La Cour de cassation et le Conseil d’Etat ont été saisis, au cours de ces derniers mois, de plusieurs affaires opposant employeurs et salariés dans le secteur social et médico-social. Parmi celles que nous présentons dans ce dossier (1), certaines sont spécifiques aux professions d’assistant familial, d’aide à domicile et d’accueillant thérapeutique. D’autres répondent à des interrogations plus générales : à quelle condition peut-on signer une pétition dans un cadre professionnel ? Un avertissement doit-il être précédé d’un entretien préalable ?
Le non-respect par une assistante familiale des obligations issues de son contrat d’accueil peut entraîner son licenciement pour faute (ou encore licenciement disciplinaire). C’est ce qu’a jugé le Conseil d’Etat dans une décision du 27 octobre 2011 (Conseil d’Etat, 27 octobre 2011, requête n° 329498).
Pour mémoire, le licenciement pour motif personnel peut être décidé pour un motif disciplinaire, c’est-à-dire en raison d’une faute du salarié, ou en dehors de tout comportement fautif de l’intéressé, par exemple en raison d’absences répétées pour maladie, du refus d’une modification de son contrat de travail ou encore de son insuffisance professionnelle.
En l’espèce, un président de conseil général décide de licencier une assistante familiale employée par son service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et qui avait la garde d’un très jeune enfant. Plusieurs critiques lui sont faites. Elle aurait d’abord omis d’informer son employeur des visites du père de l’enfant alors qu’il ne disposait pas de l’autorité parentale, et de l’importance croissante prise par ce dernier dans la vie de l’enfant. Il lui est également reproché le fait d’avoir remis l’enfant à son père lors d’une visite, sans l’accord du service de l’ASE, en méconnaissance des obligations figurant dans son contrat d’accueil. Enfin, le dernier grief porte sur le fait qu’elle aurait mis en doute les compétences de la mère et adopté une attitude intrusive sur les choix faits par cette dernière pour l’éducation de son fils, ce qui a fait l’objet d’un rapport de l’éducatrice en charge du placement de l’enfant. De manière générale, le conseil général estime qu’elle montrait un attachement excessif aux enfants qui lui étaient confiés.
De son côté, la professionnelle invoque plusieurs irrégularités dans la procédure de licenciement engagée contre elle : l’absence de convocation à un entretien préalable, le fait que la commission de licenciement n’a pu se prononcer sur son dossier, la prescription des fautes disciplinaires… Elle fait également valoir que le licenciement n’est pas fondé au motif que le département a, par ailleurs, renouvelé son agrément dans le secteur de la protection maternelle et infantile.
Saisi de ce conflit qui met en cause un employeur public, le tribunal administratif donne raison à la professionnelle. Mais la cour administrative d’appel annule son jugement.
Pour les juges d’appel, ces faits révèlent bien une inaptitude ou une insuffisance professionnelle de l’intéressée. Pour autant, la procédure de licenciement engagée à son encontre ne revêt pas, selon eux, un caractère disciplinaire. Autrement dit, les juges du fond ont considéré que le licenciement était certes justifié par l’inaptitude ou l’insuffisance professionnelle de l’assistante familiale mais que cette dernière n’avait pas commis, selon eux, une faute entraînant un licenciement disciplinaire.
Ce n’est pas l’avis du Conseil d’Etat, devant lequel l’assistante familiale s’est pourvue. Pour la Haute Juridiction, « les manquements reprochés à l’intéressée, qui avaient motivé plusieurs rappels à l’ordre puis entraîné les décisions de lui retirer l’enfant, de la mettre à pied et, enfin, de la licencier, revêtaient le caractère de fautes disciplinaires », « eu égard à leur caractère sérieux, répété et incompatible avec les fonctions incombant à une assistante familiale ».
Le Conseil d’Etat requalifie donc les faits sans cependant changer les conséquences pour l’intéressée : le licenciement est bien justifié. L’instance écarte ensuite les divers reproches tenant aux vices de procédure qui étaient exposés devant lui par la professionnelle :
à la date du licenciement, en 2004, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe général du droit n’imposait à l’autorité territoriale compétente d’organiser un entretien préalable au licenciement ;
le fait que la commission de licenciement des assistantes maternelles, dont la consultation n’était pas obligatoire, a estimé ne pas pouvoir se prononcer sur le dossier de l’intéressée n’est pas de nature à exercer, dans les circonstances de l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise par le département et, par suite, à entacher cette dernière d’une irrégularité de procédure ;
les dispositions du code du travail relatives à la prescription des fautes disciplinaires ne sont pas applicables au licenciement d’un agent contractuel de la fonction publique territoriale. Est en cause l’article L. 1332-4 (ancien article L. 122-44 évoqué dans l’arrêt) selon lequel « aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de 2 mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales ».
A noter : tout au long de cet arrêt, le terme « d’assistante maternelle » est utilisé pour désigner en fait une assistante familiale, les faits se déroulant avant la réforme opérée par la loi du 27 juin 2005 qui a fait une distinction entre les deux catégories de professionnels (2).
Un directeur de deux foyers de travailleurs migrants chargé de l’encaissement des redevances locatives et également locataire de son employeur fait preuve d’un comportement personnel constituant un trouble objectif à l’entreprise s’il cesse depuis plus de un an de régler ses propres loyers malgré des rappels et des procédures contentieuses. Dès lors, son licenciement pour motif personnel est justifié, a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 11 avril 2012 (Cass. soc., 11 avril 2012, requête n° 10-25764).
Pour mémoire, la jurisprudence admet, depuis plusieurs années, la possibilité de licencier un salarié pour des motifs liés à sa vie personnelle. Les juges exigent toutefois que le comportement personnel du salarié, compte tenu de la nature de ses fonctions et de la finalité propre de l’entreprise, crée un trouble caractérisé ou objectif au sein de cette dernière (Cass. soc., 22 janvier 1992, requête n° 90-42517).
En l’espèce, un directeur de foyers de travailleurs migrants gérés par une association était par ailleurs locataire de cette association et logé dans un autre foyer, sans que son logement constitue un logement de fonction. Jugeant ce logement insalubre, il décide de ne plus payer son loyer. Après plusieurs rappels de l’association, il est licencié pour non-paiement de ses redevances locatives. Il se tourne alors vers la justice pour faire déclarer ce licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir une indemnité de son ancien employeur.
L’ex-directeur considère en effet que seul un manquement aux obligations de son contrat de travail peut constituer une faute justifiant son licenciement et que ne constitue pas un tel manquement le fait de ne pas régler ses loyers, d’autant plus que la conclusion de son bail était antérieure à son embauche en tant que directeur. Il estime également qu’il ne peut être procédé au licenciement d’un salarié pour une cause tirée de sa vie personnelle que lorsque le comportement de l’intéressé, compte tenu de ses fonctions et de la finalité propre de l’entreprise, a créé un trouble objectif caractérisé au sein de cette dernière. Or selon lui, son comportement ne pouvait nuire à l’association puisque rien n’indique qu’il aurait été connu d’autres salariés ou de résidents, ni ne montre que son expulsion n’aurait pas suffi à mettre fin à la situation litigieuse.
Mais la Cour de cassation tranche en faveur de l’employeur retenant que, en l’espèce, il y avait bien un trouble objectif au fonctionnement de l’entreprise justifiant un licenciement sans faute. Elle n’est donc pas allée jusqu’à admettre un licenciement pour faute, conformément à sa position émise en 2007 en chambre mixte. A l’époque, elle avait en effet jugé qu’un trouble objectif dans le fonctionnement de l’entreprise ne permet pas en lui-même de prononcer une sanction disciplinaire à l’encontre de celui par lequel il est survenu (Cass. ch. mixte, 18 mai 2007, requête n° 05-40803).
Une aide à domicile peut-elle refuser de travailler le dimanche ? C’est à cette question qu’a répondu la Cour de cassation dans une décision du 22 septembre 2011 (Cass. soc., 22 septembre 2011, requête n° 10-15628). Les faits sont les suivants : une femme, engagée en 2003 en qualité d’aide à domicile par la Fédération ADMR, a vu son contrat de travail transféré à une association locale ADMR qui, contrairement à son ancien employeur, lui a demandé de travailler le dimanche. En raison de son refus, elle a fait l’objet, à trois reprises, d’avertissements. S’estimant lésée, elle saisit la juridiction prud’homale qui annule notamment les trois avertissements. Son employeur fait appel et obtient gain de cause, une décision qui est ensuite confirmée par la Cour de cassation.
