En 2007, dans votre ouvrage Sortir du chômage, vous espériez un souffle nouveau sur la question de l’emploi. Cinq ans et une crise économique plus tard, quel est le bilan ?
Comme à chaque changement de gouvernement, ou pratiquement, on a pris le contre-pied de ce qui s’était fait avant, avec la volonté de montrer que l’on mettait en place quelque chose de nouveau. Malheureusement, ce n’est pas un domaine où l’on peut tout révolutionner et on n’a pas tenu compte des leçons de l’expérience. D’autant que les politiques de l’emploi sont loin d’être simples car elles doivent s’articuler avec une politique économique favorisant la croissance, une politique industrielle innovante, un système de protection sociale efficace… Tout est lié. L’autre difficulté est que le calendrier du politique est très court. Les responsables veulent des résultats très vite. Or, si certaines mesures ont des effets relativement rapides, toute politique visant à créer de la croissance pour développer des emplois prend du temps. Nicolas Sarkozy, encore plus que ses prédécesseurs, a voulu montrer qu’il agissait, mais sans inscrire son action dans la durée. Il faut toutefois reconnaître que la crise a remis en question un certain nombre de politiques et n’a pas facilité l’action du gouvernement.
Faut-il s’inspirer de ce qui se pratique dans d’autres pays ?
Il faut essayer de comprendre pourquoi d’autres pays ont des résultats, bons ou mauvais, et comment, sous certaines conditions, transposer ce qui marche. Par exemple, le chômage partiel, très développé en Allemagne, pourrait être davantage mis en œuvre en France. Grâce à lui, des entreprises connaissant des difficultés passagères peuvent maintenir des salariés dans l’emploi en réduisant la durée du travail, avec une compensation de l’Etat. Ce qui permet, en outre, de faire l’économie des coûts de licenciement puis de recrutement lorsque l’activité redémarre. Mais on ne peut pas transposer directement un modèle d’un pays à l’autre. Il faut l’adapter, tenir compte des traditions et de l’histoire locales. Ainsi, le système allemand des « mini-jobs », des emplois à temps partiel faiblement rémunérés, serait sans doute difficile à adapter chez nous.
L’Allemagne apparaît pourtant comme le bon élève de l’Europe, notamment en matière de coût du travail…
Comparer les situations de la France et de l’Allemagne n’est pas si simple. Le coût moyen du travail est effectivement plus élevé chez nous qu’outre-Rhin, alors qu’il y a dix ans, c’était l’inverse. Mais ce n’est qu’une moyenne. Ainsi, le coût du travail dans l’industrie automobile est à peu près équivalent dans les deux pays. Ce qui fait baisser le coût du travail en Allemagne, ce sont les emplois à temps partiel, peu qualifiés et faiblement rémunérés. Mais si tous les pays européens s’engageaient dans une telle politique de pression sur le coût du travail, ce serait une catastrophe. Le problème de l’Europe est de ne pas avoir de politique coopérative globale en ce qui concerne l’emploi, la lutte contre le chômage et la croissance. Et croire que l’on va protéger l’emploi et la croissance en France, à long terme, par des mesures protectionnistes est à mon sens une erreur. La meilleure politique consiste à investir dans le développement de produits de bonne qualité et à fort contenu en intelligence.
Vous évoquiez déjà en 2007 la nécessité d’investir dans la recherche et les nouvelles technologies…
On dit qu’il faut réduire le déficit budgétaire et, de fait, il est important de poursuivre cet objectif. Mais il ne faut pas oublier d’investir pour relancer la croissance. Autrement, on ne parviendra jamais à diminuer les déficits et le chômage restera à un niveau élevé. Une baisse du chômage d’ici à quinze ou vingt ans implique dès maintenant des investissements importants dans la formation supérieure et la recherche. Or ce qui a été fait reste insuffisant. Certes, le crédit impôt recherche est une bonne idée, mais il faut le corriger car il y a eu des dérives. C’est d’ailleurs l’un des aspects du problème. L’évaluation des politiques publiques demande du temps et suppose l’existence d’un dispositif d’observation permanente. Deux choses que les politiques n’aiment pas beaucoup.
Lors de la campagne présidentielle, deux grandes mesures ont été mises en avant : les emplois aidés et les exonérations de charge. Vous semblent-elles de nature à juguler le chômage ?
