Recevoir la newsletter

« Les établissements publics autonomes incarnent une spécificité française »

Article réservé aux abonnés

Fondé en 1982, le Groupe national des établissements et services publics sociaux et médico-sociaux (GEPSo), qui fédère 260 établissements publics autonomes, a fêté ses 30 années d’existence les 15 et 16 mai lors d’un séminaire à Paris. Retour sur cette association qui a accompagné l’émergence du secteur public social et médico-social, avec Jean Briens, son président.

Quand le GEPSo (1) est né, le secteur social et médico-social public devait être bien différent de ce qu’il est devenu…

C’était une époque encore naissante, marquée par de profondes restructurations qui se sont traduites par la décentralisation. Le secteur public du social et médico-social peinait à faire émerger une identité propre, après avoir été souvent intégré à des centres hospitaliers ou, dans une moindre mesure, à des collectivités locales départementales. N’oublions pas que les sections d’hospice qui accueillaient des personnes handicapées venaient tout juste de disparaître.

Le GEPSo a été créé en 1982 à partir du travail protégé : l’idée des fondateurs était de mettre en réseau les établissements concernés, qui incarnaient un domaine plutôt éloigné de la vision sanitaire de l’action médico-sociale qui prévalait alors. Mais, assez rapidement, une évolution s’est produite. Dans la foulée de la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales, qui consacrait la rupture entre le sanitaire et le social, de plus en plus de services sociaux et médico-sociaux rattachés à des hôpitaux ou à des collectivités ont été transformés en établissements publics autonomes. A mesure qu’émergeait un nouveau secteur public social et médico-social, de nombreux services devenus autonomes, tels que les instituts médico-éducatifs, les structures pour adultes handicapés, puis les foyers de l’enfance, ont rejoint le GEPSo. Tous percevaient la nécessité d’entrer dans une logique de réseau, non seulement sur leur territoire, mais également au plan national pour peser comme un interlocuteur.

Les établissements publics autonomes restent encore assez mal identifiés.

Il est vrai qu’ils incarnent une spécificité française. Un établissement public autonome est une institution installée par la délibération d’une collectivité territoriale. Beaucoup de personnes sont ainsi persuadées qu’un établissement public autonome départemental – créé par décision du conseil général – est financé par cette collectivité, ce qui est faux. Il obéit aux mêmes règles que n’importe quelle structure gestionnaire de dispositifs d’action sociale, c’est-à-dire qu’il est soumis à autorisation et reçoit des dotations de l’assurance maladie, de l’Etat ou du département. C’est sa gouvernance qui diffère, puisque le président de la collectivité de création préside le conseil d’administration et que trois élus y sont représentés. Le fait que les conseillers généraux se retrouvent dans les instances de gouvernance est d’ailleurs un point positif, dans la mesure où nos institutions travaillent sur des politiques territoriales.

Le gestionnaire d’un établissement public autonome est porteur des valeurs du service public. Cela implique la transparence dans la gestion des fonds publics, la nécessité d’adapter ses dispositifs aux besoins des personnes, en même temps que l’obligation de neutralité et de laïcité par rapport aux usagers.

Pourtant, vous tenez à vous démarquer des établissements administrés par les départements. Pourquoi ?

Il ne s’agit pas de nous démarquer, mais plutôt de mettre en évidence les atouts d’un établissement autonome. Doté de la personnalité morale, il est responsable juridiquement de toutes les décisions qu’il prend. Les services administrés par les départements sont imbriqués dans une ad­ministration territoriale aux compétences multiples, ce qui peut rendre plus difficile l’émergence d’une parole et d’une vision singulières. Dans le domaine de la protection de l’enfance en particulier, beaucoup de départements hésitent à rendre les foyers départementaux autonomes de peur de perdre la main (voir encadré, page 22). Si le contexte de tension budgétaire actuel ne favorise pas une démarche vers la per­sonnalisation de ces structures, je le regrette. Il en va en effet d’une conception ouverte de l’établissement public, qui ne se satisfait pas d’une activité unique, mais développe au contraire une palette d’actions dynamiques sur le territoire.

30 ans après sa formation, à quoi le secteur social public est-il confronté ?

L’élément le plus marquant a été le passage de la notion de service public à celle de service au public. Depuis la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, les politiques se centrent sur la question de la personne et de ses besoins, en rupture complète avec les paradigmes précédents où les institutions imposaient leurs règles de fonctionnement aux usagers. Dans cette logique, la loi « handicap » de 2005 pose comme un principe de base la définition du besoin des personnes et la mise en place d’une compensation individuelle. Nous sommes passés d’une action sociale centrée sur des dispositifs résidentiels et collectifs à une action sociale marquée par l’adaptation et la singularité avec, à la clé, une diversification des services.

Il reste que la prééminence de la personne de l’usager, sa prise en compte, aussi satisfaisante qu’elle soit, pose un certain nombre de questions. La mise en avant de l’individu a conduit à ce qu’on lui transfère progressivement la responsabilité de ce qui lui arrivait. Résultat : jamais autant de moyens financiers n’ont été investis dans l’action sociale pour compenser des situations in­dividuelles et, pourtant, jamais les institutions n’ont connu autant de publics en si grande difficulté.

A cela s’ajoute la séparation des décideurs et des modes de financement, qui place les services dans l’insécurité et freine leur adaptation. C’est particulièrement sensible dans la période de tension actuelle. L’absence d’un socle financier solide fait planer la crainte que le lendemain défasse ce qui a été construit la veille.

Le secteur public n’échappe pas non plus à l’injonction à la transparence adressée par les autorités de tarification. Derrière cette question, chacun sent bien qu’il s’agit plus d’un contrôle de gestion de l’action sociale que de la recherche de nouveaux modes d’intervention. Ce sont des éléments assez mal perçus par les professionnels qui interviennent auprès de po­pulations souvent peu valorisées. Tous conviennent de la nécessité de faire évoluer les modèles d’intervention du passé. Mais cela demande du temps et cela va dans le sens contraire de ce qu’on leur demande aujourd’hui.

Quelle est la situation des institutions publiques autonomes ?

La restructuration d’un nombre important d’équipements est nécessaire. Même si aujourd’hui les politiques publiques se tournent pour l’essentiel vers le domicile, de nombreux publics ont toujours besoin du « résidentiel ». Le problème est qu’avec la crise financière, le risque est grand de voir des restructurations immobilières reportées ou confiées au secteur privé. De même que des aides à la restructuration des hôpitaux ont existé dans le secteur sanitaire, il devient nécessaire de s’intéresser à celles du secteur public social et médico-social.

Le GEPSo recommande d’ailleurs à ses adhérents de dépasser la vision de leur propre structure afin d’entrer dans une logique territoriale. A l’heure de la raréfaction des moyens, les collectivités territoriales vont devoir faire des choix. Si les professionnels veulent donc que l’entité publique autonome soit clairement repérée et promue, ils doivent se présenter aux pouvoirs publics avec une capacité de développement commune. Le conseil vaut doublement pour les petites structures, qui courent un grand risque avec leurs possibilités d’investissement limitées, sans même parler des appels à projet auxquels elles ne pourront prétendre répondre faute de logistique. La solution passe par le regroupement des entités juridiques au sein d’un même projet. Il ne s’agit pas de fondre les activités, mais de mutualiser les investissements, la gestion, et parfois même les directions, pour répondre à des commandes publiques importantes. C’est en partie comme cela que l’hôpital a su se développer.

Quels sont les atouts du secteur dans la période qui s’ouvre ?

Le secteur public est la propriété de tout le monde, et c’est sa fierté. Nous devons donc faire de la place aux usagers et aux plus démunis. Les établissements publics sociaux et médico-sociaux présentent à ce titre un cadre juridique favorable : au-delà des conseils de la vie sociale ou des instances de participation, ils ont l’obligation de disposer d’administrateurs représentant les usagers. C’est un point très important : cette contrainte fait avancer.

Notre groupement est très présent depuis des années sur la question de la repré­sentation des usagers, qui constituait une grande carence du service public. Nous venons de nous doter d’un comité national consultatif des usagers afin de nourrir les décisions de notre conseil d’administration (voir encadré, page 20). De même, il est nécessaire de nouer des partenariats entre le secteur public et les associations d’usagers ; des discussions sont en cours avec des associations représentant des maladies ou handicaps rares ; nous envisageons de signer des accords de coopération avec plusieurs d’entre elles en vue de mettre en place des dispositifs de formation pour les professionnels pilotés par les militants associatifs, et pour concevoir des accueils spécialisés implantés dans des établissements publics. La transversalité des établissements publics sociaux et médico-sociaux peut nous permettre de développer une réponse plus globale aux questions soulevées par les personnes malades ou ayant un handicap rare.

