Recevoir la newsletter

Epoux et concubines

Article réservé aux abonnés

Alors que vieillit la première génération d’époux polygames, les jeunes hommes éduqués en France ou récemment immigrés ne semblent pas enclins à reproduire cette pratique.

Seul le mariage civil ayant une existence légale en France, l’état de polygamie visé par la loi d’août 1993 est uniquement celui d’hommes qui ont contracté plusieurs unions civiles. Cependant, un homme marié civilement à plusieurs épouses dont une seule vit dans l’Hexagone n’est pas considéré comme polygame au regard de sa situation administrative. Ce qui peut conduire certains maris, que saisit par exemple le démon de midi, à procéder à des échanges de femmes. « Dernièrement, une première épouse nous a sollicités car son mari voulait la renvoyer au pays pour faire venir la seconde, plus jeune », témoigne Jean-Marie Ballo, fondateur de l’association Nouveaux Pas, aux Ulis (Essonne), qui travaille à l’insertion socio-économique des familles immigrées. « Grâce aux ateliers d’alphabétisation et de socialisation que nous organisons, ce sont les femmes elles-mêmes qui aujourd’hui nous alertent sur ces situations », se réjouit Jean-Marie Ballo, une vigie de la lutte contre la polygamie. En 2003, il avait repéré 12 foyers polygames, soit 26 épouses et 145 enfants. Epaulé par la municipalité, le président de Nouveaux Pas a alors monté une plateforme pluri-institutionnelle d’accompagnement à la décohabitation. Celle-ci a fait la preuve de son efficacité : depuis 2010, il n’y a plus qu’un seul ménage polygame aux Ulis, dont la seconde épouse a refusé la séparation. Connaissant bien la polygamie pour avoir été élevé au Mali, l’éducateur spécialisé fustige une « coutume qui bafoue les droits des femmes et a des effets dévastateurs sur les enfants ». Sur les 145 qu’il avait recensés il y a dix ans, Jean-Marie Ballo dit pouvoir compter sur les doigts d’une main ceux qui ont réussi à s’insérer. « Ces jeunes qui ont maintenant 25-30 ans sont restés sur le carreau », se désole-t-il. Non parce qu’ils étaient inintelligents, mais parce que leurs conditions de vie n’étaient pas adaptées.

Du moins, filles et garçons auront été vaccinés : cette deuxième génération ne reproduira pas la polygamie, elle en a trop souffert, s’accordent à dire les experts. Claudette Bodin, assistante sociale qui préside l’association Afrique Partenaires Services, introduit un bémol pour ce qui est des jeunes hommes. « Je ne vois pas ces jeunes grandis ici “faire la polygamie”, mais sait-on jamais ? Il faudra attendre pour en être sûrs, car les chefs de famille polygames ne prenaient généralement leur deuxième épouse que vers l’âge de 50 ans. » S’agissant des migrants récents, venus des mêmes régions que les vieux immigrés polygames, Isabelle Gillette-Faye a la même prudence. Ces jeunes adultes « n’ont pas du tout l’intention, pour l’instant, de s’adjoindre un jour une deuxième épouse. Néanmoins, on ne pourra savoir ce qu’il en est réellement que quand ils auront 40 ou 50 ans », déclare la directrice du GAMS (Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles, des mariages forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants).

Ce qui semble actuellement plus préoc­cupant – même si on n’a aucune idée du nombre de personnes concernées –, c’est la banalisation de la polygamie de fait : une seule union civile et un ou plusieurs mariages religieux ou coutumiers. « Même en Afrique de l’Ouest, maintenant, c’est comme ça : une femme est épousée civilement, l’autre juste religieusement », commente Fanta Sangaré, responsable de l’association Femmes relais de Bobigny (Seine-Saint-Denis). La polygamie de fait est d’autant plus difficile à mettre en évidence qu’« époux » et concubines ne vivent pas forcément sous le même toit : ces dernières habitent souvent seules avec leurs enfants. « Beaucoup de jeunes, voire de très jeunes filles, sont concernées, des mineures qui sont mariées de force, ici ou au pays », affirme Fanta Sangaré. Cependant, « grâce à tout le travail fait avec les mères, les filles ont maintenant une meilleure connaissance des lieux-ressources pour se protéger », estime Aïcha Sissoko, directrice de l’AFAVO (Association pour l’accompagnement et la formation des fem­mes et des familles). De fait, le cas échéant, les intéressées vont frapper à la porte de Voix de femmes, association également située dans le Val-d’Oise, qui lutte contre les mariages forcés. Sur les 48 jeunes filles d’origine malienne ou sénégalaise ayant contacté Voix de femmes en 2011, 36 l’ont fait pour cette raison. Généralement issues elles-mêmes d’un foyer polygame, ces jeunes sont mariées de façon coutumière et contraintes d’aller le week-end chez leur mari, où elles rencontrent les co-épouses.

Décryptage

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur