L’élection d’un nouveau président et l’alternance politique, dont l’ampleur dépendra cependant du verdict des élections législatives de juin, peuvent tout aussi bien susciter de folles espérances que déclencher des paniques prospectives. Mais une chose est sûre : ce sont des périodes que beaucoup de juristes, dont l’auteur de ces lignes, n’envisagent qu’avec une certaine appréhension. C’est que le nouveau président et la majorité qu’éventuellement les urnes lui accorderont vont mettre en route la machine à fabriquer les textes… Or celle-ci est déjà en temps normal trop prolixe, souvent inconstante et peu cohérente, accouchant d’une prose que seuls des hyperspécialistes peuvent décrypter. Alors en période où il s’agit de « réformer » très vite, on peut craindre un peu…
Si l’on s’en tient au champ de l’action sociale, les majorités qui ont précédé François Hollande n’ont pas été avares de réformes : grands textes transversaux (loi rénovant l’action sociale de 2002, loi relative à la cohésion sociale de 2005, loi « HPST » en 2009) ; textes sectoriels (politique du handicap, protection de l’enfance, protection des majeurs, droit au logement et à l’hébergement, revenu de solidarité active) ; modification du cadre politico-administratif (réformes de l’administration de l’Etat et des collectivités territoriales, dont la création des agences régionales de santé). Sans oublier les multiples adaptations et aménagements des modalités de pilotage et de financement des établissements et des services… Bref, dix années de bombardement textuel intensif sans avoir le sentiment d’une amélioration nette de la situation.
On doit cependant remarquer que les questions concernant l’action sociale n’ont guère été abordées par les candidats, y compris par celui qui a été élu. Doit-on en conclure que rien n’y sera entrepris ? Certainement non ! On sait que ces domaines restent largement méconnus de beaucoup de nos concitoyens, ce qui n’incite guère à en faire des thèmes de campagne. Certains politistes libéraux diront même que la plupart des « pauvres » ne votant pas, on ne voit pas pourquoi il faudrait les prendre en compte dans « l’offre politique »… Il faut dire aussi que l’action sociale a toujours été et reste l’affaire de corporations et de groupements qui n’atteignent que rarement le grand public. Les réformes y sont le fait de spécialistes, de services dédiés et de groupements fédérant des acteurs ou des opérateurs du champ, les constantes mutations qu’elle subit n’étant pratiquement pas sorties du cercle des initiés.
En ce qui concerne les changements annoncés – pour l’essentiel, une nouvelle réforme du système politico-administratif local et une restructuration du dispositif de prise en charge de la dépendance –, que souhaiter ? Pour la première, la mouture ultime de la décentralisation ayant constitué un bien curieux bricolage, que l’on ne procède qu’à des changements constructifs de façon à rénover vraiment notre système politique local pour le mettre à la hauteur des enjeux du moment. Mais les exercices précédents sur ce dossier n’incitent pas à l’optimisme, car les meilleures intentions se sont jusque-là enlisées dans les compromis les plus bancals. Pour la seconde, on souhaiterait naturellement un engagement public renforcé visant à assurer une prise en charge de la dépendance de qualité et pour tous. Mais on va buter là sur la question des ressources à mobiliser. Personne n’indique comment financer un éventuel « 5erisque ».
Pour tout le reste, enfance et jeunesse, handicap, personnes âgées et « exclus » de toutes les catégories, qui susciteront à n’en pas douter des réformes de plus ou moins grande ampleur, on voudrait délivrer une sorte de « discours de la méthode » tiré des expériences du passé : évaluer sérieusement les dispositifs en place avant de les changer; se garder de faire des textes en réponse immédiate à des émotions ou à des événements dramatiques ; limiter l’empilement des « dispositifs » qui transforment l’action collective en un vaste champ où les « partenaires » se cherchent sans jamais se trouver ; retrouver et soutenir les groupements intermédiaires et les représentations collectives qui limitent la technocratie et donnent une indispensable épaisseur au « social » ; stabiliser et simplifier les cadres réglementaires pour que les acteurs puissent s’en saisir avec intelligence et leur donner du sens.
Enfin, puisque après tout on peut se laisser aller à une opinion vraiment personnelle, on proposerait bien d’en finir avec la dérive assistancielle qui ne voit, comme antidote à un marché devenu plus difficilement maîtrisable, que l’arme de la compassion et des bonnes intentions. Extension du marché et philanthropie vont toujours de pair : si nos nouveaux dirigeants veulent réinventer la social-démocratie, ils le feront notamment dans le dépassement de ce diptyque.