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« La notion de handicap psychique reste discutable »

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Apparue au début des années 2000, la notion de « handicap psychique » a connu depuis un succès fulgurant. A tel point que la maladie mentale semble disparaître derrière cette nouvelle approche moins stigmatisante, mais aussi plus floue. Le psychologue Sébastien Muller en explore les multiples facettes et enjeux dans son ouvrage « Comprendre le handicap psychique ».

Vous vous montrez à la fois critique et élogieux sur la notion de « handicap psychique ». Pour quelle raison ?

A l’origine, je souhaitais intituler l’ouvrage Le handicap psychique ou la folie moderne, pour souligner l’importance des enjeux qui existent autour de ce terme. Beaucoup de textes ont été écrits en faveur de la reconnaissance du handicap psychique. On reste en revanche très discret sur les impasses auxquelles il risque de conduire. Bien sûr, un certain nombre d’évolutions très intéressantes en ont découlé mais tout cela demeure flou, notamment en direction des publics concernés, qui peuvent souffrir aussi bien de trouble obsessionnel compulsif et de dépression que de psychose. De ce point de vue, le handicap psychique pose problème. Je crains, en outre, qu’une certaine idéologie ne s’en soit emparée, avec l’émergence d’une logique d’appel d’offres autour de ces populations. C’est assez inquiétant.

De quand date cette expression ?

Dès la loi d’orientation de 1975 en faveur des personnes handicapées, des revendications s’étaient exprimées pour la reconnaissance des difficultés spécifiques des personnes touchées par la maladie mentale. Mais l’expression elle-même n’est apparue qu’assez récemment, en 2001, dans un livre blanc publié par l’Unafam [Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques] (1). Auparavant, on parlait plutôt de handicap lié à la maladie mentale. Mais, jusqu’en 2005, le handicap psychique était encore confondu avec le handicap mental. On ne faisait pas réellement de distinction entre les déficiences intellectuelles et les maladies mentales. Ce sont les familles, via l’Unafam, qui ont poussé à la reconnaissance de ce type de handicap, avant d’être rejointes par des associations de patients et des professionnels. Néanmoins, l’expression n’existe pas en tant que telle dans les textes officiels, en particulier la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, qui stipule seulement que les troubles cognitifs ou psychiques peuvent constituer une cause de handicap.

Quel objectif visaient les associations en mettant en avant cette notion ?

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’apparition des thérapeutiques chimiques, la prise en charge des personnes souffrant de maladies mentales a beaucoup évolué. L’hospitalisation psychiatrique est devenue une mesure ponctuelle. Actuellement, près de 90 % des personnes touchées par la maladie mentale vivent dans la cité, au sein de leur famille ou de manière autonome. La conséquence est qu’elles sont devenues, pour beaucoup d’entre elles, une charge pour leurs proches, et ceux-ci se sont trouvés démunis pour répondre à leurs difficultés en matière d’insertion sociale et professionnelle. Les familles ont donc mené un long combat pour que puissent exister des outils spécifiques d’accompagnement des personnes souffrant d’un handicap psychique. Par ailleurs, parler de handicap est plus neutre. Le terme laisse moins de place aux fantasmes. Le vocabulaire est moins connoté. Il n’est plus question de délire ni de schizophrénie, mais de déficit cognitif, de trouble relationnel, de difficulté d’insertion, etc. On se trouve dans un champ différent, plus technique, avec des grilles de lecture qui mettent d’abord en avant les difficultés de la vie quotidienne et professionnelle afin de déterminer des moyens de compensation.

Comment expliquez-vous le succès de cette nouvelle appellation ?

Justement parce que les besoins des personnes touchées par la maladie mentale étaient très importants, socialement et professionnellement. Il s’agissait d’un public laissé pour compte. Il était donc souhaitable qu’il bénéficie d’outils spécifiques et de moyens de compensation. Or l’univers du handicap s’est révélé le plus à même d’offrir un cadre pour cette prise en charge. Toutefois, la notion elle-même de handicap psychique reste discutable. Avec l’accent mis sur l’autonomie de la personne, on ne prend plus vraiment en compte les difficultés psychiques individuelles. Je pense à une personne pour laquelle un important travail d’accès au logement avait été réalisé. Un matin, je la croise dans la rue et il était évident qu’elle avait dormi dehors. Elle avait des chiens et avait peur qu’ils la dévorent la nuit. Mais comme elle ne voulait pas qu’on les lui retire, elle n’avait trouvé que cette solution. On avait ainsi permis à cette personne d’avoir un logement, mais sans prendre réellement en compte sa souffrance.

Le monde de la psychiatrie était, à l’origine, assez réticent face à cette nouvelle approche…

La psychiatrie n’était, en effet, guère favorable à la notion de handicap psychique. Dans les années 1970 et 1980, elle était encore dans une conception dynamique de la maladie mentale, dans un univers marqué par la psychanalyse et une approche très individuelle. Beaucoup de psychiatres craignaient que, en considérant la maladie mentale comme un handicap, on en fasse un trouble permanent fixé une fois pour toutes. Depuis, il y a eu un basculement au sein même de la psychiatrie, qui tend de plus en plus à ramener les troubles psychiques à des défaillances neurologiques qu’il serait possible de compenser par des mesures sociales ou éducatives. Finalement, l’apparition du handicap psychique n’est que la suite logique de ces nouvelles considérations sur la maladie mentale. Pour ma part, je rejoins les critiques de la psychiatrie qui redoutent que l’on fixe les troubles. Le handicap psychique, avec ce qu’il suppose d’outils et de grilles de lecture généralistes, me paraît assez problématique. Il me semble que la seule démarche réellement valable est l’analyse au cas par cas.

Justement, les notions de handicap psychique et de maladie mentale se recouvrent-elles ?

Théoriquement, ce n’est pas la même chose. Les difficultés sociales liées à un trouble psychique ne sont pas à confondre avec la maladie elle-même. La maladie mentale relève du soin et de la psychiatrie, tandis que le handicap psychique appartient au champ social et médico-social, sachant que les deux univers sont censés fonctionner en réseau. Toutefois, dans la réalité, j’observe une confusion grandissante. La psychiatrie s’intéresse de plus en plus à des approches centrées sur la réhabilitation psychosociale, dont l’objectif est de rendre la personne la plus autonome possible. Ce qui est déjà le but des structures sociales et médico-sociales. En outre, en passant ces dernières années de la psychiatrie à la santé mentale, un public beaucoup plus vaste et diversifié est arrivé dans les centres médico-psychologiques. Lesquels, aujourd’hui, sont tellement engorgés qu’une grande partie des patients sont renvoyés assez rapidement vers les structures d’accompagnement et d’insertion. D’une certaine façon, la maladie mentale a disparu derrière le handicap psychique. Mais ce qui se joue réellement derrière le handicap psychique, c’est bien la maladie mentale. On est là sur un autre terrain que celui des seuls problèmes cognitifs, comme on voudrait nous le faire croire aujourd’hui.

La folie, écrivez-vous, « ne sera pas soluble dans les labyrinthes du travail social et la logique de réseau »… C’est-à-dire ?

C’est une bonne chose de ne pas créer des modes de prise en charge trop spécifiques pour les handicapés psychiques et de les renvoyer le plus possible vers le circuit social généraliste. Mais cela pose aussi des problèmes. Pour des travailleurs sociaux des structures de droit commun, rarement formés à la prise en charge du handicap psychique, il est en effet compliqué d’intervenir auprès de ce type de public chronophage et déroutant. Les difficultés de ces personnes sont en outre peu compatibles avec le fonctionnement des lieux d’accueil et hébergement d’urgence. Sans compter que les démarches sont devenues tellement complexes que, pour ces personnes, elles constituent un véritable frein à l’accès aux dispositifs de droit commun. La maladie mentale échappera, de toute façon, toujours aux logiques qu’on voudrait lui imposer de force.

REPÈRES

Sébastien Muller est psychologue au sein d’une structure spécialisée dans le domaine du handicap psychique. Il est également chargé de cours à l’Université de Nancy sur la thématique « Handicap et accompagnement ». Il publie Comprendre le handicap psychique. Eléments théoriques, analyses de cas (Ed. Champ social, 2011).

Notes

(1) Voir ASH n° 2220 du 22-06-01, p. 31.

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