Une autre des caractéristiques du secteur public réside dans sa grande liberté pour organiser des liens avec la recherche, même si ces deux mondes demeurent encore trop éloignés. La coopération avec les instituts de recherche peut permettre de construire des outils d’analyse des effets des pratiques, de porter une évaluation in­dépendante et de modéliser ce qui fonctionne, un peu comme au Canada, où les institutions sociales et médico-sociales sont liées avec des centres de recherche. Face à la nécessité de développer de nouveaux services, il existe de grands champs à ouvrir.

Est-ce à dire que le GEPSo compte être moteur dans la recherche sur le travail social ?

Nous envisageons de passer des accords avec l’Ecole des hautes études en santé pu­blique de Rennes ainsi qu’avec différents centres de recherche pour travailler sur la conduite du changement. Des directeurs d’institutions publiques vont se retrouver impliqués dans un programme conduit sur plusieurs années. Nous estimons que notre rôle le plus important est la production de réflexions. Depuis 1997, le groupement s’est doté d’un comité scientifique de l’éthique, des pratiques professionnelles et de l’évaluation, composé d’administrateurs et de personnes ès qualité : représentants de l’administration, universitaires, chercheurs et formateurs. Tous les deux ans, ce comité organise un séminaire de recherche sur les pratiques professionnelles et l’éthique, qui permet à des praticiens de venir se nourrir de débats extrêmement complexes. Les professionnels ont besoin de ces espaces pour prendre de la distance avec une action quotidienne souvent dominée par l’urgence et la réglementation.

A l’heure des restructurations hospitalières dans le secteur sanitaire et du tour de vis sur les services publics, comment voyez-vous l’avenir ?

J’aurais des craintes si des menaces de suppression d’établissements publics avaient été évoquées ici ou là. Ce n’est pas le cas. Cependant, les difficultés sont réelles. La première est liée à la transformation des logiques d’intervention. Après une focalisa­tion sur le « résidentiel », l’action sociale et médico-sociale a basculé dans une politique du tout-domicile, souvent perçue comme une désinstitutionnalisation. Or déjà se ­dessine la nécessité d’aménager des transitions pour les situations les plus complexes, qui nécessitent de constants allers et retours entre domicile et établissement. Ce sont sur ces personnes que devrait se concentrer notre énergie, tant elles nous posent des questions complexes à résoudre. Je re­grette que la séparation des modes de tarification entrave trop souvent l’action et constitue une prime à l’absence de prise de risque.

L’autre difficulté vient de l’idéologie environnante. La loi de 2007 sur la protection de l’enfance, qui a placé le conseil général comme acteur principal et installé la cellule de recueil des informations préoccupantes, en est un exemple. Alors qu’elle visait plutôt les alternatives au placement, on assiste au contraire à une multiplication des signalements, ce qui entraîne une augmentation constante des enfants ac­cueillis dans les établissements et services au titre de l’aide sociale à l’enfance. Parmi les explications possibles, l’idée que le secteur serait perméable au discours sécuritaire et que, loin de remplir une mission de prévention, le système mis en place ferait office de parapluie.

Nos inquiétudes pour l’avenir portent plutôt sur la volonté politique de continuer à promouvoir des dispositifs financés sur la solidarité nationale. Chaque fois qu’on parle de charge importante, chaque fois qu’on dénonce l’assistanat, c’est cette solidarité qui est remise en cause. Pour autant, l’existence d’un secteur public du social ne semble pas menacée. Nous sommes dans un pays où l’esprit de service public est fortement enraciné. Cet esprit est toujours soumis à des tensions, activées notamment par les crises économiques, mais la fierté pour les collectivités de continuer à faire vivre des dispositifs de solidarité existe toujours.

UN COMITÉ NATIONAL DES USAGERS

Lors de son séminaire d’anniversaire, le GEPSo a installé un comité national des usagers et a élu à sa présidence Jean-Pierre Benoit, déjà coordinateur du comité des usagers de Bourgogne et de Franche-Comté.

