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Gestion bienveillante

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A l’antenne sud de l’association parisienne ATFPO, cinq déléguées mandataires sont chargées de gérer au mieux les finances des personnes placées sous protection juridique – tutelles, curatelles, etc. –, mais aussi de les accompagner dans des tâches parfois très diverses. Découverte d’une mission complexe aux multiples facettes.

« Bonjour Mme Verrechia, comment allez-vous ? » Johanna Fabry, mandataire judiciaire, pénètre dans un trois-pièces du Ve arrondissement parisien dont le double salon est en travaux : murs dénudés de leur tapisserie et toutes fenêtres ouvertes, malgré une fin d’hiver glaciale. L’habitante des lieux l’accueille, avec sa voisine sur les talons. « Oh, elle va pas très bien, répond d’emblée celle-ci. Regardez, ses mains sont toutes violettes, elle a mal partout, elle arrive pas à marcher. » La jeune mandataire vient voir, chez cette personne placée depuis 2008 sous curatelle renforcée, comment progressent les travaux mis en œuvre grâce au financement du centre communal d’action sociale de Paris. Mais elle trouve Josette Verrechia en très petite forme. « Vous en avez parlé à l’infirmière, vous avez appelé le médecin ? », s’inquiète Johanna. « Non, elle l’a pas appelé, s’interpose encore la voisine. Et puis l’infirmière, elle fait rien. » La mandataire interroge Josette sur les différents professionnels qui interviennent à son domicile pour les soins et le ménage. Mais, invariablement, c’est l’omniprésente voisine qui répond. « Bon, vous savez, MmeVerrechia, moi je préfère quand c’est vous qui me parlez », insiste Johanna Fabry. Mais rien n’y fait. « La nuit, elle dort pas. Des fois, je la vois par ma fenêtre quand je suis dans la cuisine », poursuit la voisine, croyant bien faire.

Au bout de quelques instants, avec un petit regard à son intention, Johanna annonce qu’elle voudrait parler budget. Illico, la voisine s’éclipse pour retrouver son propre foyer. La vieille dame lâche alors : « J’en peux plus de me sentir mal dans ma peau, je fais une dépression, je veux aller à l’hôpital. » L’entretien d’une petite heure permettra d’aborder non pas les finances de la personne protégée, mais plutôt son état d’esprit, son appétit, la possibilité de faire intervenir un kinésithérapeute à domicile, son inquiétude quant au devenir de son corps après son trépas, le problème de ses volets que l’organisme HLM n’est pas encore venu réparer, etc. « J’aime bien quand vous venez, conclut l’octogénaire avec un sourire ravi, alors que Johanna se prépare à partir. Vous êtes gentille, et puis vous faites avancer plein de choses. »

Le mariage du social et du droit

L’Association tutélaire de la fédération protestante des œuvres (ATFPO) a été fondée en 1991 et dispose actuellement de trois antennes sur Paris et de deux en région parisienne. Chacune est chargée d’environ 300 dossiers. « C’est le maximum de situations qu’un individu moyen puisse mémoriser, estime Didier Prévot, le directeur de l’ATFPO. Et chez nous, notre responsable de service ou notre secrétaire doit pouvoir appeler chacun par son nom. Donc, dès que nous dépassons les 300personnes prises en charge, nous créons une nouvelle antenne. C’est une constante dans notre histoire. » A l’antenne sud, dont dépend notamment Josette Verrechia, 80 dossiers concernent des mises sous tutelle (une mesure de représentation dans laquelle le tuteur agit à la place de la personne protégée, en accord avec le juge) ; 205 sont des curatelles (un dispositif judiciaire d’assistance dans lequel les décisions sont prises avec la personne, et qui est dit « renforcé » lorsque le curateur perçoit les ressources et réalise les dépenses pour la personne protégée) ; 4 sont des mesures d’accompagnement judiciaire ; 7 sont des mandats spéciaux (décidés en urgence par le juge dans l’attente d’une évaluation de la situation médico­psychologique de la personne). « Nous travaillons surtout avec des personnes âgées et des individus présentant des pathologies psychiatriques », résume Mélanie Joly, responsable de l’ATFPO Paris-Sud.

