Cette fois-ci, la coupe est pleine. Connus pourtant pour leur extrême discrétion et peu familiers de l’action de lobbying, les CREAI (centres régionaux pour l’enfance et l’adolescence inadaptées) ont décidé de frapper un grand coup à travers leur tête de réseau : l’Ancreai (Association nationale des CREAI) s’est retirée de la douzaine de commissions spécialisées ou groupes de travail du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Un retrait effectif depuis le début d’année, mais qu’elle a décidé de rendre public. Les raisons ? La décision de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) de baisser les subventions de fonctionnement des 19 CREAI de 38 % en 2011 et de 50 % sur la somme restante en 2012. « Leur montant est passé de 1 917 200 € en 2010 à 616 997 € en 2012, soit une diminution de 67,80 % en deux ans ! », s’alarme l’Ancreai.
L’Etat voudrait supprimer ces structures qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Plus question donc pour l’association, qui, durant ces dernières années, a mis en place les chantiers nationaux proposés par la DGCS et poursuivi malgré les baisses de financement sa participation à toutes les instances nationales (CNCPH, mais aussi Onfrih, ANESM, CNSA [1]…) de continuer sans réagir. « La posture de conciliation, de patience, de négociation n’est plus à l’ordre du jour car c’est l’avenir même des CREAI qui est en question. Leur situation financière et celle de leur association nationale n’est plus tenable », s’alarme l’Ancreai. Déjà le CREAI de Lorraine en 2008 et celui de Poitou-Charentes en 2010 ont mis la clé sous la porte « dans le plus grand silence des autorités de tutelle », précise Annie Cadenel, déléguée nationale de l’Ancreai. Afin de garantir une couverture nationale, l’association a d’ailleurs mis en place dans ces deux régions des délégations assurées par les CREAI des territoires limitrophes.
La pilule est d’autant plus difficile à avaler que les textes soulignent l’intérêt de ces structures. Tant l’annexe budgétaire de la loi de financement de sécurité sociale pour 2012 qui reconnaît « leur rôle régional d’observation sociale, d’évaluation et d’étude » du fait de leur « technicité (méthodologie d’enquête) » et leur « bonne connaissance du secteur social et médico-social », que la circulaire DGS/CNSA du 17 mars 2011 qui relève qu’ils proposent « une offre de service intéressant à la fois les décideurs publics dans le champ des personnes handicapées et en situation de vulnérabilité et d’exclusion, les gestionnaires des structures sociales et médico-sociales et les usagers » (2).
Certes cette circulaire justifiait la baisse de crédits par rapport à 2010 en expliquant que le soutien aux CREAI était appelé à évoluer « pour substituer progressivement une logique de financement de projets à un soutien au fonctionnement ». Elle indiquait qu’une réflexion devait être conduite, en vue de faire évoluer les statuts des CREAI, leurs missions, leurs possibilités de regroupement et de mutualisation de leurs ressources et moyens, entre eux ou avec d’autres structures aux missions proches. De quoi nourrir de fortes inquiétudes sur les intentions de la DGCS sauf que celle-ci avait lancé à la fin de l’année 2011 une enquête nationale auprès des CREAI, des agences régionales de santé et des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale afin de mesurer comment ces acteurs voyaient ces structures et promis une concertation avec l’Ancreai. « Les questionnaires ont été remplis mais il n’y a eu aucun retour. On n’a aucune visibilité sur ce que l’Etat souhaite faire de nous », explique Annie Cadenel. « Est-ce que les CREAI servent à quelque chose ? On aimerait qu’on nous le dise clairement », s’agace Alain Laurent, président de l’Ancreai. Interrogée par les ASH, la direction générale de la cohésion sociale n’avait toujours pas répondu au moment de notre bouclage.
