Recevoir la newsletter

« Il faut multiplier les espaces d’expression et de participation des jeunes »

Article réservé aux abonnés

Le nouveau président de la République a fait de la jeunesse l’une de ses priorités. Mais les jeunes sont-ils entendus dans l’élaboration des politiques qui les concernent ? L’idée de leur participation n’est pourtant pas neuve, rappelle Jean-Claude Richez qui étudie cette question, entre autres, à l’INJEP. Retraçant l’histoire des conseils d’enfants et de jeunes, il invite à développer les possibilités d’expression.

A quand remonte le thème de la participation des jeunes à la vie publique ?

L’idée d’une forme de représentation des jeunes apparaît dès 1944, avec la proposition d’un Parlement des jeunes esquissée par André Badevent, futur directeur adjoint à l’éducation. A la même époque, on assistait au développement des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire, qui accordent une grande place à la prise d’initiative et à la démocratie directe. Mais la participation des jeunes n’a réellement intégré l’agenda politique qu’en 1968, avec la loi « Faure » instaurant la participation des étudiants aux conseils universitaires. Les premières expériences de conseils de jeunes avaient été lancées avant 1968 dans une dizaine de villes. Plus tard, dans les années 1970, on a vu entrer des élèves dans les conseils de classe puis dans les conseils d’établissement. Ce mouvement sera toutefois assez lent, car non seulement il bouleversait les habitudes mais, pour certains, la participation apparaissait davantage comme un outil de contrôle social que comme un moyen d’émancipation. On dira d’ailleurs la même chose du travail social. A l’échelle internationale, cette question émerge notamment avec les travaux autour de la participation et du développement local de la spécialiste américaine en science politique Sherry R.Arnstein qui, en 1969, distinguait huit niveaux de participation des citoyens. Cette échelle est d’ailleurs toujours utilisée.

L’émergence de la participation des jeunes apparaît liée à une nouvelle vision de l’enfant…

Les politiques touchant à la participation des enfants et des jeunes renvoient effectivement à cette révolution qu’ont constituée les pédagogies nouvelles dans le champ de la psychologie et de l’éducation. On ne considère plus les enfants comme des sujets passifs mais bien comme des acteurs de leur propre vie, y compris dans le processus pédagogique. On peut citer Alexander Sutherland Neill, psychanalyste et pédagogue, fondateur en 1921 de la célèbre Summerhill School, en Angleterre. Mais aussi le pédiatre polonais Janusz Korczak qui, le premier, a proposé dans l’entre-deux-guerres qu’une charte de la Société des nations – l’ancêtre de l’ONU – prenne en compte les droits spécifiques des enfants. Les orphelinats qu’il dirigeait en Pologne étaient d’ailleurs organisés en république d’enfants, avec leur parlement et leur journal. Dans la même veine, on trouve en France des pédagogues et des psychologues proches du mouvement de l’Education nouvelle, comme Célestin Freinet, Maria Montessori, Jean Piaget, Fernand Deligny ou, plus loin, Françoise Dolto. Cette rupture conceptuelle profonde se matérialisera beaucoup plus tard, en 1989, avec la signature de la Convention internationale des droits de l’enfant, sous l’égide de l’ONU, qui reconnaît les droits spécifiques des jeunes.

Comment sont nés les conseils de jeunes ?

Les toutes premières expériences ont vu le jour dans les années 1970. A Vandoncourt, près de Montbéliard, le maire lance en 1971 un conseil de jeunes âgés de 15 à 25 ans, composé de 13 membres. Cette initiative, qui ne durera que cinq ans, s’inscrit dans une expérience plus large de ce qui ne s’appelait pas encore la « démocratie participative ». Mais l’initiative la plus marquante reste celle du conseil d’enfants créé en 1979 par la ville de Schiltigheim, dans la banlieue de Strasbourg. Dotée de véritables moyens, cette expérience qui dure toujours a fait école. Les conseils d’enfants nés par la suite relèvent de trois grandes filières. Dans les villes nouvelles, les jeunes sont nombreux et, sous l’impulsion d’urbanistes et de sociologues, on a cherché à les prendre en compte au niveau local. C’est dans cette logique qu’ont été fondés des conseils à Val-de-Reuil, à Savigny-le-Temple, à Torcy… Dans le même temps, le tout nouveau Conseil national de la prévention de la délinquance s’intéressait à ces instances censées favoriser une meilleure insertion des enfants et des jeunes dans le tissu local et créer du lien social. Enfin, au ministère de l’Education nationale, en 1985, une circulaire incitait les enseignants à développer une éducation civique « aussi vivante que possible ». Un certain nombre d’entre eux en ont profité pour développer des conseils d’enfants, comme Alain Vincent à Migennes, dans l’Yonne. A la fin des années 1980, ces conseils se sont regroupés pour donner naissance à une association nationale, l’Anacej, qui regroupe essentiellement des municipalités et des fédérations d’éducation populaire. Depuis les années 1980, les conseils d’enfants et de jeunes sont ainsi passés de moins de 200 à plus de 2000.

Ces conseils ont-ils une visée seulement consultative ou réellement décisionnaire ?

En France, les conseils d’enfants et de jeunes fonctionnent majoritairement sur le périmètre municipal mais peuvent aussi être intercommunaux, départementaux et même régionaux. A l’origine, ils ont été conçus comme des instruments pédagogiques d’éducation à la citoyenneté sortant des cadres traditionnels de l’instruction civique. Il s’agissait de former les jeunes in situ au fonctionnement de la vie publique. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce sont surtout des enseignants qui se sont investis dans les premières expériences. Mais, très vite, les choses ont évolué car on s’est rendu compte que la participation ne fonctionnait que si elle débouchait sur des actions engageant les enfants ou les jeunes ou sur une interpellation des pouvoirs publics. C’est d’ailleurs toute la difficulté de l’exercice. Beaucoup de maires ont lancé des opérations qui se sont finalement soldées par des échecs car ils n’avaient pas organisé la remontée de la parole des jeunes vers les élus. Lorsque la participation est trop instituée, ou s’il s’agit uniquement de communication, cela se traduit par un refus des jeunes. L’espace de participation doit déboucher sur un espace d’action, d’initiative et de proposition, relayé par les instances publiques. Cela pourrait aller jusqu’à laisser à ces conseils la possibilité de décider de l’utilisation de certains budgets, même si ce n’est pas le cas actuellement en France. Mais pour que cela marche, il faut des engagements de part et d’autre, en particulier de la part des responsables publics, qui doivent accepter les remises en cause et les critiques formulées par les jeunes.

Comment les jeunes conseillers sont-ils désignés ?

Sur la base du volontariat ou à l’issue d’une élection par leurs pairs. Le processus se déroule aussi bien en milieu scolaire que dans un cadre extrascolaire. Ce qui donne d’ailleurs des dynamiques très différentes. Dans le cadre scolaire, ce sont plutôt les bons élèves qui sont désignés pour siéger, mais à l’inverse à Strasbourg, où j’étais responsable de l’un de ces conseils, nous fonctionnions sur la base d’élections et avions même observé parmi les candidats une surreprésentation des jeunes provenant des quartiers populaires. Pour eux, il existe peu d’espace de socialisation politique et ils se tournent spontanément vers ce type de proposition. On peut d’ailleurs voir des jeunes en échec scolaire s’impliquer fortement dans ces conseils car ils peuvent y valoriser des compétences qui ne sont pas prises en considération à l’école, comme le charisme et une certaine aisance verbale.

Si le nouveau gouvernement souhaite relancer la participation des jeunes, quels moyens devrait-il employer ?

La période qui s’ouvre devrait être favorable à cette thématique. On le voit avec l’émergence de mouvements tels que les Indignés, Occupy Wall Street ou encore les Anonymous, qui remettent en cause une approche purement individualiste du fonctionnement social. Mais je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’inventer de nouveaux outils. Il faut plutôt multiplier les espaces d’expression ou de participation. Par exemple, lorsque les pouvoirs publics passent une convention avec une association, on pourrait conditionner l’attribution de subventions à l’obligation d’associer des jeunes à sa gestion. De même, à l’image du collège « Jeunes » prévu au sein du Conseil économique, social et environnemental, on pourrait imaginer la mise en place de représentations des jeunes dans différentes instances publiques. Il serait également possible de redynamiser le dispositif de vie lycéenne lancé au sein de l’Education nationale sous le gouvernement Jospin, ou encore d’encourager la création d’associations par des mineurs. Il existe à cet effet l’expérience des Juniors associations dédiées aux 15-18 ans, portée par la Ligue de l’enseignement et par la Fédération des centres sociaux. Ce dispositif tout à fait pertinent fonctionne selon les mêmes logiques que les conseils de jeunes, la différence étant l’absence d’une interaction directe avec une collectivité.

REPÈRES

Historien de formation, Jean-Claude Richez est coordonnateur de la Mission observation et évaluation au sein de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP). Il est l’auteur de l’article « Cinq contributions autour de la question de la participation des jeunes », en ligne sur le site www.injep.fr.

Rencontre

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur