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Parcours en commun

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En mai 2011, trois associations de Roubaix et de Tourcoing qui œuvrent dans le domaine du handicap mental et psychique ont décidé de créer un groupement de coopération sociale et médico-sociale. L’ambition des Papillons blancs, d’Un toit et moi et du Chevêtre ? Proposer un accompagnement individualisé en mutualisant leurs compétences et leurs moyens. Les premiers résultats positifs se font déjà sentir.

Othman Belacel va avoir 20 ans en décembre prochain. Il le dit avec fierté, et les mots se bousculent dans sa bouche. Et ce ne sera pas une difficulté, ni pour ce jeune homme atteint de troubles envahissants du développement (TED) ni pour sa mère, grâce au groupement de coopération sociale et médico-sociale (1) Parcours, créé il y a juste un an, le 24 mai 2011. Trois associations aux activités complémentaires, travaillant toutes dans le domaine du handicap sur le même territoire, entre Roubaix et Tourcoing (Nord), ont choisi de rassembler leurs forces et de mutualiser moyens et connaissances pour mieux accompagner leurs usagers : Un toit et moi, qui gère six résidences pour adultes dé­ficients mentaux autonomes ; le Chevêtre, qui s’occupe d’enfants atteints de TED de 6 ans jusqu’à l’âge adulte ; et les Papillons blancs, créés en 1962 par des parents d’enfants handicapés mentaux, qui proposent une gamme étendue de possibilités d’accueil et de services, avec leurs 49 établissements.

Othman va quitter en douceur l’établissement de son enfance et de son adolescence, l’institut médico-éducatif Le Relais géré par le Chevêtre, pour rejoindre le foyer de vie Singulier Pluriel des Papillons blancs, où il passe un jour par semaine en accueil de jour depuis le 1er juillet 2011. « Nous offrons ainsi la possibilité à des jeunes du Relais d’envisager une vie d’adulte dans notre établissement », explique José Pagerie, le directeur, éducateur spécialisé de formation. Ce passage délicat de l’enfance à l’âge adulte, où le parent doit accepter de se séparer de son enfant pour lui donner l’autonomie dont il a besoin, se double la plupart du temps de la nécessité de trouver un nouvel établissement. Une recherche anxiogène. « Souvent, les parents doivent se débrouiller, reconnaît Coryne Husse, la présidente des Papillons blancs. Le groupement fluidifie le parcours, à cet âge charnière des 20 ans. » Les professionnels qui accompagnent Othman dans les deux associations échangent régulièrement, et trois rencontres plus formelles ont été l’occasion de présenter les activités proposées en accueil de jour, puis de formaliser le projet dans une convention de stage. Othman a choisi de venir le vendredi, quand les sorties sont les plus nombreuses. Dans le même temps, il a commencé à fréquenter régulièrement l’internat du Chevêtre, pour se détacher peu à peu du domicile familial et prendre son envol. « C’était plus souple dans la mise en place, et Othman se sent bien, il a fait sa place et pris ses repères dans la nouvelle structure », témoigne Tiphaine Crozart, assistante sociale au Chevêtre. Cette conjonction intelligente des ressources disponibles de part et d’autre a rassuré la mère du garçon, qui avoue avoir « beaucoup de chance ». Elle craignait la perte du côté cocon du Relais – ce « monde de petits », comme elle le dit – et s’interrogeait sur la patience de la nouvelle équipe face aux colères potentielles de son fils. Aujourd’hui, elle n’a plus de réticences et espère qu’un jour il rejoindra l’un des 39 studios de Singulier Pluriel, pour y vivre à plein temps. « Dans cette progression, chacun a fait son chemin et des questions se sont effacées », constate José Pagerie.

Déterminer la structure adaptée

Le groupement va trouver une autre illustration de son utilité, avec une passerelle entre Un toit et moi et les Papillons blancs : « Nous allons bientôt avoir en admission définitive une résidente vieillissante », signale José Pagerie. Les établissements d’Un toit et moi rassemblent des studios, avec un lieu de vie commun et une maîtresse de maison, destinés à des personnes handicapées mentales travaillant la journée. Quand l’âge de la retraite approche, avec une perte de l’autonomie, cette formule d’hébergement devient plus difficile à tenir. « Savoir quelle est la structure la mieux adaptée pour chacun, c’est être dans la bientraitance », souligne Bruno Raviart, éducateur spécialisé et chef de service à Un toit et moi, qui se félicite de l’existence d’une multiplicité de contacts avec les Papillons blancs. Visite d’un foyer de vie pour démystifier le lieu et établir une première prise de contact pour les résidents ; prêt d’un véhicule pour un déplacement sur le littoral, etc. Certes, ce réseau existait déjà, mais Bruno Raviart confirme le côté « facilitateur » du groupement.

Pour les présidents des trois associations concernées, il y a tout lieu de se satisfaire de ces premiers résultats. Car la création du Parcours est d’abord une décision politique, prise par les administrateurs. « Nous sommes fortement incités au regroupement. Le conseil général et l’Etat estiment qu’il y a trop de petites associations et que nous avons tout intérêt à mutualiser nos moyens, témoigne Sabine Caille, présidente d’Un toit et moi. C’est un mouvement d’ampleur nationale, qui est aussi une manière de résister à la baisse des moyens. Or il vaut mieux choisir nous-mêmes nos partenaires. » Marc Depoorter, président du Chevêtre, abonde : « C’était une nécessité pour garantir la pérennisation de nos associations. » Maurice Leduc, directeur général des Papillons blancs et ancien éducateur spécialisé, résume : « Il s’agit de tisser des liens avec des associations amies et complémentaires sur le même territoire. » Un point de vue partagé par José Pagerie, directeur de Singulier Pluriel : « Un groupement ne peut pas se faire avec des associations qui ne se connaissent pas. Il concrétise des habitudes et des proximités déjà existantes. »

Dans le cas de Parcours, les liens sont serrés, car les trois structures travaillent sur le même territoire restreint, entre Roubaix et Tourcoing. De plus, Un toit et moi est né d’une dissidence au sein même des Papillons blancs. En 1986, l’un des administrateurs voulait offrir aux handicapés mentaux adultes les plus autonomes, qui travaillaient, la possibilité de vivre dans un appartement, comme tout un chacun, grâce à une offre de service en soirée adaptée. La proposition, trop novatrice, avait été refusée. Il avait alors quitté les Papillons blancs pour créer sa propre association, mais sans rompre le contact. Sabine Caille, présidente d’Un toit et moi, appartient ainsi au conseil d’administration des Papillons blancs. Et son directeur, Eric Knaus, titulaire d’une maîtrise de droit public et du certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement de responsable d’unité d’intervention sociale (Caferuis), est aussi administrateur au Chevêtre. Mais les trois présidents avaient la volonté de formaliser ces relations pour qu’elles ne dépendent pas de questions de personnes. Qu’importe qui seront les futurs présidents des trois conseils d’administration, le groupement subsistera, l’essentiel étant de porter des valeurs communes. Les Papillons blancs et Un toit et moi sont des associations de parents d’enfants handicapés mentaux, où l’usager et sa parole sont au cœur de la réflexion et des pratiques. Le Chevêtre a été créé, lui, par des professionnels du travail social pour répondre aux besoins de prise en charge des enfants autistes. Ce qui ne l’empêche pas de partager la même philosophie : respect de la personne, de son projet et de son entourage. « Nous sommes toujours dans une coconstruction entre usagers, parents et professionnels, c’est un dialogue permanent », affirme Marc Depoorter.

Formaliser des relations existantes

II a cependant fallu poser clairement les règles constitutives du groupement. Dans Parcours, les associations n’ont pas la même taille (voir encadré page 35) : les Papillons blancs emploient 1 080salariés et accompagnent 2 600 usagers, quand le Chevêtre ne compte que 47 salariés pour 38 enfants accueillis et Un toit et moi 39 salariés, la plupart à temps partiel, pour 60 résidents. Le risque, bien sûr, est que l’association la plus importante avale ses deux partenaires. « Nous ne sommes pas dans le cadre d’une fusion », rappelle Sabine Caille. Et Marc Depoorter, du Chevêtre, insiste : « Les trois associations gardent chacune leur légitimité et leur identité ». « Ce serait pour nous une erreur de n’avoir que des grosses associations, complète Coryne Husse, son alter ego des Papillons blancs. Il n’est pas nécessaire de créer des établissements qui existent par ailleurs. Le Chevêtre est expert dans les troubles du développement, Un toit et moi offre une forme d’habitat que nous n’avons pas par choix. Il vaut mieux travailler avec eux en étroite collaboration. » D’ailleurs, les Papillons blancs n’ont qu’une crainte : devenir trop grand. « Nous arrivons à une taille qui commence à être importante, confie Maurice Leduc, son directeur. Un développement trop important pourrait nous faire perdre notre âme. » Pour l’association, il s’agit de répondre à des besoins et non de se développer pour le principe, explique-t-il. C’est pourquoi le conseil d’administration des Papillons blancs a été, dans un premier temps, le plus réticent au projet de groupement. Car c’était étendre la prise en charge vers le handicap psychique, comme dans le cas d’Othman Belacel, alors que l’association est originellement positionnée uniquement sur le champ du handicap mental. D’où l’intérêt de la collaboration. Même si « l’autisme peut être considéré comme un champ de développement pour nous, souligne Maurice Leduc, nous préférons accompagner ceux qui sont déjà spécialisés ». En l’occurrence, le savoir-faire du Chevêtre intéresse aussi bien les professionnels des Papillons blancs que ceux d’Un toit et moi. Natacha Zawadzki, monitrice-éducatrice, et animatrice de l’accueil de jour du foyer Singulier Pluriel, en témoigne : « Ici, nous avons commencé à mettre en images tout le fonctionnement du foyer, pour qu’il soit accessible à tous. C’est une thématique qui a été déjà beaucoup travaillée au Relais, et nous en profitons. »

Au-delà d’une simple mutualisation

Reste qu’il n’a pas été facile de franchir le pas. « Nous avons beaucoup réfléchi avant la création de Parcours, reconnaît Coryne Husse. C’était alors le début des groupements de coopération et ils se créaient sur une volonté de rationalisation des moyens. Ce n’était pas l’entrée que nous voulions. » Car le premier objectif, comme l’indique clairement la convention constitutive du groupement, vise à « élargir l’accompagnement des personnes concernées en offrant des prestations globales, des parcours diversifiés et complémentaires ». C’est cette approche qui a d’ailleurs séduit Virginie Ringler, à l’époque chargée de territoire à la direction de l’offre médico-sociale, à l’agence régionale de santé (ARS). « Nous avons soutenu cette proposition car c’était la première fois qu’un groupement de coopération faisait appel à la notion de parcours. La grande majorité des dossiers étaient dans une logique comptable de mutualisation. Les trois associations ont su utiliser un outil juridique innovant et d’actualité pour donner une assise à leur idée », rappelle-t-elle. Seul point de vigilance de son côté : que le groupement ne soit pas l’occasion d’un « captage des usagers ». « Mais je savais que ces trois associations n’étaient pas dans cet esprit-là. » L’ARS a d’ailleurs apporté une aide de 5 000 € au projet.

Dans un deuxième temps seulement est venue la mise en commun des moyens et de la logistique. Les Papillons blancs avaient été échaudés par une collaboration infructueuse sur la gestion d’une maison d’accueil spécialisé : « Une association s’occupait des murs, l’autre du fonctionnement. Personne ne s’y est retrouvé », se souvient sa présidente. Le groupement devait donc aller au-delà de la simple mutualisation même si ce volet est bien présent. Un toit et moi et le Chevêtre vont ainsi profiter de l’expertise des Papillons blancs, dont ils comptent solliciter les services financiers, d’évaluation extérieure ou de formation. Une aubaine, alors qu’ils n’ont pas le budget pour financer de tels postes chez eux. Une session de formation sur la bientraitance s’est déjà tenue, qui a rassemblé des salariés venant de tout le groupement. Autre avantage, la « perméabilisation » entre les services des trois associations va faciliter les échanges entre professionnels. Eux aussi pourront se construire leur parcours à l’intérieur du groupement en utilisant les opportunités d’emplois offertes. Déjà, les Papillons blancs ont ouvert à tous leur plate-forme d’offres d’emploi. Et, à terme, Sabine Caille espère voir naître une équipe volante de remplaçants, embauchés sur des contrats longs et capables de tourner sur les trois associations en cas d’absence. « Mais il faut évaluer avant les besoins de remplacement sur le groupement, pour identifier les profils auxquels on peut offrir un temps complet de cette manière », précise Coryne Husse. L’avantage est évident : stabiliser des professionnels compétents, immédiatement opérationnels, car ils connaissent les associations. Le groupement offre aussi la possibilité de rassembler les temps partiels et de pouvoir offrir un CDI à temps complet sur deux ou même trois structures. Un toit et moi, dont l’essentiel des besoins se situe en soirée, entre 17 h 30 et 20 h 30, et qui emploie de ce fait beaucoup de salariés à temps partiel, surtout chez les aides médico-psychologiques (AMP), y voit une manière de faciliter son recrutement. Le Chevêtre, quant à lui, espère pouvoir disposer de postes de repli pour ses salariés, que ce soit aux Papillons blancs ou à Un toit et moi, où les publics sont moins exigeants. Son personnel, qui accompagne des enfants avec un fort besoin de suivi, a parfois besoin d’un « bol d’oxygène », pour éviter le burn-out. Le groupement, « c’est aussi rompre l’isolement », remarque Patrick Dussart, directeur du Chevêtre. Et cela jusqu’en haut de la hiérarchie. « Pour les directeurs, il est important d’avoir un support d’échange quand on a un besoin d’un avis ou d’un éclairage sur un point technique. »