L’équipe intervient essentiellement sur les Ier, Ve, XIIIe, XIVe et XVe arrondissements parisiens. Son action est financée par la direction départementale de la cohésion sociale, les organismes prestataires (conseil général, mutualité sociale agricole, caisse d’allocations familiales, etc.) et une participation des personnes placées sous protection, en fonction de leurs revenus. « Cette part représente environ 15 % du budget de l’ATFPO, car chez nous beaucoup de personnes ne touchent que l’allocation aux adultes handicapés, qui est insuffisante pour participer », explique Didier Prévot. L’antenne de Paris-Sud est constituée de cinq déléguées à la fonction de mandataire judiciaire, de trois agents administratifs, d’une responsable de service et d’une assistante. « A l’origine, nos déléguées ont une formation initiale en travail social ou en droit d’un niveau bac+3 au minimum, précise le directeur. Il faut le mariage de ces deux compétences pour assurer la mission de mandataire dans toute sa complexité. » Depuis la réforme du 1er janvier 2009 (loi du 5 mars 2007), les cinq déléguées ont également validé un certificat national de compétences des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, devenu obligatoire pour exercer leur fonction (1).

« Nous avons une palette d’intervention très large, note Mélanie Joly. Nous pouvons intervenir dans des situations de divorce, de naturalisation, d’attribution du RSA, de surendettement… » Au quotidien, les déléguées mandataires peuvent être sollicitées pour récupérer des certificats de naissance à l’étranger, rechercher une place disponible dans un caveau funéraire, constater des fuites, mais aussi… changer une ampoule électrique ou coudre des étiquettes nominatives sur des vêtements pour des personnes vivant en collectivité ! « C’est vrai, on nous demande tout et n’importe quoi », reconnaît Sophie Coat, titulaire d’une maîtrise en droit et d’un BTS en éducation sociale et familiale, qui se souvient d’avoir été sollicitée pour décider où une chaise percée devait être vidée… « Certains travailleurs sociaux pensent que nous avons été formés pour nous occuper du quotidien de la personne, mais ils nous confondent avec les familles. » Pour certaines missions, l’ATFPO peut également compter sur un réseau de bénévoles. A l’image d’Antoine de Védrines, qui passe cet après-midi chercher son ordre de mission. Il doit être présent pour l’intervention d’un expert dans l’appartement d’un majeur protégé qui a provoqué une fuite d’eau. « On peut également accompagner les personnes qui ont besoin de faire renouveler leurs papiers, ou effectuer un petit peu de bricolage, ou encore débarrasser un appartement », indique le bénévole.

Un rôle parfois mal identifié

L’un des regrets des déléguées mandataires est que le travail en réseau avec des travailleurs sociaux ne soit pas systématiquement développé. De fait, elles travaillent avec les médecins, les soignants, les avocats, les notaires, mais trop souvent elles doivent remplacer l’assistante sociale. « Je ne sais pas si c’est parce que les services sociaux sont engorgés. Pourtant, nous sommes en quelque sorte des généralistes et nous avons besoin du savoir-faire de spécialistes comme les assistantes de service social », résume Mélanie Joly, la responsable de l’antenne, également mandataire. Pour les demandes de logement, par exemple, les déléguées mandataires admettent ne pas avoir les bons réseaux, ni la connaissance de toutes les procédures spécifiques. « Alors nous essayons de faire venir des assistantes sociales sur nos dossiers, mais c’est tellement difficile que, souvent, nous laissons tomber. Avec 50 à 60 dossiers chacune, nous n’avons pas le temps de les relancer. » Néanmoins, lorsque les personnes sont prises en charge au préalable par d’autres institutions, comme l’hôpital ou une maison de retraite, la collaboration se révèle plus facile. « D’autant plus que, souvent, les patients arrivent chez nous avant que la mesure de protection soit mise en place, précise Marie Baillat, assistante de service social à l’hôpital gériatrique Broca-La Rochefoucauld. Alors on a le temps de préparer un dossier qui pourra être partagé avec le mandataire. Et s’il faut rechercher une maison de retraite ou préparer le retour à domicile, on travaille ensemble. »

Lorsque Johanna Fabry regagne les locaux de l’ATFPO Paris-Sud, plutôt inquiète pour la santé de Josette Verrechia, deux de ses collègues sont de permanence d’accueil et reçoivent, sur rendez-vous, les personnes protégées qu’elles suivent. Chaque manda­taire effectue par semaine deux demi-journées de permanence d’accueil sur place et deux demi-journées de permanence téléphonique. S’y ajoutent deux ou trois visites à domicile, car les mandataires doivent rencontrer chaque personne protégée au moins deux fois par an (une fois seulement pour les personnes vivant en établissement médico-social).

Dans un tout petit bureau donnant sur la rue, Sophie Coat est en entretien avec Marie-ClaudeH., sous curatelle renforcée depuis quelques mois et en procédure de surendettement. « J’ai reçu plein de courriers, mais j’ai pas tellement bien compris », commence cette dame d’une cinquantaine d’années à l’élocution ralentie. « C’est normal quand on n’est pas habitué, je vais vous expliquer, lui répond Sophie. Alors d’abord, la bonne nouvelle, c’est que le Fonds de solidarité pour le logement vous accorde un cadeau et un prêt pour rembourser votre dette, ce qui fait qu’elle ne se monte plus qu’à 7 000 €. A condition que vous continuiez à rembourser selon le plan et que vous acceptiez de passer dans un logement plus petit, donc moins cher. » Marie-Claude H. évoque ensuite son besoin d’acquérir un nouveau lave-linge. « Parce que la laverie, c’est pas pratique et puis, finalement, ça revient cher », justifie-t-elle. Sophie remarque qu’elle peut se permettre une telle dépense, compte tenu de l’état de ses économies et de la nécessité de cet achat. Elle peut même s’autoriser les deux rendez-vous mensuels requis par son suivi psychologique tout juste entamé, sans grever les 60e hebdomadaires dont elle dispose pour ses dépenses courantes. « Une fois tous les versements et les paiements effectués à partir de votre compte, il vous reste 88 € dans votre budget, donc ça passe », conclut Sophie Coat.

Défricher toutes les situations

La déléguée répète, réexplique, revient sur l’état du compte en banque de Marie-Claude H., qui semble avoir du mal à comprendre. Puis elle monte à l’étage effectuer, depuis son propre bureau, les virements nécessaires du compte de la personne protégée à celui de l’ATFPO, afin qu’un chèque correspondant au montant du lave-linge repéré par Marie-Claude puisse être rédigé. « Jusqu’à 300 €, tous nos paiements sont validés par notre binôme », souligne Sophie Coat. La responsabilité de chaque dossier, même s’il est suivi par une déléguée de manière privilégiée, est en effet partagée avec une collègue. « Outre d’éviter les erreurs, cela permet aussi, lorsque l’une est absente, que l’autre puisse traiter son courrier, recevoir les personnes en rendez­vous ou répondre à des demandes urgentes », développe Laure Nadoulek, éducatrice spécialisée de formation. Entre 300 et 1 500 €, les paiements doivent également être validés par Marie Barreira, la déléguée référente de l’équipe. Jusqu’à 4 500 €, ils sont visés par Mélanie Joly et, au-delà, par le directeur de l’association, seul à bénéficier de la procuration.

Mélanie Joly amorce toutes les nouvelles mesures pour lesquelles l’ATFPO Paris-Sud est désignée par le juge des tutelles. « Hormis une inadéquation géographique majeure ou un dossier qui concernerait une personne violente, pour l’accueil de laquelle notre association n’est pas préparée, l’ATFPO ne peut se dessaisir d’une situation », note la responsable de l’antenne, titulaire d’un master en droit du patrimoine. Mélanie suit ainsi en permanence une trentaine de personnes sous protection. Il s’agit de les rencontrer, de défricher toutes les situations, de faire l’inventaire des biens et des dettes et de mettre en place les premières mesures de redressement, si nécessaire. « Il n’y a des impayés que dans la moitié des cas environ », souligne-t-elle. Dans les trois mois qui suivent la désignation, un projet individuel d’accompagnement doit aussi être élaboré dans le cadre du dispositif légal intitulé « document individuel de protection » (DIP). « Ce qui n’a pas toujours grand sens quand on a affaire à des personnes qui ne peuvent pas s’exprimer ni se projeter, observe la responsable. Nous avons, par exemple, un certain nombre de personnes touchées par une démence sénile très avancée. » Lorsqu’il n’est pas possible, pour des raisons médicales (attestées par un certificat), de fixer avec la personne sous protection des objectifs (un départ vers une maison de retraite, l’apurement de dettes, le retour à domicile pour une personne hospitalisée, etc.), un DIP de carence est rédigé. Mais dans les cas où la personne sous protection s’oppose à la mesure judiciaire, commence alors un rapport conflictuel qu’il reviendra à la responsable d’antenne de tenter de désamorcer, jusqu’à parvenir à la définition des objectifs d’accompagnement.

