« Au nom de l’efficacité et forts de l’apport de travaux, de programmes et de politiques expérimentées et rigoureusement évaluées, nous en appelons à la mise en œuvre d’une politique de prévention de la récidive digne de ce nom articulée autour du développement de la probation et cantonnant l’enfermement aux cas les plus graves. » Dans un manifeste « pour une peine juste et efficace » (1), huit organisations de professionnels de la justice et de l’insertion (2), ainsi que 55 autres signataires – personnes issues du secteur judiciaire et de la recherche –, prennent position pour une nouvelle politique pénale, en rupture avec « une décennie de politiques sécuritaires », qui ont « montré leur échec ». Le texte promeut le développement des alternatives à l’incarcération et l’instauration d’une « peine de probation », entendue par le Conseil de l’Europe comme « l’exécution en milieu ouvert d’une peine ou d’une mesure pénale emportant suivi, conseil et assistance dans le but de réintégrer socialement l’auteur de l’infraction et de contribuer à la sécurité collective ». Une intervention qui suppose un accompagnement adapté aux besoins et aux difficultés à résoudre et qui doit reposer sur une évaluation « des facteurs personnels et contextuels à l’origine de la commission d’actes de délinquance et non sur l’appréciation d’une soi-disant “dangerosité” ».
Ce manifeste s’inspire d’une note d’une trentaine de pages préparée depuis le mois de janvier par un groupe de chercheurs et de praticiens, parmi lesquels des magistrats et des conseillers d’insertion. « Nous avons travaillé à un projet alternatif à celui mis en place sur le traitement de la récidive. Nos expériences et l’état de la recherche nous permettent de penser que ce qui est efficace n’est pas l’enfermement, mais la capacité à suivre une personne en milieu ouvert, selon des garanties, des protocoles évalués, dans le cadre d’un projet cohérent », explique Jean-Claude Bouvier, juge de l’application des peines à Créteil, qui a coordonné les travaux avec Valérie Sagant, depuis devenue conseillère « politiques publiques, pénales et actions judiciaires » auprès de la garde des Sceaux. Pascale Bruston, aujourd’hui « conseillère technique pénitentiaire et protection judiciaire de la jeunesse », a également participé à la réflexion.
Le document rappelle que toutes les études, menées en France et à l’étranger, s’accordent à démontrer que « l’enfermement n’est pas efficace à prévenir la récidive ». Alors qu’en France, les mesures de probation « se définissent surtout comme des conditions et obligations à respecter pour que l’emprisonnement ne soit pas exécuté », les auteurs préconisent la création d’une peine de probation « autonome, dissociée de l’emprisonnement », essentiellement centrée sur le contenu du suivi. Prononcée par le tribunal, elle se substituerait aux actuelles mesures alternatives. Le non-respect de cette peine pourrait conduire au renforcement du contrôle ou à l’incarcération. Elle s’appuierait sur un « service public de la probation renforcé », avec des moyens réévalués, une plus grande mobilisation des services de droit commun et des partenaires. « Les orientations de travail des services pénitentiaires d’insertion et de probation doivent être plus clairement priorisées, souligne la note : le système actuel est caractérisé par la focalisation des moyens sur les infractions les plus graves – car on considère que plus l’infraction est grave, plus le risque de récidive est important. Ce raisonnement est erroné. »
Le document pointe que l’inflation législative de ces dernières années s’est accompagnée d’une augmentation de la population carcérale, que l’accent mis récemment sur le développement des aménagements de peine n’a pas permis d’enrayer. Au 1er avril 2012, 57 268 places étaient disponibles pour 67 161 personnes détenues. La majorité (80 %) des personnes entrant en prison y reste moins de un an et 61 % moins de six mois. Les personnes « en sortent dans des conditions qui ne favorisent ni leur réinsertion ni l’absence de récidive. Contrairement aux idées reçues, ces courts passages en prison ne protègent pas du risque de récidive, mais au contraire l’augmentent. » Par ailleurs, environ 25 % des personnes entrant en prison sont sans ressources et 25 % n’avaient pas de domicile personnel ou d’hébergement stable.
Outre l’instauration d’une nouvelle peine de probation, le groupe de travail propose de freiner et de prévenir la surpopulation carcérale, « obstacle majeur à l’efficacité de la peine ». Les solutions : supprimer certaines mesures législatives, comme celles portant sur les peines planchers, interrompre le programme de construction de nouvelles places de prison, favoriser les aménagements de peine, ou encore fixer le nombre maximum de détenus pouvant être accueillis dans les établissements pénitentiaires. Enfin, la note promeut une modernisation du système pénal, ce qui passerait d’une part par une meilleure adéquation entre les moyens de la justice et les objectifs qui lui sont assignés, d’autre part par des réformes « replaçant la peine de prison dans une échelle de peines plus équilibrée ».
Loin d’une pure prise de position idéologique, les rédacteurs défendent « une approche pragmatique et réaliste destinée à alimenter valablement les débats actuels sur la prévention de la récidive ». La nouvelle mandature présidentielle leur apparaît « une occasion unique de procéder à une réforme d’ensemble du système pénal pour lui donner cohérence et lisibilité ».
(1) Disponible dans notre « docuthèque », sur
(2) L’Association française de criminologie, l’Association nationale des juges de l’application des peines, la Farapej, la FNARS, l’OIP, le Snepap-FSU, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature.