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Des DGS des départements s’invitent dans le débat sur l’action sociale

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Dans une contribution qu’ils souhaitent soumettre au débat, plusieurs directeurs généraux des services des départements invitent à mieux mobiliser les capacités des usagers à travers des politiques de développement social territorial. Ce qui passe, selon eux, par une révision des pratiques de l’ensemble des acteurs.

Ils sont sortis de leur réserve pour tirer la sonnette d’alarme. 34 directeurs généraux des services (DGS) des départements, ceux que les agents perçoivent plutôt comme les « censeurs financiers des budgets départementaux », ont décidé de réagir face à l’effet de ciseaux entre d’une part la croissance des transferts de charges non compensés par l’Etat et la réforme de la fiscalité locale et d’autre part l’augmentation de la demande sociale. « L’impératif de maîtrise des dépenses ne peut tenir lieu de sens à l’action sociale », affirment-ils avec force.

Contre le démantèlement du système social

Dans un texte de 12 pages, intitulé « L’action sociale, boulet financier ou renouveau de la solidarité », ils se positionnent contre le démantèlement du système social français et invitent très clairement les départements à « jouer leur rôle d’acteurs du développement sur leur territoire et non de simples distributeurs de prestations ». Une option qui s’accompagne d’un appel à l’ensemble des acteurs – managers, travailleurs sociaux, partenaires extérieurs – à réviser leurs pratiques, que leurs auteurs souhaitent mettre au débat avec l’ensemble des DGS et les directeurs généraux d’action sociale et de santé des départements le 13 juin prochain, à Bobigny, lors d’une rencontre organisée par l’ANDGDGARD (Association nationale des directeurs généraux et directeurs généraux adjoints des régions et départements). Avant d’organiser une journée nationale le 18 octobre prochain pour débattre sur ces questions avec, cette fois, tous les acteurs intéressés.

« Nous nous interrogeons sur l’avenir de l’action sociale depuis 2004, lorsque l’Etat a décidé de ne plus compenser intégralement les dépenses liées à l’allocation ­personnalisée d’autonomie (APA), au revenu de solidarité active (RSA) et à la PCH (prestation de compensation du handicap) », explique aux ASH Denis Vallance, directeur général des services (DGS) de Meurthe-et-Moselle et l’un des trois rédacteurs du texte (1). « Pour ces seules allocations, le décalage dans mon département entre les dépenses et les recettes est de 96 millions d’euros cette année, ce qui correspond à l’équivalent budgétaire de 2 500 postes de travail ! ».

Face à une contrainte budgétaire qui risque de remettre en cause les politiques de solidarité, les DGS ont donc décidé d’exprimer publiquement leurs préoccupations sur la question sociale. « Il y a toujours un débat sur la neutralité des DGS et leur capacité à prendre la parole publiquement. Mais nous sommes une majorité à penser que, du fait de notre rôle stratégico-politique, nous ne sommes pas des fonctionnaires comme les autres, défend Denis Vallance. Pris en tension entre l’élaboration du budget de la collectivité et le management des équipes, nous sommes mieux placés que quiconque pour observer les tensions entre le débat politique et la gestion des services. Nous voulons donc, par notre parole singulière, qui n’est ni celle des élus, ni celle des agents des services, contribuer au débat sur la réforme de notre système social français. »

Le texte examine tout d’abord, à la lumière du fonctionnement des service sociaux départementaux, les points faibles de l’Etat providence. Si les signataires épinglent comme d’autres l’évolution de la réglementation qui, en multipliant les dispositifs, transforme les services sociaux en simples « guichets » au détriment de leur fonction d’accompagnement, ils pointent également deux autres limites à notre modèle social. La première, « d’ordre philosophique », vient de la notion même d’accès aux droits, qui est « au centre de la pratique des travailleurs sociaux ». Car cette logique, dans un contexte de développement de l’individualisme, encourage les usagers « à ne compter que sur l’intervention publique dans des domaines de la vie qui vont en s’élargissant, au rythme de la reconnaissance de nouveaux droits » et favorise donc la prise en charge publique au détriment de la prise en charge individuelle ou par les solidarités de proximité (familiale, de voisinage). Soit « un cercle vicieux dans lequel le désengagement des citoyens fait écho aux avancées de l’action publique ».

Jusqu’où prendre en charge ?

A cette limite « philosophique », les signataires en ajoutent une autre, « d’ordre social », liée, selon eux, à l’aversion au risque de notre société. « Dans la mesure où les effets négatifs d’une non-prise en charge sont beaucoup plus visibles et potentiellement engageants (au plan juridique, voire pénal parfois) pour les professionnels que les éventuels effets pervers d’une prise en charge, l’arbitrage se fait la plupart du temps dans le sens de la prise en charge. Comment en effet établir une relation de causalité certaine entre un accès à l’autonomie rapide et une non-prise en charge sociale ? A l’inverse, comment ne pas établir une causalité entre un acte délictueux commis par un jeune majeur à la rue et le fait qu’il venait de sortir du dispositif de prise en charge ASE du fait de ses 21 ans ? ». Pourtant, défendent les DGS, la prise de risque n’est bien souvent que « la façon négative d’exprimer ce qui est au centre de tout accompagnement social […], à savoir la capacité à faire confiance aux usagers et à utiliser leurs ressources comme effet de levier ». Et de regretter l’absence de limites dans les modes de prise en charge, « ce qui permettrait de réorienter, voire d’arrêter un accompagnement, mais aussi de rééquilibrer les responsabilités respectives entre services sociaux, partenaires et usagers ». Pour les DGS, ces contradictions, qui pèsent sur la dépense publique alors que notre modèle d’action sociale a atteint ses limites financières, non seulement ne permettent pas d’accompagner les usagers vers l’autonomie mais génèrent une ­profonde insatisfaction. Tant des travailleurs sociaux transformés en « guichets » que des usagers insuffisamment mobilisés et stigmatisés car caractérisés plus par leurs manques que par leurs capacités à agir.

Miser sur les compétences des personnes

Quelles sont alors les pistes de solution ? Les DGS se prononcent d’abord pour des droits financés par la solidarité nationale. et affirment la nécessité d’un financement garanti des trois allocations de solidarité (RSA, APA, PCH) par un prélèvement national redistribué aux départements en fonction de la dépense réelle. Ce préalable étant posé, ils invitent à mettre systématiquement au cœur de l’accompagnement social les compétences des individus et des familles. Ce qui, loin d’être une évidence, suppose selon eux, « une évolution des pratiques professionnelles actuelles, parfois trop normatives », mais aussi l’acceptation par la société des limites de l’intervention sociale : « Accepter que l’accès à l’autonomie soit parfois facilité par une absence d’intervention ou une intervention limitée dans le temps et dans son périmètre, accepter l’échec de l’intervention si les résultats visés ne sont pas atteints et en déduire l’arrêt de l’accompagnement, accepter aussi que l’intervention sociale traite surtout les symptômes et pas les causes, qui relèvent d’autres champs d’intervention ».

Le texte invite donc les départements, chefs de file de l’action sociale, à mener une politique de développement social sur leur territoire, qui permette à partir du diagnostic de la situation et de l’expertise du travailleur social, de mobiliser les politiques publiques, y compris dans le domaine économique en soutenant notamment l’économie sociale et solidaire, et l’environnement direct de la personne ou du groupe. « Si les travailleurs sociaux peuvent identifier les difficultés et les ressources des personnes qu’ils reçoivent, ce n’est pas à eux de résoudre les problématiques de logement, d’emploi… Par contre, ils doivent pouvoir interpeller le service en charge du logement, de l’emploi, des transports de leur collectivité, qui mobilisera à son tour la ville, la communauté d’agglomération ou Pôle emploi », défend Denis Vallance. « Il nous revient à nous, responsables des services départementaux, d’organiser nos services pour permettre ce dialogue entre les professionnels et nos propres politiques publiques. »

Si ces pistes ne sont en rien « révolutionnaires » de l’avis même des signataires, elles restent difficiles à mettre en place. Elles impliquent en effet une volonté politique forte des exécutifs départementaux, qui doivent intégrer la dimension sociale dans leurs propres politiques sectorielles. « On ne peut plus fonctionner en tuyaux d’orgue », lâche Denis Vallance. Certains départements se seraient d’ailleurs engagés dans ce type de démarche.

Mieux former les professionnels

Mais il faut également, selon les DGS, une évolution des compétences des travailleurs sociaux : la formation, selon eux, les prépare insuffisamment au fonctionnement institutionnel d’un conseil général et l’enseignement au développement local, sa théorie et ses outils, est trop limité. Les signataires estiment également nécessaire de « repenser dans un esprit d’ouverture » la question du travail en partenariat et de la déontologie du travail social, de remettre l’usager au centre de la formation et de renforcer les compétences des professionnels en matière d’observation et de diagnostic, d’analyses des besoins et d’élaboration de protocoles d’intervention et d’évaluation. Mais s’ils sont très critiques sur la formation, les directeurs généraux des services reconnaissent que ce chantier ne pourra progresser que si les départements « s’y impliquent avec volontarisme, ce qui n’est pas le cas général aujourd’hui » – ce qui suppose des discussions avec les régions, les universités, les centres de formation, le Centre national de la fonction publique territoriale – et s’il s’accompagne d’une revalorisation du statut des agents.

Enfin, « c’est dans le management de proximité que réside le principal levier pour impulser des évolutions des pratiques professionnelles ». Or, trop souvent, le management des équipes sociales est confié à un cadre « issu du rang » mis en situation d’encadrer ses collègues sans réel accompagement, déplorent les DGS. Il revient donc aux cadres dirigeants des départements, « par une implication plus importante qu’aujourd’hui dans la définition du parcours de formation des travailleurs sociaux, de s’investir fortement dans l’accompagnement managérial des cadres du secteur social ». Reste à savoir comment ces prises de position, parfois tranchées, seront reçues sur le terrain.

DES PREMIÈRES RÉACTIONS PLUTÔT POSITIVES

A l’Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé des départements (Andass), on indique avoir suivi la démarche des directeurs généraux des services (DGS) et adhérer aux idées qui sont défendues. « Il est clair qu’on a trop privilégié un modèle d’action sociale où s’empilent des dispositifs et où domine la contrainte comptable. Les départements doivent gérer des problématiques sociales de plus en plus complexes avec des équipes sociales souvent très nombreuses, défend Yvan Ferrier, son président. Il revient donc à ses cadres dirigeants de créer l’adhésion des équipes autour d’un projet de développement social afin de prendre en compte plus globalement les situations et de redonner du sens à l’action sociale. Ce qui implique de privilégier la fonction d’encadrement. » L’Unaforis (Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale) voit dans le texte des DGS, « même si certains éléments peuvent être discutés », un « appel constructif » à une évolution des formations sociales visant à inscrire le travail social dans une approche territoriale – « ce qui rejoint nos préoccupations ».

Elle se dit par ailleurs très intéressée pour engager un dialogue avec les départements, en tant qu’acteurs majeurs des politiques sociales et employeurs de travailleurs sociaux, sur leurs attentes en matière de formation des professionnels, l’organisation ayant surtout aujourd’hui des relations avec les employeurs du secteur non lucratif.

Quant à l’Assemblée des départements de France (ADF), qui précise avoir accompagné la démarche, elle juge également l’initiative intéressante. « Mais, précise-t-elle, celle-ci n’est pas exclusive. Dans le cadre de l’ADF, d’autres professionnels des départements mènent également des réflexions sur l’action sociale tout comme les commissions statutaires de l’ADF dans lesquelles les élus eux-mêmes sont très présents. »

Notes

(1) Avec Laurence Quinaut, DGS du département d’Ille-et-Vilaine et Philippe Yvin, DGS du département de la Seine-Saint-Denis – Texte téléchargeable sur www.cg54.fr/fr/actualite/article/laction-sociale-boul.html.

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