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La tiers-mondisation du quart-monde

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Un quart-monde tiers-mondisé ? L’expression n’est, certes, pas sociologiquement correcte. Quiconque fréquente un tant soit peu les grandes artères urbaines et les transports en commun ne peut cependant que s’apercevoir du phénomène. Comment ne pas remarquer la « bidonvillisation » à l’œuvre dans les friches urbaines, à la périphérie des villes, autour des lignes ferroviaires ou à côté des autoroutes ? Comment ne pas distinguer les évolutions de la population des sans-abri qui, de plus en plus nombreux, sont d’abord sans papiers ? Surtout, peut-être, comment ne pas s’offusquer, pour ne pas dire s’indigner, du nombre d’enfants mendiants ?

Alors que les controverses se centrent sur les moyens nécessaires pour accueillir avec dignité des indigents, ressortissants européens ou extracommunautaires, Roms ou non, les critiques fustigent une supposée criminalisation de la misère. Effectivement repérable dans certains Etats membres – récemment en Hongrie, par exemple –, la réalité de cette criminalisation paraît difficile à étayer en France. Certes, la mendicité désignée comme agressive est désormais pénalisée (malgré les difficultés à la qualifier précisément). Des arrêts municipaux repoussent ailleurs ceux que l’on ne souhaite pas voir et des campements illégaux et dangereux sont démantelés. L’efficacité sur le plan national de ces dispositions et actions, d’ailleurs vertement attaquées, semble néanmoins toute relative, et l’on ne peut guère parler d’une criminalisation systématique.

Il en va autrement, en théorie, de l’exploitation et de l’incitation des enfants à la mendicité. Ces délits sont inscrits dans le code pénal, alors que la mendicité a été globalement dépénalisée au début des années 1990. Et c’est heureux ! Les services de police devraient donc être félicités de leurs actions et peut-être même invités à s’investir davantage quand ils permettent de mettre fin à des réseaux organisés. Car à fermer les yeux, ou à condamner systématiquement toute coercition, on laisse se développer des trafics ignobles, y compris d’êtres humains.

Le sujet des mineurs étrangers isolés est de fait très complexe. Il en va de la libre circulation des riches comme des pauvres dans l’Union, de la juste part que la France doit prendre dans l’accueil de la misère du monde (pour reprendre l’expression de Michel Rocard) et des charges élevées pesant sur les départements. Pour autant, il est absolument scandaleux que dans le pays qui, au monde, affecte la plus grande part de sa richesse nationale à la protection sociale, des enfants soient réduits et souvent conduits à mendier. Alors que les services de l’aide sociale à l’enfance sont parfois critiqués pour intervenir trop rapidement et trop durement auprès de familles relativement problématiques, on tergiverse et on se renvoie la balle concernant des mineurs qui devraient être à l’école plutôt que dans la rue, tandis que les adultes qui les accompagnent les exploitent.

Il est généralement de bon ton de s’émouvoir, de s’appuyer sur des rapports épinglant la France des droits de l’Homme, d’en appeler à davantage d’interventions et de dépenses publiques, et de se déclarer choqué d’un traitement dit « policier » de la misère. Mais la France n’a jamais autant agi et dépensé. Elle compte, à rebours de ce qui est régulièrement affirmé, parmi les nations les plus généreuses et les plus tolérantes. C’est d’ailleurs pour ces caractéristiques qu’une partie des populations que l’on trouve aujourd’hui dans ses rues ou ses centres d’accueil viennent chercher ce que leurs pays d’origine ne leur proposent pas, quand ils ne les repoussent pas sciemment. Plutôt que de se lamenter sur la stigmatisation et la criminalisation dont seraient victimes, en France, les demandeurs d’asile et les sans-papiers sans logement, il faudrait faire le comparatif exact de ce que représentent, en qualité, en garanties et en ampleur de l’offre, les DALO, CADA, ATA et AME (1), au regard de ce que les autres pays, au moins dans l’Union, proposent pour les demandeurs d’asile et les déboutés de ce droit d’asile. L’Etat a, depuis une trentaine d’années, dégagé toujours plus de ressources pour financer et rénover l’accueil, l’hébergement et le logement des sans-abri. Pourtant, des rues, des quartiers, des zones urbaines prennent le visage, à certains égards, de villes de pays du tiers-monde. Est-ce parce qu’on ne fait pas assez ? Est-ce parce que la gestion des frontières – sujet plus que sensible – ne fonctionne plus ? Chacun se fera son opinion. En tout état de cause, concernant les enfants qui mendient, et les adultes qui les oppriment, il faut attendre des services sociaux et de ceux de police qu’ils collaborent davantage pour réduire, sinon éliminer, l’insupportable. Soucieux d’action sociale bienveillante, l’Hexagone devrait porter haut et fort le sujet sur la place européenne et cesser de se regarder, avec un regard systématiquement critique, le nombril.

Notes

(1) Droit au logement opposable ; centre d’accueil pour demandeurs d’asile ; allocation temporaire d’attente ; aide médicale d’Etat.

Le point de vue de…

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