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Les passants de la grand-rue

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Dans la Loire-Atlantique, le Hameau de Bouvron n’est pas un foyer d’accueil médicalisé comme les autres. Cette structure mêlant soins psychiatriques et accompagnement éducatif accueille des résidents dont le comportement est trop instable pour s’insérer dans une structure médico-sociale classique, mais trop stable pour rester dans un service hospitalier.

La journée commence à peine. Christèle Aubert, responsable du Hameau de Bouvron (1), jette un œil dans la salle d’activités : Raphaël P. (2), allongé, écoute de la musique. Martine T. fait un coloriage. Assise sur un banc de la rue intérieure couverte qui sillonne la structure, Françoise B. se lève. Elle décide d’enfiler sa « blouse », une vareuse bien serrée qui lui passe l’envie de donner des claques. A côté, Béatrice N. attend le taxi pour aller chez le dentiste. Elle croise Henri A., qui revient d’un séjour à l’hôpital. La semaine dernière, il a « pété les plombs ». Directement, il consulte le tableau des menus et des activités de la semaine, affiché sur un mur coloré. Au Hameau, il y a de l’animation.

Etre un lieu de vie, et se différencier ainsi de l’hôpital, c’est justement l’idée à l’origine de ce foyer d’accueil médicalisé (FAM), ouvert en septembre 2011. Il reçoit 24 résidents permanents et 3 temporaires, âgés de 25 à 46 ans, qui souffrent de pathologies psychiques anciennes (autisme, psychose, schizophrénie) liées à des pathologies neurologiques ou à des carences multiples (affectives, éducatives). Il est prévu de réexaminer leurs situations tous les cinq ans. Pour les accompagner, l’équipe se compose de 5 infirmières, de 3 monitrices-éducatrices, d’une éducatrice spécialisée, d’une psychologue, de 24 aides médico-psychologiques (AMP) et aides-soignantes, d’un ergothérapeute, d’une responsable et d’un psychiatre intervenant de l’extérieur. Le Hameau de Bouvron a coûté environ 6 300 000 €, financés aux trois quarts par le prêt locatif social, puis par la caisse régionale d’assurance maladie, la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie et des fonds propres. Il a été pensé dans l’idée de constituer une transition pour les résidents vers d’autres structures médico-sociales plus classiques.

Le projet du Hameau naît en 2002, du constat d’un manque. « Dans les unités hospitalières psychiatriques, il y a les “chroniques” : des patients qui ne sont pas assez stabilisés pour intégrer une structure médico-sociale, mais pas assez en crise pour rester à l’hôpital, explique Odile Chollet, cadre supérieure de santé et coordinatrice des soins à l’établissement public médico-social (EPMS) Le Littoral, dont dépend le Hameau de Bouvron. Ils ont fait de longs séjours en psychiatrie. Même si une porte de sortie pourrait leur être proposée, leur trouver une place dans une institution relève généralement d’un parcours du combattant. » Dans les structures de l’EPMS Le Littoral, le personnel se trouve démuni devant ces « doubles inadéquats psychiques » qu’il lui arrive d’accueillir. « Leurs troubles importants du comportement limitent la vie sociale et nécessitent un encadrement spécifique, détaille Christèle Aubert. Ils impliquent des partenariats avec des professionnels de santé, dont les établissements médico-sociaux classiques ne disposent pas. » En 2002, une étude départementale coordonnée par le syndicat interhospitalier en santé mentale préconise la création d’une structure charnière pour recevoir ce public. Le conseil général demande à l’EPMS Le Littoral de s’en charger, en partenariat avec les centres hospitaliers de Blain et d’Heinlex.

Une resocialisation à petite échelle

A 10 h15, la cafétéria ouvre. Comme chaque jour, Virginie L. est très ponctuelle. Elle aime y faire le café pour tous les résidents. Vanessa F. attend sa tasse. Elle a intégré la structure en décembre, après un séjour en psychiatrie : « Ici, j’ai plus de liberté, plus d’activités. J’aime aller à la ferme pédagogique donner du lait aux bébés moutons. J’ai aussi une chaîne hi-fi et une télévision dans ma chambre. » Pour nombre de résidents, c’est la première fois qu’ils disposent d’une chambre qu’ils peuvent investir. « L’esprit de l’établissement est de sortir de la logique hospitalière pour proposer aux résidents de devenir acteurs de leur lieu de vie, dans la convivialité d’une maisonnée », souligne Sophie Lestrat, seule éducatrice spécialisée de la structure, diplômée en 2000.

Cela passe par des choses très simples : boire une tisane avec le veilleur de nuit, emmener le chariot de linge sale à la buanderie, préparer un goûter dans la salle d’activité « cuisine ». « Pour eux, participer aux gestes du quotidien, c’est une resocialisation à petite échelle, remarque Floriane Viaud-Baholet, AMP depuis 2006. Ils apprennent la vie en collectivité. Avant, la plupart vivaient en chambre d’isolement. » L’équipe veut aussi laisser la place à l’imprévu, sans quoi le quotidien ne deviendrait qu’une interminable répétition sans vie. Certains midis, les repas sont pris à la cafétéria, précédés d’un apéritif. Parfois, l’ergothérapeute cuisine avec les résidents au régime, de façon plus ludique. Une résidente qui, en intégrant la structure, ne mangeait que du fromage à tartiner a pris cinq kilos en réapprenant à manger.

Harmoniser le sanitaire et le social

Pendant que deux résidentes suivent le fil de l’atelier couture, d’autres se sont installés dans la salle de détente où l’équipe du Hameau de Bouvron travaille avec eux sur l’éveil des sens, par le biais de la méthode Snoezelen. L’établissement dispose aussi d’une salle de contes et de musique et d’un espace de balnéothérapie. « On y met en place des activités autour de l’esthétique, du toucher ou du massage, décrit Sophie Lestrat. On se sert d’une baignoire équipée de musique, de lampes colorées et de bulles. » Cependant, la mise en place du planning d’activités n’a pas été aisée. D’abord, parce que, selon l’équipe, la structure manque d’une animatrice. Ensuite, parce qu’il a fallu harmoniser les façons de faire de professionnels venus de deux horizons différents : le sanitaire et le social. « Les logiques ne sont pas les mêmes, précise Alexane Charry, responsable qualité à l’EPMS. Dans la prise en charge sociale, les résidents ont beaucoup plus de loisirs que dans le sanitaire. » Enfin, parce qu’il a fallu doser les propositions d’activités, entre trop et pas assez. Ainsi, de septembre à décembre, pour laisser les résidents prendre leurs marques dans leur nouveau chez-eux, aucune activité ne leur a été proposée. « Cela a provoqué des troubles chez certains, reconnaît Sophie Lestrat. Il faut les occuper pour les rassurer, pour éloigner leur peur du vide. En l’absence de cadre, le quotidien est non structurant et devient source d’angoisse. »

Inversement, les activités éducatives ne sont jamais obligatoires, au risque de générer aussi de l’angoisse et de mettre l’activité en échec. « Si une personne reste constamment enfermée dans sa chambre, c’est dérangeant pour nous, admet Sophie Lestrat. Mais si on les bouscule trop, on les stresse. » Les professionnels essaient donc de ne pas tomber dans le piège de la surstimulation. « Il faut intégrer que, souvent, les résidents ont juste besoin d’une présence, qu’on soit là avec eux sans pour autant leur proposer quelque chose », a appris Marie Partaud, AMP depuis 2011. Mais ils s’interrogent : doivent-ils mieux sélectionner les profils de résidents plutôt sociables ou bien chercher à amener un bien-être, de façon passive, à ceux pour qui il ne faut aucune stimulation ?