On peut d’ailleurs s’interroger sur le fait que l’on diminue drastiquement les crédits avant même d’avoir défini ce qu’on attendait de ces structures. « Les CREAI et l’Ancreai ne peuvent pas assurer en même temps leur autofinancement à 100 % et poursuivre leurs missions d’intérêt général d’observation et de conseil aux acteurs publics des politiques d’action sociale, médico-sociale et de santé », souligne l’Ancreai. Et d’insister sur l’ancrage territorial des CREAI, leur connaissance des acteurs et leur expertise indépendante (3), qui en font des partenaires incontournables de l’élaboration et de l’évaluation des politiques publiques. « Depuis 2008, on a mis en place deux pôles de compétences, l’un sur la fonction d’observation des CREAI et de l’Ancreai, qui a permis, par exemple, de réaliser des analyses comparées des schémas d’organisation médico-sociale pour le volet “handicap” au plan des régions et une analyse de ces schémas au plan national afin d’avoir deux lectures. L’autre vise à accompagner les établissements et services dans la transformation des pratiques professionnelles, notamment par rapport aux droits des usagers », souligne Annie Cadenel. « On structure le réseau, on se donne les moyens pour que les CREAI et l’Ancreai soient une force de proposition sur les transformations de l’action sociale. »
Mais pour combien de temps encore ? Certains partenaires affichent leur inquiétude. « Au sein des différentes régions où ils sont présents et actifs les CREAI sont de vrais partenaires pour nos établissements. Ils sont, là où ils fonctionnent, des lieux de réflexion et d’expertise pour l’amélioration de nos pratiques et de l’accompagnement des personnes qui nous sont confiées. Ils sont également, par leur neutralité, des partenaires capables d’interpeller tant les associations que les autorités de contrôle sur les besoins et les manques dans nos dispositifs. Leur travail a permis également de favoriser le lien entre différentes associations, au-delà de leurs différences légitimes, autour de réflexions et de travaux en réseau centrés sur la personne accompagnée », estime Thierry Cabrita, délégué national handicap à la Croix-Rouge française.
Justement, ces structures sont-elles simplement victimes des restrictions financières ou leur indépendance et le fait qu’elles sont un peu le poil à gratter des associations et des institutions ne gênerait-elle pas les autorités de tutelle ? « Quand je pense à tous les rapports de grande qualité qu’ils produisent et qui restent dans les tiroirs, on est en droit de s’interroger », estime Rachel Boulenger-Dumas, présidente de l’Adapei des Yvelines. « Le CREAI Ile-de-France avait réalisé à la demande du conseil régional une étude sur deux ans sur les parcours de scolarisation et de formation des jeunes en difficulté. Ce rapport très pertinent donnait le mode d’emploi pour y remédier. J’ai été très étonnée que l’inspection académique ne soit pas au courant de ce travail. Pourquoi les autorités de tutelle ne se servent-elles pas davantage de ces outils qui offrent un véritable appui technique ? Ce serait un gâchis de les éliminer. » Un avis partagé par Thierry Cabrita : « Leur disparition, si elle était confirmée, amputerait l’ensemble du secteur médico-social d’une expertise et d’une compétence indépendante qui n’a pas son équivalent aujourd’hui dans le paysage médico-social. » Ce serait « une aberration tant sur le plan financier que sur le plan de la qualité de l’accompagnement et celui de la connaissance sur les questions sociales », ajoute Pascale Roussel, professeur à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP).
De son côté, même s’il en comprend les raisons, Patrick Gohet, président du CNCPH, regrette le retrait de l’Ancreai des commissions du conseil. « Son savoir-faire va nous manquer. » Il a proposé à ses représentants un temps de parole à la séance plénière du CNCPH du 20 juin. L’Ancreai, quant à elle, propose à ses partenaires (associations gestionnaires et d’usagers, conseils généraux, centres de ressources, CNSA, EHESP, Observatoire national de l’enfance en danger) et aux membres des instances auxquelles elle participe de réaffirmer leur attachement au rôle et à l’utilité des CREAI.
(1) Respectivement Observatoire national sur la formation, la recherche et l’innovation sur le handicap, Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux et caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.
(2) Voir ASH n° 2717 du 8-07-11, p. 9.
(3) Les CREAI sont des associations qui réunissent tous types d’acteurs du champ social (usagers, associations gestionnaires, pouvoirs publics, etc.) et sont financés par des subventions de la DGCS, des contributions des membres et de la vente de prestations.