à l’étape plus exigeante de l’évaluation externe. Mais, lors de la discussion parlementaire, les députés ont exigé, avec une belle unanimité, l’instauration immédiate d’une évaluation externe fondant le renouvellement des autorisations. Le gouvernement s’est plié à ce vœu mais n’a pas eu le temps de réfléchir en profondeur au meilleur dispositif. A la réflexion, nous aurions dû plutôt proposer un système d’accréditation reposant sur des « professionnels experts visiteurs », à l’image du mécanisme retenu dans le champ hospitalier et qui a fait ses preuves. Le système d’agrément d’organismes habilités à réaliser cette évaluation, sur la base d’un cahier des charges, correspond à une procédure à mon sens trop lourde et complexe. Il aurait probablement été préférable de mobiliser des équipes pluridisciplinaires de professionnels du secteur, bien formés et utilisant des référentiels éprouvés de bonnes pratiques professionnelles. Une autre difficulté provient du fait que l’ANESM [Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux] n’a été créée qu’en décembre 2006. Les premiers référentiels sont donc apparus tardivement, la palette restant aujourd’hui incomplète.

La loi a également créé des outils visant à améliorer le pilotage du secteur…

Ici encore, l’application de la loi a produit des réussites et connu quelques échecs. Côté réussites, les nouvelles formules de coordination, de coopération et de contractualisation constituent de bons outils en vue de promouvoir une offre mieux structurée et plus efficiente. Autre point positif : la réforme budgétaire comptable et tarifaire est entrée dans les mœurs, alors qu’elle avait été très mal vécue lors de l’élaboration de la loi, puis de la publication du décret d’octobre 2003. Aujourd’hui, l’organisation de la procédure contradictoire, l’approbation des dépenses par grands groupes fonctionnels, la transmission du bilan comptable, l’agrément des frais de siège ou les modalités de traçabilité des produits financiers ne posent plus de difficultés particulières. En revanche, la convergence tarifaire reste en partie contestée, tant il est vrai qu’il est toujours plus confortable de mettre en œuvre un dispositif alignant tout le monde sur la situation des établissements les mieux dotés qu’un mécanisme prenant aux plus riches pour donner aux plus pauvres. Mais le vrai maillon faible de la loi de 2002 a été le fonctionnement des CROSMS [comités régionaux d’organisation sociale et médico-sociale] et le régime des autorisations de création d’établissements et de services. Les CROSMS ont indéniablement failli à leurs missions, au vu de la place importante laissée dans ces instances aux gestionnaires d’établissements. Ils étaient le plus souvent devenus des « machines à dire oui à tous » pour ne fâcher personne. La loi « Hôpital, patients, santé et territoires » de juillet 2009 a largement corrigé ces imperfections, en créant de véritables schémas régionaux médico-sociaux, en instaurant une procédure d’appel à projet et en supprimant les CROSMS pour les remplacer par des commissions ad hoc mieux composées. Mais, comme souvent, le diable se dissimule dans les modalités d’application et il faut bien reconnaître que le décret de juillet 2010 organisant la procédure d’appel à projet n’a pas fait dans la simplicité.

Quelles conséquences cette loi a-t-elle eues sur la fonction de direction ?

Elle est indéniablement plus exigeante, mais aussi, je crois, plus technique et valorisante pour les directeurs. Il est vrai que ces derniers se sentent parfois pris en étau par une double pression. En interne, ils font face à la montée des exigences des usagers sur le respect de leurs droits et la demande de prestations de qualité. Comme le souligne Pierre Gauthier, le projet personnalisé négocié devient désormais le modèle culturel dominant. En externe, ils sont confrontés à des tensions budgétaires fortes et aux procédures multiples rationalisant les modes de gestion et définissant des allocations de ressources de plus en plus codifiées. La fonction de direction devient finalement éminemment stratégique. Il faut savoir négocier avec l’autorité tarifaire un CPOM [contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens] équilibrant les droits et obligations de chacun, proposer des fonctionnements en réseau grâce notamment aux GCSMS [groupements de coopération sociale et médico-sociale], et savoir conserver la plus large part des gains de productivité pour les investir dans l’amélioration des prestations servies aux usagers. Il s’agit là de beaux défis à relever.

S’il fallait modifier la loi 2002-2, sur quels points serait-ce nécessaire ?

L’essentiel des modifications nécessaires ont déjà été réalisées. Il reste à corriger des imperfections de détail. Ainsi, nous avons commis l’erreur de créer un contrat de séjour au lieu d’un contrat d’accompagnement, plus générique, qui aurait pris, selon les cas, l’aspect d’un contrat de séjour ou d’un document individuel de prise en charge. Il y a bien sûr la malfaçon que j’ai déjà évoquée sur l’évaluation externe. Faut-il y revenir par une loi Cela remettrait en cause un dispositif actuellement dans les tuyaux, et freinerait d’autant un processus qui a déjà accumulé des retards… Un autre regret est de ne pas avoir créé un statut propre aux établissements associatifs, valorisant notamment le rôle des directeurs. Nous aurions pu nous inspirer de la rénovation effectuée pour les établissements publics qui confère aux directeurs un rôle propre. Finalement, le véritable enjeu se pose désormais à un niveau très politique. Il s’agit de revisiter les lois de décentralisation sur la répartition des compétences dans le champ social et médico-social et la coordination des deux pilotes : le président du conseil général et le directeur général de l’agence régionale de santé. Mais s’il se révélait impossible de reconfigurer des blocs de compétences plus homogènes, il serait alors sage de revenir aux trois dispositifs de coordination initialement instaurés par la loi 2002-2. A savoir des schémas départementaux d’organisation sociale et médico-sociale arrêtés par les ARS et le président du conseil général ; l’obligation pour l’Etat, les départements et les organismes de protection sociale de se doter de systèmes d’information compatibles entre eux ; et, pour l’ARS et le président du conseil général, de conclure une convention pluriannuelle organisant la gouvernance des politiques sociales et médico-sociales.

REPÈRES

Haut fonctionnaire aujourd’hui à la retraite, Jean-François Bauduret a été le maître d’œuvre de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, sous l’autorité de Pierre Gauthier, alors directeur de l’action sociale. Il reste vice-président du conseil scientifique et d’orientation de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP).

Avec Marcel Jaeger, il a publié Rénover l’action sociale et médico-sociale (Ed. Dunod, 2005).

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