Selon son contrat de travail, la salariée exerce des fonctions d’aide à domicile telles qu’elles sont définies dans la convention collective ADMR du6 mai 1970.
En appel, les magistrats constatent que, à défaut de définition du travail d’aide à domicile dans la convention collective, il convient de se reporter à l’accord collectif de la branche professionnelle de l’aide à domicile du 31 octobre 1997 relatif à l’organisation du travail, lequel prévoit, à son article 8, la possibilité pour tout salarié de travailler les dimanches et jours fériés dans le but d’assurer la continuité des activités d’aide et de soins à domicile.
Prétendant n’effectuer que des tâches ménagères, l’intéressée estime qu’elle n’a pas à travailler le dimanche. De son côté, l’association locale considère que le travail effectué le dimanche est expressément autorisé par l’accord collectif de branche et que son contrat de travail ne prévoit pas de dispense de travail le dimanche. Elle relève, en outre, que la salariée ne peut se prévaloir de « raisons familiales impérieuses » pour refuser de travailler le dimanche alors qu’elle était, parallèlement, engagée dans une formation pour devenir « auxiliaire de vie » qui lui imposait de travailler le dimanche et les jours fériés dans les conditions définies par la convention collective. La cour d’appel donne raison à l’association employeur.
En cassation, la salariée reprend ce même article 8 de l’accord collectif du 31 octobre 1997 en relevant qu’il limite le travail les dimanches et jours fériés « pour des interventions liées exclusivement aux actes essentiels de la vie courante […], à l’accompagnement spécifique des bénéficiaires et à la continuité d’organisation de services qui en découlent ». Et rappelle que le conseil de prud’hommes a, dans un premier temps, reconnu que ses fonctions se limitaient à des tâches ménagères et ne constituaient donc pas un acte essentiel de la vie courante.
Mais la Cour de cassation rejette cette argumentation. Elle note que « le contrat de travail de la salariée prévoit que celle-ci exercera des fonctions d’aide à domicile, lesquelles comprennent des activités d’aide et de soins à domicile et ne se limitent pas à faire du ménage ». Les avertissements donnés par l’employeur sont donc bien réguliers, selon la Haute Juridiction.
A noter : bien que cette affaire porte sur une période antérieure à l’entrée en vigueur le 1er janvier dernier (3) de la nouvelle convention collective de la branche de l’aide à domicile, la solution retenue par la Cour de cassation paraît toujours valable dans la mesure où l’article 16 du titre V de la nouvelle convention collective reprend l’article 8 de l’accord du 31 octobre 1997 sur lequel s’est fondée la Cour de cassation : « dans le but d’assurer la continuité des activités d’aide et de soins à domicile, tout salarié peut être amené à travailler les dimanches et jours fériés pour des interventions liées exclusivement aux actes essentiels de la vie courante […], à l’accompagnement spécifique des usagers et à la continuité d’organisation des services qui en découlent ». La nouvelle convention collective a toutefois encadré le travail du dimanche en prévoyant, dans son article 20 du titre V, que « le salarié a la possibilité de refuser, au maximum 2 fois par an, de travailler un dimanche ou un jour férié, sans que son refus constitue une faute ou un motif de licenciement ».
Devant la Cour de cassation, la salariée reprend également à son compte la position du conseil de prud’hommes qui a relevé que, avant le transfert de son contrat de travail à l’association locale ADMR, elle n’avait jamais travaillé les dimanches de sorte qu’elle pouvait se prévaloir d’un engagement unilatéral de son ancien employeur qui avait accepté de ne pas faire appel à elle ce jour-là afin de lui permettre d’aider son mari, exploitant agricole, en remplacement de son beau-père. Un point sur lequel la cour d’appel ne s’est pas prononcée, ce que critique la requérante, estimant qu’un tel engagement s’imposait à son nouvel employeur.
Mais la Haute Juridiction relève qu’il « ne résulte pas des conclusions ou de l’arrêt attaqué que la salariée ait soutenu que l’employeur avait souscrit l’engagement unilatéral de ne pas lui demander de travailler le dimanche ». Dès lors, elle écarte l’argument, considérant qu’il est « nouveau et mélangé de fait et de droit ».
Dernier argument de la salariée : elle prétend que son nouvel employeur était animé d’une intention de nuire, ce qui présumait l’existence d’un harcèlement moral (modifications de dernière minute de ses programmes de travail, remplacement de son poste plusieurs samedis sans la prévenir, mobilisation un dimanche sur toute la journée pour seulement quelques heures de travail…). Mais les juges d’appel ont considéré que « les courriers adressés à la salariée visaient seulement à lui demander de respecter ses obligations d’aide à domicile, à savoir le travail le dimanche, le respect des plannings, des horaires et des lieux de travail ». Un raisonnement validé par la Cour de cassation.
Une personne non agréée par le président du conseil général, mais recrutée, après enquête sociale, par un établissement de santé en qualité d’accueillant familial thérapeutique pour accueillir à son domicile des personnes souffrant de troubles mentaux doit-elle être rémunérée dans les mêmes conditions qu’un accueillant familial thérapeutique agréé ? Oui, répond le Conseil d’Etat dans deux arrêts rendus le 28 juillet 2011 dans la même affaire (Conseil d’Etat, 28 juillet 2011, requêtes n° 337363 et 337367).
Pour mémoire, les articles L. 441-1 à L. 444-9 du code de l’action sociale et des familles (CASF) définissent le statut et les conditions d’emploi et de rémunération des accueillants familiaux, qui sont des personnes se proposant d’accueillir à leur domicile des personnes âgées ou handicapées et qui sont agréées à cette fin par le président du conseil général. Par ailleurs, selon l’article L. 443-10 du même code, « sans préjudice des dispositions relatives à l’accueil thérapeutique, les personnes agréées mentionnées à l’article L. 441-1 peuvent accueillir des malades mentaux en accueil familial thérapeutique organisé sous la responsabilité d’un établissement ou d’un service de soins ». Les obligations incombant au président du conseil général sont alors assumées par l’établissement ou le service de soins. C’est dans le cadre de cet accueil familial thérapeutique que se déroule l’affaire en cause. La personne embauchée par l’établissement de santé n’avait toutefois pas fait l’objet d’un agrément par le conseil général, mais avait été recrutée à l’issue d’une enquête sociale comme le permet un arrêté du 1er octobre 1990 relatif à l’organisation et au fonctionnement des services d’accueil familial thérapeutique (4).
L’intéressée, embauchée sous plusieurs contrats à partir de 2004, réclamait des rappels de salaires à l’établissement de soins en invoquant les articles L. 442-1 et D. 442-2 du CASF, en vertu desquels la rémunération journalière des accueillants familiaux agréés a été revalorisée, au 1er janvier 2005, et est passée au minimum à 2,5 fois le SMIC (5). La question était donc de savoir si cette disposition lui était applicable alors qu’elle n’avait pas fait l’objet d’un agrément départemental mais avait été recrutée directement après enquête sociale.
Le tribunal administratif répond favorablement à la demande de la salariée et condamne l’établissement de santé à lui verser un rappel de rémunération et une indemnité de congés payés. Ce dernier saisit alors le Conseil d’Etat, qui le déboute.
Pour justifier sa position, la Haute Juridiction administrative s’appuie sur l’article 9 du décret du 1er octobre 1990 qui ne fait pas de distinction selon que la personne est ou non agréée et qui précise que les personnes recrutées pour prendre en charge des malades adultes doivent bénéficier à tout le moins de la rémunération et des indemnités prévues dans chaque département en application de l’article 18 de la loi du 10 juillet 1989 relative à l’accueil familial à titre onéreux, devenu l’article L. 443-10 du code de l’action sociale et des familles. Cet article, souligne le Conseil d’Etat, impose que la rémunération journalière des services rendus par les personnes recrutées dans ce cadre ne soit pas inférieure au minimum fixé en application de l’article L. 442-1 du même code pour la rémunération des personnes accueillant à leur domicile des personnes âgées et handicapées.
Dès lors, un agent d’accueil thérapeutique, même non agréé par le président du conseil général, mais régulièrement recruté, est « en droit de bénéficier de la revalorisation du minimum de cette rémunération résultant de l’intervention du décret du 30 décembre 2004 [devenu l’article D. 442-2 du code de l’action sociale et des familles], qui a fixé ce minimum à 2,5 fois la valeur horaire du salaire minimum de croissance ».
Selon l’article L. 443-10 du code de l’action sociale et des familles, un accueillant familial thérapeutique employé par un établissement public de santé est un agent non titulaire de cet établissement. Dès lors, tout litige opposant un tel professionnel et un centre hospitalier spécialisé interdépartemental ayant le statut d’établissement public de santé gérant un service public à caractère administratif, à propos de la résiliation du contrat en vertu duquel l’intéressé était employé par cette structure, relève de la compétence de la juridiction administrative. C’est la solution retenue par le tribunal des conflits dans une décision du 14 mai 2012 (tribunal des conflits, 14 mai 2012, requête n° 3870).
En l’espèce, l’accueillant familial thérapeutique avait saisi, dans un premier temps, le conseil de prud’hommes qui s’était jugé compétent. Le préfet du département avait alors soulevé la question de son incompétence, ce qui a abouti, à l’issue de cette procédure, à la saisine du tribunal des conflits. Lequel a donc tranché en faveur du juge administratif.
Il est des situations où un avertissement infligé à un salarié par son employeur doit être précédé d’un entretien préalable. Ainsi en a décidé la Cour de cassation dans un arrêt du 3 mai 2011 (Cass. soc., 3 mai 2011, requête n° 10-14104) (6).
Engagée par le Comité d’entraide aux Français rapatriés en qualité de directrice d’un établissement, une femme est licenciée 4 ans plus tard, après un rappel à l’ordre valant observation et 2 avertissements. Selon le règlement intérieur de la structure, sauf en cas de faute grave (7), il ne peut y avoir de licenciement que si le salarié a fait l’objet d’au moins 2 sanctions, dont font partie les avertissements. Toutefois, selon un autre article de ce règlement intérieur, lorsqu’il est envisagé de prendre une sanction (autre que l’observation écrite) qui peut avoir une conséquence immédiate ou non sur son maintien en activité, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération, le salarié doit être convoqué par écrit à un entretien préalable.
Invoquant l’application combinée de ces deux dispositions, la salariée estime que les avertissements dont elle a fait l’objet auraient dû être précédés d’un entretien préalable. Elle en demande alors l’annulation. Mais la cour d’appel la déboute, considérant en effet que « l’avertissement n’ayant pas par lui-même une telle incidence, la salariée ne peut invoquer des irrégularités de procédure pour fonder ses demandes en annulation ». La requérante saisit alors la Cour de cassation.
La Haute Juridiction judiciaire ne se range pas à l’avis des juges d’appel et donne raison à la salariée. Elle estime que, « si l’employeur n’est en principe pas tenu de convoquer le salarié à un entretien avant de lui notifier un avertissement, il en va autrement lorsque, au regard des dispositions d’un règlement intérieur, l’avertissement peut avoir une influence sur le maintien du salarié dans l’entreprise ; que tel est le cas lorsque le règlement intérieur, instituant ainsi une garantie de fond, subordonne le licenciement d’un salarié à l’existence de 2 sanctions antérieures pouvant être constituées notamment par un avertissement ».
En l’espèce, c’est bien le cas, concluent les magistrats, puisque, en vertu du règlement intérieur, « un avertissement pouvait avoir une incidence sur la présence du salarié dans l’entreprise ». Cette position vaut donc lorsqu’un règlement intérieur prévoit un tel dispositif.
La Cour de cassation, qui n’était pas interrogée sur ce point, ne précise pas si ce principe vaut également lorsqu’une convention collective prévoit un tel mécanisme. Il pourrait être toutefois logique qu’une solution identique s’applique.
Dans l’affaire analysée ci-dessus, la Cour de cassation s’est aussi intéressée au droit pour un salarié de signer une pétition (Cass. soc., 3 mai 2011, requête n° 10-14104). En l’espèce, la salariée requérante avait signé une pétition, sans en informer sa hiérarchie, à l’intention du conseil général et de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales – devenue depuis la direction départementale de la cohésion sociale – portant sur des réclamations relatives aux conditions de travail et d’emploi. Son employeur a considéré qu’elle n’avait pas observé son obligation de réserve et de loyauté à son égard et l’avait ainsi placé dans une position délicate vis-à-vis des organismes de tutelle. Si la cour d’appel va dans le sens de l’employeur, la Cour de cassation, elle, lui donne tort.
La Haute Juridiction rappelle le principe selon lequel, « sauf abus, le salarié jouit dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression à laquelle seules les restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ». En l’occurrence, la pétition ne contenait « aucun propos injurieux, diffamatoire ou excessif », et ne pouvait pas caractériser « un abus de la liberté d’expression du salarié ». La Cour de cassation censure donc l’appréciation de la cour d’appel.
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence assez fournie. En effet, en 2009, la Cour de cassation a estimé que le fait pour un médecin psychiatre employé par une association gérant des établissements médico-sociaux « d’alerter les autorités de tutelle et les délégués du personnel sur les difficultés rencontrées dans l’exercice de sa profession, par une lettre qui ne contenait pas de termes injurieux, excessifs ou diffamatoires, n’était pas constitutif d’un abus dans l’exercice de la liberté d’expression reconnue à tout salarié » (Cass. soc., 9 novembre 2009, requête n° 08-42806, confirmé par Cass. soc., 31 janvier 2012, requête n° 10-256512). A l’inverse, elle a jugé qu’une secrétaire comptable d’une association d’aide à domicile commet un abus de la liberté d’expression en apposant sur le balcon de son domicile une banderole mettant en cause publiquement et nommément son employeur (Cass. soc., 22 juin 2011, requête n° 10-108563). De même, un abus de la liberté d’expression a été reconnu à l’encontre d’un salarié d’une association d’hébergement d’urgence qui « n’avait pas seulement exprimé son inquiétude quant au devenir de l’association, mais avait manifesté son désaccord vis-à-vis de la politique de son employeur et porté de graves accusations contre ce dernier, tant auprès d’organismes publics et d’institutions que par voie de presse, tout en reconnaissant que ses assertions ne reposaient sur aucune preuve » (Cass. soc., 15 juin 2010, requête n° 09-41550).
Assistante familiale. Le non-respect par une assistante familiale des obligations issues de son contrat d’accueil peut entraîner son licenciement pour faute.
Directeur de foyer. Un directeur de foyer chargé d’encaisser les redevances locatives des résidents et logé à titre onéreux par son employeur peut être licencié pour motif personnel s’il cesse de payer son propre loyer.
Accueillant thérapeutique. Une personne recrutée en qualité d’accueillant familial thérapeutique, mais non agréée, doit être rémunérée dans les mêmes conditions qu’un accueillant familial thérapeutique agréé.
Entretien préalable et avertissement. L’employeur doit convoquer le salarié à un entretien avant de lui notifier un avertissement si, au regard du règlement intérieur, l’avertissement peut avoir une influence sur son maintien dans l’entreprise.
Signature d’une pétition. La signature d’une pétition en lien avec son travail qui ne contient « aucun propos injurieux, diffamatoire ou excessif » ne peut constituer « un abus de la liberté d’expression du salarié » et n’est donc pas sanctionnable.
(1) Les arrêts présentés dans ce dossier sont disponibles sur
(4) Arrêté du 1er octobre 1990, NOR : SPSP9002100A, J.O. du 4-11-90.
(5) Avant le 1er janvier 2005, le montant de la rémunération journalière s’établissait entre 2 fois le minimum garanti (inférieur au SMIC) et un maximum fixé par le président du conseil général.
(6) Un second arrêt de la Cour de cassation en date du 11 juillet 2011 concernant la même affaire est revenu en partie sur cet arrêt du 3 mai 2011 en raison d’une erreur matérielle, mais sans conséquence sur la solution retenue initialement.
(7) Il y a faute grave en présence d’un ou de plusieurs faits imputables au salarié et qui constituent une violation des obligations découlant de son contrat de travail ou des relations du travail d’une telle importance que son maintien dans l’entreprise devient impossible, y compris pendant la durée du préavis.