Il faut distinguer les mesures qui ont un effet immédiat de celles qui jouent à moyen, voire à long terme. Les emplois aidés sont l’une des moins mauvaises solutions pour éviter que des jeunes ne s’installent dans le chômage de longue durée. Sous réserve d’être vigilant sur le volet formation du dispositif, car c’est sur ce point qu’ont péché les politiques de ce type menées auparavant. En ce qui concerne le contrat de génération proposé par François Hollande, je pense que c’est également une bonne idée. Les baby-boomers vont partir à la retraite et les entreprises vont bien devoir recruter des jeunes. Mais, là aussi, cela nécessitera un suivi au plus près. Pour les exonérations de charges, portées par Nicolas Sarkozy, il me semble qu’il n’y a plus grand-chose à gagner. Néanmoins, pour les employeurs, le coût du travail des personnes non qualifiées reste trop élevé alors que, pour les salariés, le niveau du SMIC est peu attrayant. Pour favoriser la compétitivité des entreprises, on pourrait donc imaginer un salaire minimal pas trop élevé associé à un complément apporté par l’Etat, par exemple sous forme d’une prime pour l’emploi comme celle qui existait avant fusion au sein du RSA.
Les deux principaux candidats ont dit vouloir miser sur une réforme de la formation professionnelle. Quel en serait l’intérêt ?
Avant de réformer la formation professionnelle, il faut s’attaquer à une refonte de la formation initiale. Entre 120 000 et 150 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans qualification, dégoûtés par le système scolaire. Et ils ne disposent pas des bases minimales pour s’engager dans une formation professionnelle complémentaire de bon niveau. L’urgence est donc de s’interroger sur les raisons de cet échec scolaire massif et sur les façons d’y remédier. Autrement, on pourra toujours réformer la formation professionnelle, cela ne changera pas grand-chose pour ces jeunes. Quant à la formation professionnelle elle-même, elle devrait sans doute cibler davantage les bas niveaux de qualification, mais pas seulement car la formation continue est une nécessité absolue pour tout le monde.
Les services à la personne apparaissaient en 2007 comme un vivier d’emplois. Est-ce toujours le cas ?
Les services à la personne sont nécessaires. La population est vieillissante et il y a aussi des besoins dans le domaine de la petite enfance. Mais en voulant les développer, on a mélangé plusieurs choses qui ne relevaient pas des mêmes dispositifs. Financer des cours particuliers ou des heures de jardinage par du crédit d’impôt, c’est donner aux plus riches. En revanche, en matière de soins à domicile, en particulier pour les personnes âgées, il est possible de développer de l’activité. Pour cela, le système associatif me paraît tout à fait adapté mais on a été jusque-là trop peu exigeants sur la qualité des prestations. Il faut améliorer le niveau de formation – même s’il faut être réaliste, car il n’y aura sans doute jamais, dans ces métiers, d’importantes possibilités de progression salariale et professionnelle.
Pour accompagner les restructurations, faut-il relancer l’idée d’une sécurisation des parcours professionnels ?
Cela me semble important. Beaucoup d’emplois, dans leur forme actuelle, ne sont pas durables. Je pense à Kodak, qui n’a pas vu venir les conséquences du passage à la photographie numérique. Les entreprises doivent évoluer, les pertes d’emplois devant normalement s’accompagner de créations d’emplois grâce au lancement de nouveaux produits. Mais les salariés des secteurs en mutation ne sont pas responsables de cette situation. Il faut donc les accompagner. Le principe de la sécurisation des parcours professionnels consiste à offrir aux salariés qui perdent leur emploi, et ne vont pas en retrouver rapidement, un revenu de remplacement leur permettant de vivre décemment. Et pendant cette période, ils doivent avoir la possibilité de suivre des formations de bon niveau afin de retrouver un emploi à terme.
Sociologue, Pierre Boisard est spécialiste des questions d’emploi. Membre du laboratoire de sciences sociales IDHE à l’Ecole normale supérieure Cachan, il enseigne dans un master de ressources humaines à l’université Paris Ouest-Nanterre-La Défense. Il a notamment publié Le nouvel âge du travail (Ed. Hachette, 2009) et Sortir du chômage (Ed. Mango, 2007).