Des interventions sous contrôle

Ce matin, Mélanie Joly travaille justement sur un nouveau dossier. Une pile de documents sur son bureau a déjà été triée après son passage dans l’appartement de Roger T., qui vient d’être placé sous tutelle. « Il s’agit d’un monsieur âgé qui ne peut pas parler. Il est hospitalisé et n’a pas réglé une seule de ses factures depuis un an, résume Mélanie. L’assistante de service social de l’hôpital m’avait transmis ses clés, et j’ai saisi le juge pour qu’il m’autorise à entrer dans l’appartement afin de récupérer les documents dont j’ai besoin pour faire l’inventaire des biens, récupérer son courrier et évaluer son endettement. » Un travail qui s’apparente à une véritable enquête, laquelle peut aller très loin dans l’intimité de la personne protégée. Il faut parfois s’entretenir avec les voisins pour mieux la connaître et évaluer l’existence de proches, fouiller un appartement dans un état parfois piteux, vérifier que tous les droits sociaux sont ouverts, etc. Pour l’instant, Mélanie a déjà découvert que Roger T., qui devrait ensuite intégrer une maison de retraite, possède un bungalow dans une propriété naturiste pour lequel il n’a pas payé sa cotisation depuis belle lurette. Malheureusement, d’après les recherches effectuées avec son assistante, elle a aussi appris que, bien que la cabane en question soit insalubre et non cessible, il faudra quand même payer pour la détruire.

Forcément, lorsqu’on pénètre à ce point l’intimité et le budget des personnes, la loi et l’association ont prévu quelques garde-fous. « Tous les deux mois, la responsable d’antenne rencontre chacune des déléguées et fait le point avec elle sur ses dossiers », explique Didier Prévot. En outre, tout est désormais informatisé et l’ensemble des déléguées a accès aux dossiers des personnes dont la protection a été confiée à l’ATFPO Paris-Sud. « Par ailleurs, un commissaire aux comptes réalise un audit une journée par an, poursuit le directeur. Il examine les dossiers, la qualité de leur tenue et si nos obligations sont respectées. » Enfin, un compte rendu est rédigé chaque année à l’intention du juge pour chaque majeur protégé.

En fin de journée, Johanna Fabry a pu joindre le médecin de Josette Verrechia, mais elle n’est qu’à demi rassurée : « J’ai appris que l’aide à domicile et l’infirmière libérale ont été remplacées, ce qui pourrait expliquer la détresse pour cette dame. Mais son médecin n’est pas inquiet, elle dit que cette attitude est récurrente, qu’elle veut juste qu’on s’occupe d’elle, alors que moi, je sens une réelle souffrance. Je crois qu’il va me falloir travailler sur moi-même, peut-être que je m’inquiète trop. » Il est vrai qu’à l’ATFPO Paris-Sud, l’équipe a déjà été confrontée à des situations difficiles : des décès découverts tardivement, des personnes laissées sans soins et en dépérissement parce qu’elles ne voulaient ou ne pouvaient plus ouvrir leur porte aux services d’aide à domicile, etc. Pourtant, les déléguées ne bénéficient actuellement d’aucune supervision collective. « Nous avons eu un psychologue, mais l’équipe n’avançait plus avec lui. Nous en sommes à la recherche d’un autre dispositif », rapporte Mélanie Joly. Pour elle, en tout cas, la fin de la journée prend une tournure plutôt positive : l’étude du dossier de Roger T. a permis de dénicher trois assurances vie de plus de 200 000 € chacune. « Dans ces conditions, nous n’aurons pas besoin de l’aide sociale et le projet va être plus facile à élaborer, c’est sûr », conclut-elle.

Notes

(1) Voir ASH n° 2628 du 16-10-09, p. 30.

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