Cette initiative s’inscrit dans la foulée du comité inter-régional des usagers (CIRU), expérimenté en 2007 afin de favoriser le débat entre usagers et professionnels. Couvrant le Grand Est (Alsace, Bourgogne, Champagne-Ardenne, Franche-Comté, Lorraine), celui-ci visait un triple objectif : mener des réflexions sur les droits des usagers et les référentiels de bonnes pratiques, nourrir les positions du GEPSo et représenter le groupement dans les différentes instances consultatives du social et médico-social. Pour Jean-Pierre Benoit, la création de ce comité représentait une inconnue. « Les représentants des usagers et les professionnels n’avaient pas l’habitude de se parler à ce niveau. Si bien que les premières rencontres ont été des rounds d’observation assez tendus », se souvient-il. Il n’empêche que, au cours de ses quatre années d’existence, l’affluence aux trois réunions annuelles – qui rassemblent les usagers, leurs familles, leurs représentants légaux et les professionnels des établissements – n’a jamais faibli, avec une soixantaine de participants (dont 60 % de représentants d’usagers et 40 % de professionnels). « On peut dire qu’un véritable état d’esprit partenarial s’est installé, au point qu’il est parfois difficile de faire la différence entre les professionnels et les représentants des usagers », témoigne Jean-Pierre Benoit. Des sujets sensibles comme la sexualité des adultes handicapés en institution ont pu être abordés et donner lieu à des propositions relayées dans le réseau du GEPSo.

En septembre 2011, afin de favoriser la proximité avec les participants, le CIRU Grand Est a été scindé en deux comités : l’un couvrant la Bourgogne et la Franche-Comté, l’autre l’Alsace, la Champagne-Ardenne et la Lorraine. Si l’objectif du GEPSo est de favoriser le développement de ces comités dans les régions, il entend aussi construire une représentation nationale des usagers. C’est dans cet esprit que, le 14 février dernier, les statuts du GEPSo étaient modifiés pour permettre la création d’un comité national des usagers, qui réunira les coordinateurs des comités intérrégionaux, des administrateurs du GEPSo et des personnes qualifiées (membres du comité scientifique du GEPSo, universitaires…).

PROTECTION DE L’ENFANCE : LES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS AUTONOMES DIFFICILES À CERNER

Une enquête sur les structures publiques de protection de l’enfance réalisée par le GEPSo en 2010 (2) met en évidence la difficulté de repérer les établissements publics autonomes. Ce champ couvre les foyers départementaux de l’enfance, caractérisés par leur mission d’accueil d’urgence, et des maisons d’enfants à caractère social (MECS). Reste que les foyers de l’enfance ont des tailles, des appellations, voire des missions parfois si différentes que leur statut d’établissement public départemental ne suffit pas à les distinguer. Quant aux rares MECS publiques, elles ont été, pour la plupart, reprises au secteur associatif de par la volonté des décideurs locaux de renforcer le service public.

Résultat : un parc aux contours incertains. En définissant a minima les établissements par leur mission d’accueil d’urgence et leur caractère public, le GEPSo recense une centaine de foyers départementaux de l’enfance et une vingtaine de MECS publiques.

Leur configuration apparaît très diverse. La quasi-totalité de ces institutions ont amorcé une diversification de leurs activités, si bien qu’elles se trouvent réparties sur près de 520 sites différents. De même, leur taille est très variable – le plus petit établissement compte 14 salariés quand le plus gros en emploie près de 1 500 ! – et sans corrélation avec celle du territoire.

Autre surprise : alors que la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales incitait à transformer les services sociaux et médico-sociaux rattachés aux hopitaux et aux conseils généraux en établissements publics autonomes, seuls 32 foyers de l’enfance sur les 100 repérés sont dotés de la personnalité morale. Les autres sont des services publics départementaux. Ni la couleur politique du département, ni la taille des institutions, pas plus que le choix des directeurs, dont 76 % se disent favorables à l’autonomie de leurs établissements, n’expliquent ce résultat. A l’inverse, les MECS publiques sont aux deux tiers autonomes, sans que là encore une raison majeure puisse être avancée. Tout au plus, avant de rejoindre le giron du public, l’origine associative de ces établissements pourrait avoir favorisé le maintien de leur indépendance juridique vis-à-vis de l’administration départementale, se hasardent les auteurs.

Enfin, le secteur public de la protection de l’enfance apparaît d’un poids modeste. Sur un total de 50 000 places d’internat au titre de l’aide sociale à l’enfance, moins de 10 000 lui sont attribuées et il ne compte que 15 000 agents.

Notes

(1) GEPSo : 92, avenue de Saint-Mandé – 75012 Paris – Tél. 01 44 68 84 60 – www.gepso.com.

(2) « Panorama des foyers de l’enfance et des établissements publics de protection de l’enfance » – GEPSo, avril 2010 – 4 € – A commander à info@gepso.com.

Décryptage

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur