Cinq ans après l’adoption de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable (DALO), qui a reconnu le droit à un logement décent et indépendant à toute personne n’étant pas en mesure d’y accéder par ses propres moyens ou de s’y maintenir, son bilan apparaît, à l’épreuve des faits, « pour le moins décevant ». C’est le constat principal dressé par le sénateur (PS) de la Seine-Saint-Denis, Claude Dilain, et le sénateur (Union centriste) de la Haute-Loire, Gérard Roche, dans un rapport rendu public le 28 juin dernier (1) qui confirme les critiques déjà adressées au dispositif, notamment par le comité de suivi de la loi DALO (2).
La loi du 5 mars 2007 est pourtant aujourd’hui bel et bien applicable « sur le papier ». Toutes les mesures les plus emblématiques – c’est-à-dire les mesures réglementaires spécifiques permettant à un mal-logé d’exercer un recours amiable auprès de la commission départementale de médiation puis, si nécessaire, d’exercer un recours contentieux auprès de la juridiction administrative – ont en effet été adoptées. Qu’en est-il concrètement ?
Premier constat : le nombre de recours déposés devant les commissions de médiation – 280 000 au 31 décembre 2011 – est inférieur aux estimations initiales. Les raisons de ce décalage sont diverses, entre autres : une information et un accompagnement des travailleurs sociaux encore insuffisants – certains départements considérant que le DALO relève de la seule responsabilité de l’Etat et refusant par conséquent que leurs travailleurs sociaux apportent leur concours aux demandeurs – mais aussi, parfois, une certaine « retenue » de la part des responsables politiques et administratifs dans la publicité faite à la procédure DALO « par crainte d’un afflux de demandes et de débordements ».
Les recours formels s’élèvent tout de même, en moyenne, à 6 000 chaque mois. La concentration géographique des recours est particulièrement marquée, l’Ile-de-France représentant, à elle seule, 60 % des recours déposés en vue de l’obtention d’un logement.
En outre, comme le reflètent les écarts significatifs entre taux de décisions favorables selon les territoires, l’activité des commissions de médiation demeure empreinte de fortes divergences. Les sénateurs pointent à cet égard des disparités dans l’interprétation des critères de priorité. En outre, certaines commissions ne font pas toujours abstraction de la situation générale du logement social ou de l’hébergement dans le département relevant de leur périmètre et sont ainsi, dans les zones tendues, tentées de limiter le nombre de personnes reconnues prioritaires. Ce, en contradiction totale avec la lettre et l’esprit de la loi.
De façon générale, résument les élus, les chiffres disponibles conduisent à conclure à une application paradoxalement plus difficile de la loi DALO dans les quatre régions où la situation au regard du logement est la plus critique et qui auraient donc le plus besoin que l’obligation de résultat soit honorée : Ile-de-France, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Nord-Pas-de-Calais.
Autre constat, plus étonnant : le nombre élevé de refus de propositions de logement ou de relogement par les demandeurs dont la situation a été reconnue urgente. Le taux moyen de refus avoisine ainsi 20 % (hors Ile-de-France) et, dans certains départements, le nombre de rejets de propositions de logement ou d’hébergement dépasse celui de relogements intervenus au cours d’une année donnée. « Les refus s’expliquent à la fois par le caractère inadapté du logement proposé et par les espoirs déçus ou les appréhensions des demandeurs, par exemple, quant à la localisation du logement », indique le rapport. En outre, certains préfèrent une attente supplémentaire dans l’espoir d’obtenir une offre plus en adéquation avec leur souhait. Pour Claude Dilain et Gérard Roche, cette prévalence des refus appelle la mise en place d’un accompagnement social renforcé. Et les élus estiment, à cet égard, que la possibilité – offerte par la loi – pour la commission de médiation de préconiser les mesures de diagnostic ou d’accompagnement social qui lui apparaissent nécessaires « doit jouer tout son rôle ».
Le rapport note encore que, au-delà de l’étape du recours amiable, le DALO génère un important contentieux auprès des juridictions administratives. Un contentieux dont l’utilité réelle pose question. En effet, huit fois sur dix environ, il débouche sur une décision favorable au demandeur… mais n’aboutit in fine que très rarement au logement ou relogement de l’intéressé. En outre, dans la quasi-intégralité des cas, l’injonction prononcée par le juge est assortie d’une astreinte financière que l’Etat se verse à lui-même.
Face à cette situation, les rapporteurs formulent un certain nombre de propositions. Outre l’appel à « une politique volontariste en faveur du logement social et très social se fondant sur un meilleur ciblage financier et géographique des aides à la pierre », Claude Dilain et Gérard Roche militent notamment pour une amélioration des conditions de mobilisation du parc social grâce à la mise en place de fichiers partagés des demandeurs prioritaires à reloger et une plus grande transparence des attributions à travers l’introduction généralisée de méthodes de « priorisation » des demandes partagées par l’ensemble des réservataires.
Il leur apparaît par ailleurs indispensable d’« aménager le cadre de gouvernance territoriale du DALO », en renforçant le rôle des intercommunalités et en mettant en place, en Ile-de-France, une « autorité organisatrice régionale pour le logement » disposant de pouvoirs d’arbitrage.
(1) Rapport disponible sur