Votre ouvrage (1) analyse la façon dont l’action sociale est percutée par le néolibéralisme. Tout d’abord, y a-t-il un modèle néolibéral ?
Le néolibéralisme est d’abord une idéologie, c’est-à-dire un système de représentations et de valeurs, qui s’est imposée à partir des années 1980 comme la pensée dominante sur l’ensemble de la planète. Il repose en particulier sur le primat de l’économique sur le social et le politique, et la promotion de la responsabilité de l’individu. Ses partisans se défient de la dépense publique, qui pourrait être un obstacle au marché, et estiment que le progrès et le bien-être de la société sera la résultante mécanique du développement d’un système économique le moins entravé possible.
Pour autant, le néolibéralisme n’est ni une doctrine toute faite, ni un modèle au sens strict du terme, car il doit composer avec les réalités et les rapports de force existants. C’est pourquoi il a pu se développer aussi bien aux Etats-Unis qu’en Chine, en Amérique du Sud comme en Europe continentale. C’est ce qui explique aussi que ses modes de diffusion sont très variables : si le mouvement a été plutôt brutal aux Etats-Unis sous la présidence de Ronald Reagan, il se développe de façon plutôt progressive et pragmatique en France, où il doit notamment s’accommoder d’un système de protection sociale profondément inscrit dans l’histoire.
Je réfute donc l’idée qu’il y aurait en France une sorte de complot néolibéral visant à mettre à mal notre modèle social. S’il y a dans notre pays incontestablement une vision néolibérale dominante, toute politique ou mesure sociale ne s’y réduit pas. Et nombre de discours, de politiques et de décisions reflètent davantage les tensions et les contradictions que génère l’hybridation instable entre les approches néolibérales et les réalités.
Justement, comment l’action sociale a-t-elle évolué ces 30 dernières années ?
Elle a connu un développement considérable sous l’effet de deux phénomènes. Tout d’abord, l’augmentation quantitative et qualitative des problèmes sociaux, qui s’est traduite par un élargissement de son champ, du nombre de professionnels et des usagers, et donc de son poids dans l’ensemble des politiques sociales. Les dépenses d’action sociale pèsent aujourd’hui entre 80 et 85 milliards d’euros, soit plus que le coût des hôpitaux, des cliniques et des réseaux de santé évalué à 72 milliards d’euros ! Ensuite, l’action sociale a dû faire face à une nouvelle demande des usagers en termes de respect de leurs droits, de personnalisation, de qualité de service et de transparence. Par exemple, c’est sous la pression des personnes handicapées, qui se sentaient exclues de certains dispositifs, que la loi « handicap » de février 2005 a considérablement élargi le champ des publics concernés. Quant à l’autisme, qui est l’objet aujourd’hui de nombreuses polémiques, il y a 15 ans on n’en parlait même pas !
On voit donc bien que les tenants du néolibéralisme sont placés devant une contradiction. Alors que leur optique est de diminuer la dépense publique, cette dernière ne bouge pas : les dépenses de protection sociale tournent autour de 30 % du PIB [produit intérieur brut] depuis près de 15 ans et elles n’en représentaient que 21 % dans les années 1970. Compte tenu des problèmes sociaux et de l’évolution de la demande sociale, les néolibéraux ne peuvent pas ne pas apporter des réponses, même si celles-ci peuvent être partielles et insatisfaisantes.
Ce qui ne les empêche pas de dénoncer l’assistanat et les « profiteurs » du système…
Effectivement, ils reprochent à l’action sociale son poids financier et remettent en cause son efficacité et sa légitimité. Tous les débats sur l’assistanat et les fraudeurs, qu’on a vu d’ailleurs resurgir lors de l’élection présidentielle, participent de ce mouvement. Ces critiques sont bien évidemment discutables puisqu’elles font porter à l’action sociale et à ses acteurs la responsabilité de la croissance des dépenses et occultent le fait que celles-ci résultent des dysfonctionnements des grandes fonctions d’intégration et de socialisation.
Néanmoins, malgré ces critiques, l’Etat social résiste et son démantèlement, même s’il est inscrit à l’agenda néolibéral, est loin d’être une réalité. S’il ne s’agit pas de sous-estimer les conséquences néfastes de certaines décisions, la prévalence des problèmes sociaux et la nécessité pour les pouvoirs publics, quelle que soit leur orientation, de maintenir les liens sociaux et d’assurer la paix sociale rendent difficile la déconstruction de notre modèle social.
En même temps, la multiplication des prestations sociales pour répondre aux nouvelles problématiques s’accompagne d’un affaiblissement de notre système de protection sociale. N’est-ce pas une forme de retour à des logiques d’assistance et le signe d’une pénétration du modèle néolibéral ?
Dans l’esprit des fondateurs de la sécurité sociale, on avait un système d’assurance sociale qui dominait et une aide sociale résiduelle. Or, depuis les années 1980, les prestations d’aide sociale ont considérablement augmenté du fait de la situation sociale et économique et des problématiques nouvelles alors que celles relevant de l’assurance sociale ont été écornées – même si en masse elles se maintiennent. On est loin néanmoins d’un retour à des logiques d’assistance. Bon nombre de ces prestations s’inscrivent en effet dans de vastes programmes d’action – en direction des personnes âgées, des personnes handicapées… – que l’on peut qualifier de solidaires.
Ce qui est toutefois problématique, c’est lorsque l’aide sociale est mobilisée alors que les problèmes auraient pu être résolus dans le cadre de l’assurance sociale. Par exemple, plutôt que de créer l’allocation de solidarité spécifique (ASS) pour les chômeurs en fin de droit, on aurait pu élargir le champ de la couverture chômage (Unedic). De même, au lieu de mettre en place la couverture maladie universelle (CMU), qui est stigmatisante pour ses bénéficiaires, on aurait pu transformer les règles d’affiliation à la sécurité sociale en les basant sur un critère de résidence et non plus de travail. Il y a eu là une occasion manquée de modifier le système pour en améliorer l’accès. Il serait bien sûr exagéré de voir dans la CMU – créée en 1999 par le gouvernement Jospin – une inflexion néolibérale. Celle-ci témoigne surtout d’une réflexion insuffisante.
Des secteurs, comme la petite enfance ou les personnes âgées, se sont ouverts aux opérateurs commerciaux. Certains y voient le début d’une marchandisation du social…
Dans un contexte marqué par la diffusion des idées néolibérales, la question de savoir si l’on assiste à une marchandisation du social est légitime. Pour autant, il faudrait que le marché puisse devenir un instrument de régulation à travers la loi de l’offre et de la demande et qu’il favorise une baisse significative de la part financée par les pouvoirs publics. Or ces éléments sont loin d’être réunis dans le champ de l’action sociale. Par exemple, s’il existe une offre à caractère commercial dans le secteur de l’hébergement des personnes âgées, on reste dans une logique d’économie administrée : quel que soit leur statut, les maisons de retraite restent soumises au même régime juridique d’autorisation notamment pour les budgets soins et dépendance. On assiste en fait moins à une mise en concurrence qu’à une segmentation des publics, les personnes allant dans les établissements commerciaux n’étant pas les mêmes que celles qui se dirigent vers une structure associative ou publique.
Nous sommes donc loin d’être sur un marché autorégulé, d’autant que la profitabilité apparaît assez incertaine. Certains groupes commerciaux essaient d’ailleurs de diversifier leur offre en créant des résidences services ou de diminuer les coûts en construisant des maisons de retraite low cost. Il ne serait d’ailleurs pas inimaginable qu’après avoir investi le secteur des personnes âgées, les opérateurs commerciaux s’en détournent pour aller ailleurs.
Avec la création de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), on est néanmoins passé d’une logique de solvabilisation des structures à une logique de solvabilisation des personnes. Cette évolution ne s’inscrit-elle pas dans la perspective d’une marchandisation ?
La réponse est complexe car la création de l’APA ou de la prestation de compensation du handicap répond aussi à la demande des personnes de pouvoir choisir leur prestataire. En même temps, la solvabilisation des personnes peut effectivement être utilisée dans une perspective néolibérale. Je doute néanmoins, en l’état actuel des choses, que cela soit suffisant pour générer une véritable situation de marché. La solvabilisation reste a minima – le plafond de l’APA pour un GIR 1 (personnes totalement dépendantes) s’élève à 1 288 € – et la capacité contributive des personnes n’est pas suffisante pour que s’exerce une régulation par l’offre et la demande. Les difficultés que rencontre le secteur de l’aide à domicile montrent que, face à un financement public insuffisant, les ressources privées peinent à prendre le relais.
Les choses ne pourraient-elles pas changer sous la pression des instances européennes ?
C’est vrai que l’Europe, du moins telle qu’elle se construit aujourd’hui, pourrait favoriser la marchandisation d’une partie du champ du social. Il est par exemple significatif que la Commission européenne, contrairement au souhait de nombreux acteurs, ait rejeté toute idée de directive sur les services sociaux d’intérêt général. Il faudra voir également l’impact du maintien des établissements d’accueil de la petite enfance dans le champ de la directive « services ». Néanmoins, les gouvernements doivent aussi tenir compte de l’état de l’opinion et de son niveau d’acceptabilité des changements. Le dossier relatif à la prise en charge des personnes dépendantes est à cet égard révélateur. Des pistes dessinant un bon compromis d’un point de vue néolibéral avaient été ouvertes comme l’acquisition d’ une assurance obligatoire à partir de 50 ans ou la récupération sur succession d’une partie des aides publiques. Or elles ont été abandonnées pour des raisons non pas économiques mais politiques : les nombreuses critiques ont mis en évidence leur non-acceptabilité par l’opinion et les risques pour les élus.
L’action sociale est toutefois percutée de plein fouet par le déploiement du « new public management »…
Le « new public management » – ou nouvelle gestion publique – est un courant idéologique venu des Etats-Unis et de Grande-Bretagne qui se diffuse depuis quelques années. Il vise à transformer en profondeur l’action publique à partir de deux idées-forces : il faut baisser la dépense publique et alléger le poids de l’Etat ; les modes de gestion privée sont supérieurs aux modes de gestion publique, ce qui implique de passer d’une logique de service public à une quasi-logique d’entreprise. Les pouvoirs publics vont d’autant plus mobiliser cette approche dans l’action sociale que les solutions plus structurelles, comme l’ouverture au marché, ne parviennent pas à transformer le système d’économie administré et à diminuer le poids de la dépense publique.
Cette approche va entraîner la mise en place de nouveaux outils visant à maîtriser l’offre. La loi 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, qui est une loi de régulation, impose ainsi une planification plus directive et des procédures plus contraignantes… Quant à la loi « hôpital, patients, santé et territoires » du 21 juillet 2009, elle institue la procédure d’appel à projet, qui opère un véritable bouleversement dans les rapports entre les acteurs et les décideurs puisqu’il revient à ces derniers de déterminer les besoins sociaux prioritaires. A cela s’ajoute la prédominance des logiques budgétaires dont le fil conducteur est la convergence tarifaire : les pouvoirs publics fixent un budget moyen, mais sans tenir compte des situations et des besoins ! Or si le principe de corriger des inégalités flagrantes est légitime, le fait de vouloir araser les budgets à partir de moyennes, érigées comme vérité absolue, n’est pas acceptable ! A la différence des problématiques comme les droits des usagers, la maltraitance ou la qualité, qui recèlent des ambivalences, la nouvelle gestion publique s’inscrit totalement dans une perspective néolibérale.
Dans ce contexte, comment analyser le concept de « performance », nouveau credo des pouvoirs publics ?
Apparue avec la loi d’orientation des lois de finances, la performance constitue un habillage assez astucieux pour faciliter la diffusion des logiques instrumentales et technicistes, voire pour permettre l’adhésion des acteurs à ces logiques. C’est un enrobage de la logique de réduction des coûts !
Je ne juge pas le travail de l’ANAP (Agence nationale d’appui à la performance), mais celle-ci a reçu comme mission [article L. 6113-10 du code de la santé publique] d’aider les établissements médico-sociaux et de santé à accroître leur performance « afin de maîtriser leurs dépenses ». Même si un certain nombre de ses travaux sont intéressants, elle ne peut s’affranchir de cet objectif fixé par la loi. On peut d’ailleurs s’interroger sur l’absence de représentation des usagers dans ses instances – à l’inverse de l’ANESM (Agence nationale de l’évaluation des établissements et services sociaux et médico-sociaux) et de la Haute Autorité de santé – alors qu’elle affiche comme préoccupation d’améliorer le service rendu.
S’il ne s’agit pas de rejeter toute mesure de maîtrise des dépenses, la performance qui s’établit à l’aune de résultats prédéfinis, ne permet pas de rendre compte des effets du service rendu, de sa qualité et de son utilité. Elle peut aussi avoir un impact négatif sur les usagers car elle induit des logiques de compétition et de concurrence, ce qui risque d’avoir des effets délétères dans le champ de l’action sociale en conduisant, par exemple, les structures à sélectionner les publics.
Sommes-nous donc entrés avec la nouvelle gestion publique dans une logique de normalisation de l’action sociale ?
Evitons d’abord les faux débats. Toute norme n’est pas négative, certaines représentent même des progrès. Il ya normalisation non pas lorsqu’une norme existe mais lorsqu’elle tend à devenir une fin en soi. Les procédures budgétaires qui s’appuient sur des moyennes ou des standards relèvent d’une logique de normalisation, tout comme la volonté d’instrumentaliser les acteurs. Mais la réalité est plus nuancée sur le plan de la réponse aux besoins car il y a quand même des marges de manœuvre. Par exemple, le taux de progression de l’ONDAM (Objectif national des dépenses d’assurance maladie) médico-social fixé à 4 % pour 2012 est supérieur à la prévision de croissance du PIB de 0,7 %. Bien sûr, sur le terrain, les acteurs vont estimer que c’est insuffisant et pointer les réductions de certains budgets. Pour eux la contrainte est terrible, sauf que la direction générale de la cohésion sociale va mettre en avant la croissance des dépenses au plan macroéconomique. Chacun a raison, c’est un dialogue de sourds dont on ne pourra sortir qu’en abordant en même temps les dimensions de choix politique et d’utilité sociale.
Comment, dans ces conditions, voyez-vous l’avenir de l’action sociale ?
Je ne partage pas l’opinion de ceux qui s’alarment de la casse de notre modèle social. Mon sentiment est que les choses sont loin d’être jouées. Ce qui est sûr, c’est que le statu quo est difficilement envisageable, les équilibres sont trop instables et les tensions et contradictions trop fortes. De même, l’idée qu’il suffirait de réactiver les fondamentaux de notre modèle social ne me paraît guère suffisante. L’avenir dépend de nombreux facteurs, c’est pour cela que je dessine trois scénarios possibles, qui ne sont pas des modèles mais des repères utiles pour structurer les réflexions.
Le premier, que j’ai qualifié « au fil de l’eau », s’inscrit dans la continuité de ce que nous vivons avec une évolution très chaotique faite de hauts et de bas, d’avancées éventuelles et de durcissements. C’est un scénario qui n’apporte aucune solution durable et ne fait qu’empiler les problèmes et des solutions souvent prises dans l’urgence. Il s’accommode d’une diffusion croissante mais partielle d’un modèle néolibéral sans pour autant remettre en cause en profondeur l’architecture du système de protection sociale français.
Le deuxième scénario, franchement néolibéral celui-là, supposerait une transformation structurelle du système de protection sociale pour promouvoir un modèle d’assurance individuelle où la sélection et l’individualisation du risque domineraient. Ses effets seraient l’accroissement des inégalités, une réduction des moyens et du champ de l’action sociale et une accentuation des préoccupations d’ordre public et des pressions sécuritaires. Néanmoins, je ne crois pas, du moins dans l’immédiat, à un tel scénario. Il faudrait réussir à convaincre une majorité significative de l’opinion publique alors que les classes moyennes sont aujourd’hui très attachées au système social français.
Vous évoquez une alternative, un scénario solidaire…
Il s’agit de refonder un modèle solidaire en prenant appui non pas sur les problèmes sociaux mais sur leurs causes, c’est-à-dire la perte des dynamiques d’intégration qui sont au cœur du fonctionnement de la société : l’entreprise, l’école, le logement, la ville produisent aujourd’hui aussi de la précarité et de l’exclusion. Cela implique de réencastrer l’action sociale dans la société et de mener des politiques fortes sur le plan éducatif, du logement, de l’emploi, de l’urbanisme… afin de faire baisser la pression sur la demande d’action sociale et de mieux répondre au besoin d’intégration et de cohésion sociale. Ce scénario n’a rien d’utopique. Il s’appuie sur le système français de protection sociale dont les fondamentaux restent solidement ancrés dans la réalité.
Ce scénario est-il néanmoins tenable dans le cadre de la politique d’austérité budgétaire imposée aux Etats par l’Europe et, plus globalement, dans un environnement international dominé par les idées néolibérales ?
Tout le monde sait que le poids des dépenses consacrées à la protection contre un certain nombre de risques restera élevé dans la mesure où cela correspond à des tendances lourdes d’évolution de la société. Mais là ou les néolibéraux prônent un financement public a minima, une vision solidaire insiste sur la socialisation de ces dépenses. Certes des choix seront nécessaires pour qu’un tel modèle soit soutenable socialement et économiquement. Au-delà des gains d’efficience qu’il faut rechercher en permanence, seule une diminution du poids des problèmes sociaux en renforçant notamment les capacités intégratives de la société pourrait générer des économies structurelles et durables.
Dans cette perspective, que peuvent faire les professionnels de l’action sociale ?
Ils peuvent s’appuyer sur plusieurs leviers. Tout d’abord investir le territoire comme un lieu où l’on peut expérimenter des solutions permettant justement de réencastrer l’action sociale dans les politiques du logement, de l’urbanisme, de l’emploi. Beaucoup d’initiatives en ce sens existent déjà sur le terrain, mais elles sont peu capitalisées. Ce sont ici des CHRS qui essaient de nouer des partenariats avec des bailleurs privés ou publics pour développer une offre de logement social accessible à certaines populations. Là, des associations qui collaborent avec des entreprises pour insérer des publics en difficulté via la mise en place de stages ou de dispositifs de formation qualifiante. Le secteur de l’insertion par l’activité économique a notamment été pionnier sur le secteur du tri des déchets. Le deuxième levier, c’est de s’appuyer sur les usagers en leur reconnaissant une expertise. Ce qui signifie de ne pas se contenter de leur demander leur avis, comme c’est encore trop souvent le cas, mais de les associer aux stratégies des établissements ou services, y compris dans l’élaboration des réponses.
Enfin, j’engage les professionnels à investir l’évaluation qui, même si la doctrine est loin d’être stabilisée et que des incertitudes demeurent, est une véritable opportunité pour rendre visible le travail réalisé au sein du service ou de l’établissement. C’est un outil qui peut en outre contribuer à montrer aux autorités de tutelle les limites ou les contradictions des politiques publiques. Il faut que les acteurs comprennent que l’évaluation a d’abord et avant tout un intérêt pour eux.
Les fédérations associatives n’ont-elles pas aussi un rôle à jouer ?
Je crois effectivement qu’elles n’ont pas suffisamment pris la mesure des changements opérés : les modes de coopération qu’elles avaient pu nouer avec les pouvoirs publics lors des trente glorieuses ne fonctionnent plus dans la mesure où l’action sociale entre en tension avec les logiques économiques dominantes. Face à un risque réel d’être instrumentalisées par les pouvoirs publics, les fédérations associatives devraient porter un discours global sur l’action sociale et formaliser davantage leurs coopérations tant au plan national qu’à celui du territoire. Or elles restent encore sur leurs précarrés et sur des positions défensives. Elles se sont ainsi peu fait entendre lors des discussions sur la loi « hôpital, patients, santé et territoires » de juillet 2009, qui a pourtant opéré une rupture dans l’action sociale en séparant le social du médico-social et en instituant la procédure d’appel à projet. Le nouveau contexte impose aux associations de retrouver un positionnement politique.
Aux acteurs donc de se prendre en main ?
Effectivement, il y a des marges de manœuvre si l’on prend la mesure de ce qui se joue aujourd’hui. Certains sont prêts à rentrer dans un moule néolibéral, d’autres prônent l’indignation et la résistance et d’autres encore, pragmatiques, essaient de parer les coups. Je pense qu’il est possible d’aller plus loin en s’appuyant sur un scénario solidaire pour construire un discours stratégique et collectif. C’est en ayant une parole politique que les professionnels et les associations peuvent influer les évolutions de l’action sociale.
On connaît surtout Pierre Savignat pour ses réflexions sur l’évaluation des établissements sociaux et médico-sociaux, qu’il considère comme une occasion pour les professionnels de rendre compte de l’utilité sociale de leur action. On aurait tort toutefois de réduire l’expertise de celui qui siège depuis 2000 à la Société française de l’évaluation et depuis 2007 au conseil scientifique de l’ANESM à ce sujet. Né le 24 février 1950, ce Parisien d’origine a une solide connaissance du secteur social et sanitaire, acquise d’abord de l’intérieur. Ancien élève de l’Ecole des hautes études en santé publique (Ecole nationale de la santé publique à l’époque), il a fait ses classes comme secrétaire général d’une association gestionnaire d’établissements sanitaires et sociaux, puis comme directeur de maison de retraite et d’hôpital, avant de rejoindre l’enseignement et la recherche. Et, depuis 2009, c’est en tant que maître de conférences associé sur les politiques sanitaires et sociales à l’université de Grenoble qu’il s’intéresse aux évolutions à long terme du secteur et à ses articulations avec l’économie (il est titulaire d’un DESS) et la société. N’hésitant pas à défendre un point de vue engagé.
Autres ouvrages parus (éd. Dunod) : Conduire l’évaluation externe dans les établissements sociaux et médico-sociaux (2010) et Evaluer les établissements et les services sociaux et médico-sociaux (2009).
(1) L’action sociale a-t-elle encore un avenir ? – Ed. Dunod – 19,90 €.