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« L’accès à un logement convenable, premier défi pour la ville équitable »

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Au croisement des problèmes sociaux et environnementaux, la ville équitable s’inscrit dans les réflexions actuelles sur la ville durable. Comment favoriser le développement d’un tissu urbain régulé dans lequel chacun puisse trouver sa place? Et quels outils mettre en œuvre pour cela ? Telles sont les questions soulevées par l’architecte et historien Stéphane Füzesséry, qui a codirigé un dossier sur ce thème pour le site Métropolitiques.

On connaissait déjà le thème de la ville durable. Votre réflexion porte sur la ville équitable. Quel lien entre les deux ?

La ville équitable est l’un des versants de la ville durable, qui prétend relever trois grands défis. Elle doit tendre tout d’abord à une certaine autosuffisance, en étant capable de satisfaire localement ses besoins sans faire peser ses coûts de développement sur d’autres territoires. Elle vise ensuite à assurer un minimum d’équité dans l’accès au logement et, plus généralement, dans les différents services urbains. Enfin, elle doit permettre la réappropriation d’un projet politique collectif, en faisant de l’assentiment démocratique des citoyens une condition de son développement. Ces trois aspects de la ville durable, l’autosuffisance, l’équité et le projet démocratique, sont indissociables.

Quels sont les enjeux de la ville équitable ?

La ville est un environnement global dont l’une des fonctions centrales est le logement. La difficulté à se loger constitue donc la principale source d’iniquité urbaine et l’accès à un logement convenable le premier défi pour la ville équitable. Le deuxième grand enjeu, c’est la mobilité, synonyme d’accès à l’emploi. L’ensemble des services urbains de proximité, tels que la santé, la culture, l’éducation, l’énergie, etc., constituent le troisième grand axe. Il faut ajouter à cela le souci de l’équité dans la protection face aux risques, en particulier environnementaux. L’inondation, par exemple, constitue un risque important pour lequel on ne dispose pas aujourd’hui, dans bien des cas, de moyens de prévention efficaces. Or elle concerne souvent des populations modestes, voire défavorisées habitant dans des zones inondables souvent construites dans le cadre de programmes de logements d’urgence devenus pérennes. Les logiques sociales et environnementales se sont ainsi superposées et des populations démunies se trouvent davantage exposées à ces risques.

Quel est le périmètre pertinent de l’équité urbaine: le quartier, la ville… ?

Naturellement, les questions d’équité s’observent d’abord localement, souvent à l’échelle communale ou du quartier. Ainsi, on constate que tel ou tel secteur souffre d’enclavement. Mais si l’on souhaite désenclaver des quartiers, cela passe par la mise en œuvre d’un programme d’infrastructures de transports. Ce qui n’est réalisable qu’à grande échelle. Il existe ainsi une combinaison d’échelles qu’il faut articuler entre elles. Cela renvoie d’ailleurs à la question plus générale des politiques urbaines et des projets d’urbanisme, dont la complexité s’accroît à mesure que le millefeuille institutionnel s’épaissit. Les projets menés sur de grands territoires sont difficiles à mettre en œuvre car ils mettent en jeu une pluralité d’acteurs institutionnels et politiques. Les occasions de blocage sont incessantes, ce qui n’était pas le cas durant les Trente Glorieuses, lorsque l’Etat planificateur menait de grandes opérations d’urbanisme selon des procédures souvent très centralisées. Il faut donc repenser la manière de faire de l’urbanisme au regard de cette complexité des jeux d’acteurs.

La métropolisation des grandes zones urbaines apparaît-elle alors comme l’une des conditions d’émergence de la ville équitable ?

Tout dépend de ce que l’on appelle métropolisation. S’il s’agit de la concentration toujours plus importante des populations et des activités dans les grandes villes mais sans régulation, comme cela a souvent été le cas à l’époque contemporaine, la réponse est non. En tant que forme d’urbanisation non contrôlée, la métropole a plutôt tendance à accentuer des iniquités urbaines. En revanche, si l’on entend par ce terme une planification et une gestion de la ville à grande échelle, la métropolisation apparaît davantage comme la condition d’une meilleure équité urbaine. A cet égard, les réflexions développées dans le cadre du Grand Paris me semblent plutôt positives. Elles ont permis de cristalliser une prise de conscience sur la nécessité d’un changement d’échelle pour penser les problèmes de la capitale. Du point de vue du débat public, pour la première fois on pose le problème au bon échelon. Reste à y répondre de manière convaincante. Ce qui renvoie au problème de la gouvernance de cette métropole.

