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Garde à vue au seul motif d’un séjour irrégulier : vers la fin de la cacophonie judiciaire ?

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Un étranger peut-il être placé en garde à vue au seul motif qu’il est soupçonné d’être en situation irrégulière ? Alors que, depuis deux décisions ambiguës rendues par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en 2011, la question divise les tribunaux français, la chambre criminelle de la Cour de cassation estime que, au regard du droit européen, de telles gardes à vue ne peuvent être prononcées. C’est ce qu’elle explique dans un avis rendu le 5 juin dernier à la demande de la première chambre civile de la Cour de cassation. Appelée à trancher définitivement le débat – en principe le 5 juillet prochain –, celle-ci souhaitait en effet connaître la position de la chambre criminelle avant de se prononcer. Les organisations de défense des droits des étrangers espèrent qu’elle suivra cet avis (voir ce numéro, page 28).

Des décisions de justice européennes ? sujettes à interprétation

Au cœur de cette bataille juridique : l’article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), qui punit d’une amende de 3 750 € et d’une peine d’emprisonnement de un an tout ressortissant d’un pays tiers à l’Union européenne qui a pénétré irrégulièrement en France, a séjourné sur le territoire sans titre de séjour ou s’y est maintenu au-delà de la durée autorisée par son visa. Cet article constitue le fondement légal de nombreux placements en garde à vue décidés sur le seul motif du séjour irrégulier. En effet, depuis la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, les officiers de police judiciaire ne peuvent placer en garde à vue que les personnes soupçonnées d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement.

Or deux arrêts de la CJUE – « El Dridi » du 28 avril 2011 (1) et « Achughbabian » du 6 décembre 2011 (2) – ont donné lieu, de par leur formulation sibylline, à des interprétations divergentes, certains jugeant que le placement en garde à vue de clandestins sur le fondement de l’article L. 621-1 du Ceseda constituait une entorse au droit européen tandis que d’autres – à l’instar de l’ancien garde des Sceaux, Michel Mercier (3) – validaient au contraire cette pratique.

L’arrêt « Achughbabian », en particulier, avait semé le trouble. En effet, il y apparaît que, si les Etats peuvent avoir recours à une peine d’emprisonnement pour sanctionner l’entrée ou le séjour irrégulier d’un ressortissant de pays tiers, une telle peine doit être réservée à l’hypothèse où les mesures coercitives prévues par la directive européenne 2008/115/CE du 16 décembre 2008 – dite « directive retour » – n’ont pas permis de parvenir à son éloignement. Autrement dit, le recours à une peine de prison est exclu lorsque l’intéressé n’a pas encore fait l’objet d’une mesure coercitive d’éloignement ou avant que la procédure d’éloignement ait été menée à son terme.

Pour l’ancien gouvernement, cela ne faisait pas obstacle à ce que les étrangers en situation irrégulière puissent être placés en garde à vue le temps nécessaire pour procéder aux vérifications propres à établir si l’intéressé doit faire l’objet d’une procédure d’éloignement du territoire ou de procédures judiciaires. Pour les associations de défense des droits des étrangers, au contraire, la position de la CJUE privait la garde à vue pour séjour irrégulier de son fondement légal dans la mesure où, en droit français, le placement en garde à vue ne peut s’effectuer que si une personne est soupçonnée d’une infraction légalement sanctionnée par une peine d’emprisonnement.

Saisi par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel avait, le 3 février dernier, refusé de trancher, jugeant simplement l’article controversé du Ceseda conforme à la Constitution… tout en se déclarant incompétent pour juger de sa compatibilité avec le droit européen (4). La décision de la Cour de cassation est donc très attendue.

Une position sans ambiguïté

L’avis rendu par la chambre criminelle est sans ambiguïté. Il résulte de la « directive retour », « telle qu’interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne », qu’un étranger mis en cause pour le seul délit de séjour irrégulier prévu par l’article L. 621-1 du Ceseda n’encourt pas l’emprisonnement lorsqu’il n’a pas été soumis préalablement aux mesures coercitives prévues par la directive. Or, rappellent les Hauts Magistrats, une mesure de garde à vue ne peut être décidée que « s’il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne concernée a commis ou a tenté de commettre un crime ou un délit puni d’emprisonnement ». « Il ne peut donc être placé en garde à vue à l’occasion d’une procédure diligentée de ce seul chef. »

La chambre criminelle précise encore que, dans l’état du droit antérieur à l’entrée en vigueur de la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, un étranger ne pouvait également pas être placé en garde à vue à l’occasion d’une procédure diligentée pour entrée ou séjour irrégulier selon la procédure de flagrant délit. « Le même principe devait prévaloir lorsque l’enquête était menée selon d’autres formes procédurales », ajoute-t-elle.

[Cass. crim. 5 juin 2012, avis n° 9002, disp. sur www.courdecassation.fr]
Notes

(1) Voir ASH n° 2708 du 6-05-11, p. 5.

(2) Voir ASH n° 2737 du 16-12-11, p. 16.

(3) Sur l’argumentaire de l’ancien garde des Sceaux, voir ASH n° 2738 du 23-12-11, p. 20.

(4) Voir ASH n° 2746 du 10-02-12, p. 6.

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