Un mode de gouvernance égalitaire

Afin d’élaborer leur convention constitutive, les trois associations ont fait appel aux services d’un cabinet d’avocats pour résoudre des points précis. Par exemple, le Chevêtre et Un toit et moi comptent dans leurs conseils d’administration respectifs des salariés des Papillons blancs. Il a été décidé qu’ils ne pouvaient pas devenir administrateurs du groupement pour éviter de les placer dans des situations embarrassantes, en étant à la fois juge et partie. Le mode de gouvernance choisi est égalitaire : chaque association est représentée par deux administrateurs et un directeur au sein de l’assemblée générale qui se réunit tous les trois mois. La présidente des Papillons blancs le souligne : « Nous voulions qu’il y ait un regard de professionnels en plus de celui des administrateurs. »

Les trois présidents le reconnaissent volontiers, Parcours est encore en cours de construction, même si les premières passerelles deviennent opérantes. La structure est là, reste à la remplir. « La prochaine étape importante, détaille Maurice Leduc, est de faire en sorte que nos personnels s’approprient le groupement. Il existe des réseaux mais ce sont des initiatives individuelles. Il faut qu’elles deviennent des initiatives associatives. » Ce qui passera d’abord par des réunions entre les chefs de service pour qu’ils se connaissent mieux. Car l’un des obstacles est que la décision de créer Parcours est venue d’en haut, des trois conseils d’administration. « Et il faut beaucoup communiquer, pour rassurer », note Marc Depoorter. Maurice Leduc, le directeur des Papillons blancs, a lui aussi conscience de l’enjeu : « La volonté politique donne l’axe vers lequel nous voulons aller, mais il faut désormais une mobilisation générale pour lancer les dynamiques. » Le danger ? L’inertie, et le ronronnement d’un groupement cantonné à l’échange de moyens. Pour le responsable, il faut compter sur la force vive des associations du secteur social : les bénévoles, mais aussi les salariés et les usagers. Car « ce ne sont pas forcément ceux qui créent une belle idée qui la font vivre. »

LES TROIS PARTENAIRES DU PARCOURS

 UN TOIT ET MOI

– Créé en 1986.

6 résidences, qui comptent en tout 60 locataires.

39 salariés. Chaque résidence compte un chef de service, de formation éducateur spécialisé ou assistante sociale, une maîtresse de maison, un adjoint de service, un surveillant de nuit, tous à mi-temps, et 2 aides médico-psychologiques (AMP) à temps partiel.

6, rue Alexandre-Ribot – 59200 Tourcoing – Tél. 03 20 76 78 33 – untoitetmoi.servadm@wanadoo.fr

 LES PAPILLONS BLANCS

– Créés en 1962.

49 établissements.

1 080 salariés, dont 123 AMP, 101 éducateurs spécialisés, 33 moniteurs-éducateurs, 7 éducateurs de jeunes enfants.

850 travailleurs handicapés en ESAT, 2 600 personnes accompagnées.

339, rue du Chêne-Houpline – 59200Tourcoing – Tél. 03 20 69 11 20 – contact@papillonsblancs-rxtg.org

 LE CHEVÊTRE

– Créé en 1977.

3 établissements : un institut médico-éducatif, un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique et un service d’éducation spécialisée et de soins à domicile.

47 salariés, dont 10 éducateurs spécialisés, 1 moniteur-éducateur et 5 AMP.

30 enfants en accueil de jour, 6 places en internat et 2 places d’accueil pour les extérieurs.

81, rue de la Ferme – 59200 Tourcoing – Tél. 03 20 26 45 26

Notes

(1) Voir ASH n° 2451 du 14-04-06, p. 10.

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