La ville équitable est-elle synonyme de mixité sociale ?

Le lien n’est pas automatique. On peut très bien imaginer un modèle de vie équitable qui ne soit pas fondé sur une exigence de mixité sociale. Néanmoins, dans la manière de mettre en œuvre aujourd’hui le développement urbain durable, on continue de rechercher les conditions d’une certaine mixité sociale et fonctionnelle. Ce qui n’est pas simple, car cela ne se décrète pas. On ne peut que créer des conditions favorables. Souvent, cela ne fonctionne pas très bien, car ce qui gouverne la répartition des populations sur un territoire, c’est d’abord le marché foncier. Il est très difficile de lutter contre ce phénomène de centrifugeuse sociale. Dans une métropole comme Paris, qui s’est développée de façon radioconcentrique, le schéma est très clair: plus on dispose de revenus importants et plus on est en capacité d’habiter l’hypercentre. A l’inverse, moins on est fortuné et plus on est contraint de s’éloigner, alors que le développement durable nous impose de lutter contre l’étalement urbain.

Les contraintes liées à la mise en œuvre de la ville durable ne sont-elles pas, en elles-mêmes, des vecteurs d’inégalités sociales ?

De fait, certains objectifs du développement urbain durable ne facilitent pas l’équité urbaine. C’est le cas en particulier des questions énergétiques. Un bon exemple est le problème de l’isolation des bâtiments anciens. Ceux-ci représentent une part très importante de la déperdition d’énergie en ville. Les isoler apparaît donc aujourd’hui comme un objectif prioritaire du développement urbain durable. Mais cela représente un coût extrêmement lourd et de plus en plus difficile à assumer à mesure que l’on descend dans l’échelle sociale. Cet objectif d’économie d’énergie contredit, dans une certaine mesure, celui d’équité urbaine. Un autre exemple est celui des écoquartiers, qui se construisent depuis plus de dix ans dans divers pays occidentaux. Ils sont supposés être des vitrines du développement urbain durable, mais, le plus souvent, ils ne sont accessibles qu’à des ménages moyens ou aisés. Bien sûr, la plupart d’entre eux imposent une forme de mixité sociale, mais en réalité la centrifugeuse sociale reprend vite ses droits. L’écoquartier est ainsi souvent un projet pertinent d’un point de vue énergétique, mais pas toujours d’un point de vue social.

Concrètement, comment mettre en œuvre cette ville équitable ?

En premier lieu, il faut repenser la manière de faire de l’urbanisme au regard de la complexité générée par les imbrications d’échelles et par les jeux d’acteurs. A cet égard, la question de la répartition des compétences en matière d’urbanisme me paraît fondamentale, tout comme celle de la valorisation sociale et politique de l’urbanisme. On observe aujourd’hui un processus de recomposition des compétences. Des intercommunalités se constituent et commencent à prendre en main les problématiques urbaines. L’Etat essaie lui aussi de relancer des grands projets au travers de procédures spécifiques comme les opérations d’intérêt national. En second lieu, il faut une politique du logement très volontariste, notamment en direction des personnes les plus démunies. Ce qui pose le problème de la maîtrise du foncier. En effet, la densification est l’une des réponses structurelles les plus efficaces pour améliorer l’équité urbaine. Et, en France, il est tout à fait possible de densifier les villes, surtout dans les périphéries urbaines proches, où il reste de la place. Mais cela suppose que les élus locaux assument ces politiques. Or un maire qui modifie son plan local d’urbanisme pour densifier le tissu urbain risque de mécontenter ses électeurs. C’est pour cette raison que les élus locaux sont assez rétifs à l’idée de libérer le foncier. Ce qui favorise le phénomène d’étalement et d’éloignement autour des centres-villes. Enfin, il faut poser la question du financement de ces politiques. Mettre en œuvre la ville équitable a un coût et il est nécessaire d’inventer de ­nouveaux mécanismes de financement de la ville durable.

REPÈRES

Stéphane Füzesséry est historien et architecte. Ses travaux portent sur le développement des métropoles, la fabrication des imaginaires urbains au XXe siècle, les discours critiques sur la modernité urbaine… Il a codirigé, avec Nathalie Roseau, le dossier « La ville équitable », sur le site Métropolitiques (www.metropolitiques.eu/La-ville-equitable.html). Il a également codirigé, avec Philippe Simay, Le choc des métropoles. Simmel, Kracauer, Benjamin (Ed. de l’Eclat, 2008).

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