Un contexte moins perturbant

Quoi qu’il en soit, dans ce climat plus apaisé et plus ludique qu’à l’hôpital, les AMP ont vu beaucoup de résidents se sentir mieux. « Ils disent plus de mots, ont plus d’interactions entre eux, sont plus calmes, se félicite Danielle Viaud, AMP depuis 2005. Parce qu’ils évoluent dans de petites unités de vie où le personnel peut être à leur écoute. » Ils font, pour la plupart, moins de crises nécessitant des hospitalisations. « Nous n’avons pas inventé de solution miracle, convient Christèle Aubert. Nous essayons simplement de nous fonder sur le rythme de vie du résident, avec un projet personnalisé adapté, et de répondre aux besoins de ce type de public : être proche des autres tout en ayant son espace propre, être en sécurité, avoir des stimulations et du calme, comprendre. » Médecin psychiatre au CHS de Blain et responsable d’une unité d’où viennent plusieurs résidents de Bouvron, Murielle Vitré estime que la structure leur est bénéfique : « Ils s’organisent une vie, dans un lieu adapté. Ils ne côtoient plus des malades mentaux aussi actifs qu’à l’hôpital et qui pouvaient les perturber. »

L’architecture du lieu a également été pensée pour que les résidents évoluent entre intimité et contacts avec les autres. Chacun dispose d’une chambre individuelle avec une salle de bains personnelle, un équipement télévision et radio et du mobilier au choix, quand la pathologie du résident le permet. Une rue intérieure couverte facilite la déambulation entre les salles communes. Lumineuse, avec de larges vues sur l’extérieur, elle ôte l’impression d’enfermement. « On a amené le bien-être dans l’architecture, via le bois, les couleurs pour “jouer” sur les humeurs et l’acoustique, énumère Sophie Lestrat. Il y a de l’espace, pour éviter que les résidents se touchent. L’exiguïté favorise les tensions et la violence. »

Les familles des résidents sont invitées à prendre leur place au sein du Hameau, notamment en participant au conseil de la vie sociale. Mais peu le font. En revanche, elles se sentent autorisées à venir à leur guise. « Auparavant, Simon était dans un établissement médico-social. Souvent, quand on téléphonait pour annoncer notre visite, on nous en dissuadait, raconte Gilbert M., grand-père et tuteur d’un résident de 23 ans. Ici, on vient chaque semaine. Mon épouse prépare le goûter avec Simon, dans la cuisine. » Selon lui, son petit-fils est aujourd’hui mieux dans sa peau. « Avant, sa différence l’isolait : c’était un cercle vicieux. Il était souvent enfermé dans sa chambre parce qu’il était agressif avec les autres. En six mois ici, il a pris du poids, il est calme en sortie parce que tout, dans l’équipement, les activités et les attentions du personnel, est pensé pour le bien-être des jeunes comme lui. » Avant de souligner : « Depuis que Simon est au Hameau, on est très soulagés. On aimerait qu’il reste là tout le temps. On ne le voit pas ailleurs. »

Le besoin de formation en psychiatrie

L’une des particularités du FAM tient à la présence importante de personnel soignant. Dans le pôle « soins » du bâtiment, les infirmières reçoivent les résidents et préparent leurs médicaments. Presque tous suivent un traitement lourd, neuroleptique ou épileptique. Un espace de consultations est dédié au psychologue et à un médecin psychiatre extérieur, qui vient deux après-midi par semaine. C’est aussi là que l’on trouve les deux chambres de retour au calme qu’intègrent les usagers sur prescription médicale, en cas de crise. Dans l’une, ils sont attachés par les quatre membres. L’autre est complètement capitonnée. L’équipe dresse régulièrement la courbe d’agressivité des résidents : contre eux-mêmes et contre les autres.

Le challenge, pour tous les professionnels, est de se former à la psychiatrie. « Nous aurions voulu recruter des infirmières issues du secteur psychiatrique, mais nous n’avons reçu aucune candidature », regrette Odile Chollet. En septembre dernier, une semaine avant l’arrivée des résidents, tout le personnel a été formé sur la connaissance du public, les pathologies, les règles de sécurité. Myriam Ropartz, infirmière au Hameau après dix-huit ans d’expérience en long séjour, en libéral et en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), reconnaît que les débuts ont été difficiles. « On ne savait pas comment se comporter dans les situations extrêmes de crise et de violence. Nous avons des protocoles, mais nous voudrions nous servir le moins possible des chambres de retour au calme… » Pour les travailleurs sociaux aussi, c’est la découverte. La plupart d’entre eux viennent de maisons d’accueil spécialisées (MAS). « Nous étions davantage dans le nursing, l’accompagnement. En MAS, les résidents ont très peu de moyens de s’exprimer. Ici, ils parlent, ils ont besoin de se décharger et sont parfois violents, compare Floriane Viaud-Baholet. Tous, nous craignions la violence au quotidien. Mais il n’y en a pas tant que ça. » En revanche, les professionnels racontent leur perplexité quand ils pensent, par leur vigilance, avoir évité l’escalade et que la minute suivante, c’est la crise. « Ils peuvent ressentir de l’incompréhension ou un sentiment d’impuissance à soulager, par exemple, un résident qui s’automutile », confirme Christèle Aubert. Au Hameau, les travailleurs sociaux disent se remettre continuellement en question, par rapport à l’autorité, à l’affect ou juste par rapport à un geste. Certains laissent toutefois entendre que, par manque de formation du personnel, il y aurait plus de contentions qu’ailleurs…

D’où l’importance de continuer à travailler en partenariat avec le secteur hospitalier d’origine des usagers. « Nous leur transmettons des données sur le soin, le suivi, les rituels et repères des différents résidents », détaille Murielle Vitré, le médecin psychiatre. Les équipes se rencontrent lors des commissions d’admission, puis en fonction des parcours individuels. « Il faudrait que cela soit plus fréquent, estime Odile Chollet. Pour plus de compréhension, ce qui faciliterait les réintégrations. Par méconnaissance, le médico-social croit que l’hospitalisation est automatique. Mais quand le lit est pris, il est pris… » D’où l’importance, aussi, de permettre à l’équipe d’analyser sa pratique pour ne pas reproduire certaines erreurs. « On peut s’inscrire pour de l’analyse de pratique à l’EPMS, explique Myriam Ropartz. Mais peu le font. » La responsable du Hameau projette d’organiser bientôt des sessions sur place.

A Bouvron, Christèle Aubert et Sophie Lestrat sont attachées au dossier unique du résident. Un dossier éducatif, qui fonctionne sur le modèle et en complémentarité avec le dossier de soins. A l’image de la pluridisciplinarité idéale de l’équipe, entre accompagnement et soins. « Mais ce n’est pas facile de faire travailler tout le monde ensemble, constate Odile Chollet. Les professionnels du sanitaire doivent se déshabituer des règles, rythmes et exigences plus rigides normales à l’hôpital. » Autre difficulté : le manque de candidats pour les postes de soignants. Ainsi, le Hameau n’a pas pu ouvrir la salle de psychomotricité prévue, faute de professionnel. « Ici, les infirmières travaillent souvent seules et supportent donc une lourde responsabilité en faisant moins appel à leur technicité, souligne la coordinatrice de l’EPMS. Et il y a parfois un peu de concurrence avec l’équipe éducative. C’est dommage. Comment ces structures, dont la mixité des compétences fait la richesse, recruteront des soignants quand, dans quelques années, la crise des infirmières sera à son comble ? »

De leur côté, les travailleurs sociaux veulent que soit clairement reposée la question de l’articulation de l’éducatif et du soin. « Aujourd’hui, l’omniprésence du médical différencie notre FAM, estime Sophie Lestrat. Mais petit à petit, il nous faut faire autrement. On voudrait travailler l’idée d’enveloppement, de contention psychologique, de contenance physique avec des couvertures lestées, pour diminuer, peut-être, la contention chimique. » Mais l’équipe éducative craint que la structure ne soit trop guidée par le soin. « L’infirmière décide que le résident doit enlever son manteau car il fait chaud, mais l’éducateur doit pouvoir faire valoir l’utilité du manteau comme enveloppe qui protège, comme “moi-peau” », poursuit-elle. Christèle Aubert, responsable de la structure, se pose pour sa part la question de son rôle auprès des infirmières qui ne sont pas placées sous sa responsabilité hiérarchique : « C’est compliqué quand un soignant revient sur une décision prise par l’équipe éducative. » « Il faut que l’on crée des réunions régulières où professionnels du soin et de l’éducation puissent débattre, rebondit Sophie Lestrat. Où l’on explique à tous la réflexion qui amène à un changement. »

Notes

(1) FAM Le Hameau de Bouvron : 7, chemin de la Forêt – 44130 Bouvron – Tél. 02 40 69 86 64.

(2) Les prénoms des résidents ont été modifiés.

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