En ce vendredi après-midi de mars, les personnes suivies par le service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah) de Vitry-sur-Seine (1), dans le Val-de-Marne, arrivent peu à peu, lors d’une période d’accueil libre qui durera jusqu’à 18 heures. L’un prépare un café, tandis qu’un autre fait chauffer de l’eau pour le thé. Certains s’installent à l’extérieur autour d’une table au soleil. Une éducatrice aide l’une des personnes accueillies à s’orienter sur Internet…
Créée en 2007 par l’association Les Amis de l’atelier (2), cette structure d’accueil de jour accompagne, sept jours sur sept et 365 jours par an, 30 personnes atteintes de handicap psychique. Parmi elles, environ les deux tiers sont des hommes, la moyenne d’âge dépassant les 40 ans. Elles sont orientées par leur psychiatre, leur famille ou encore les organismes de tutelle. Leur prise en charge par le Samsah est accordée pour un ou deux ans par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et peut ensuite être reconduite pour des durées de deux à trois ans renouvelables. Afin de pouvoir bénéficier d’un suivi, deux conditions sont posées : être stabilisé sur le plan psychiatrique et avoir un logement. Ainsi, les personnes peuvent être hébergées au sein de leur famille, en résidence d’accueil – comme celle des Cèdres, toute proche –, en logement social ou encore à l’hôtel. « Pour ceux que leur famille ne peut ou ne veut plus prendre en charge, compte tenu des problèmes d’hébergement, la seule solution est malheureusement souvent l’hôtel, chez des marchands de sommeil », regrette Louis-Paul Thomas, le directeur. Une situation particulièrement anxiogène pour des malades psychiques. « Dans ces cas-là, poursuit-il, le Samsah offre un bol d’air salutaire. »
Financé par l’agence régionale de santé et par le conseil général du Val-de-Marne, le Samsah a pour mission de fournir aux personnes reçues un appui au quotidien par le biais de multiples ateliers, mais aussi de visites à domicile et de l’accompagnement à des rendez-vous extérieurs. Composée, à plein temps, de deux éducatrices spécialisées, de deux infirmières, de deux aides-soignantes, de deux aides médico-psychologiques (AMP) et, à temps partiel, d’une psychologue, l’équipe pluridisciplinaire aide ces personnes à retrouver une certaine vie sociale. « Avant de venir au Samsah, je passais tout mon temps seul, enfermé dans ma chambre, chez mon père, à écouter de la musique », se souvient Nouari Kechache, le visage à moitié caché derrière sa main. Des ateliers cuisine au jardinage, il est devenu depuis l’un des piliers du service, n’hésitant pas à donner des coups de main pour le nettoyage des voitures ou l’installation de la cuisine. Agé d’une petite trentaine d’années, il a retrouvé une certaine autonomie, disposant d’un logement dans l’une des résidences gérées par Les Amis de l’atelier. Signe de cette évolution : après avoir participé à des séances de piscine, il s’est inscrit, seul, à des leçons de natation.
Entre les ateliers, les spectacles et les repas préparés et pris en commun, le programme des activités proposées est riche. Le Samsah est largement ouvert sur l’extérieur et travaille avec plusieurs associations. Le jardinage est, par exemple, pratiqué en partenariat avec Planète Lilas, une association locale qui anime un vaste jardin maraîcher solidaire. Les structures culturelles de la municipalité sont aussi mises à contribution. Entre autres, le théâtre de Vitry-sur-Seine vient une fois par an présenter son programme aux usagers et à l’équipe du Samsah. Et une convention unit par ailleurs le service à Cultures du cœur, une association nationale proposant aux plus démunis des actions d’insertion par la culture, notamment par l’accès à des spectacles.
« Nous ne sommes pas un centre de loisirs, se défend toutefois Louis-Paul Thomas. Toutes ces activités possèdent un caractère éducatif, elles correspondent à des besoins identifiés dans le public que nous recevons. » Ainsi, les ateliers cuisine du mercredi présentent l’intérêt non seulement de partager un moment de convivialité, mais aussi, en allant faire les courses avec les usagers, de leur apprendre à mieux gérer leur budget et à acquérir des notions culinaires de base. Cette volonté d’autonomisation des personnes accueillies se traduit également par la participation financière qui leur est demandée pour ces différentes activités. Le plus souvent symbolique, elle s’ajuste à des ressources généralement très modestes. Parmi les 30 personnes accueillies, seules trois travaillent en établissement et service d’aide par le travail (ESAT), les autres ayant pour unique ressource l’allocation aux adultes handicapés (AAH).
Parallèlement, l’équipe du Samsah accompagne les usagers dans leur parcours de soins psychiatriques. A la création du service, les professionnels de l’intervention sociale ont dû s’adapter à l’univers de la maladie psychique. « Ils étaient parfois décontenancés par certains comportements. Nous avons donc eu beaucoup d’échanges. A la fois des informations théoriques sur les pathologies mais aussi des discussions autour de cas pratiques, afin de permettre de remettre ces comportements dans le contexte de la maladie », raconte Renaud Debeaurepaire, médecin psychiatre responsable du secteur de Vitry-sur-Seine, qui intervient au sein du Samsah. A cet égard, le rôle de Karine Denis, la psychologue, a été très important : « Il s’agissait d’une création ex nihilo et, au début, j’ai beaucoup joué un rôle de soutien auprès de l’équipe, précise-t-elle. Maintenant, je travaille davantage sur le fonctionnement et sur le lien entre l’équipe et la direction. » Aujourd’hui, une collaboration étroite unit le service au centre médico-psychologique (CMP) voisin ainsi qu’à l’hôpital psychiatrique Paul-Guiraud de Villejuif, via des conventions. Si nécessaire, les infirmières du Samsah peuvent aider des personnes à gérer leur prise de médicaments, en réalisant par exemple leur pilulier, même si le CMP assure normalement l’administration des médicaments. « Le Samsah aide les patients à suivre plus correctement leur traitement », précise le psychiatre. L’équipe peut aussi alerter le CMP et l’hôpital psychiatrique si le comportement d’une personne laisse présager une crise. Une réhospitalisation temporaire peut alors avoir lieu. « Au fil des années, nous sommes devenus des interlocuteurs reconnus pour l’hôpital ou le CMP, ils nous entendent et réagissent », se félicite le directeur du service.
A la fois démunis et fragiles psychiquement, les usagers du Samsah réclament du temps et de la patience. « Nous avons affaire à un public qui s’appuie sur des rituels pour vivre, souligne Karine Denis. L’arrivée dans le service vient perturber ce rythme et, lors du premier entretien, la personne est souvent paniquée. Elle se demande ce que vous lui voulez et laisse très peu de marge de manœuvre. » D’où la nécessité de prendre du temps pour mieux connaître les nouveaux venus. « Ce n’est parfois qu’au bout de un an que l’on apprend, par exemple, que quelqu’un fait de la musique quand il va bien. » Pour les travailleurs sociaux de l’équipe, s’adapter à ce rythme souvent très lent des personnes handicapées psychiques bouscule certaines habitudes. « Il faut admettre qu’une personne refuse de nous ouvrir sa porte, explique Joëlle Zeltser, chef de service. Parfois, plus de un an se passe avant qu’elle ne nous laisse entrer chez elle et qu’une visite à domicile soit possible. » Et en résidence sociale, pas question de visiter la chambre d’un occupant sans son autorisation.
Les questions de santé figurent également au cœur de la prise en charge globale mise en place par le Samsah. Faute d’un suivi médical régulier avant l’arrivée dans le service, recueillir les données qui permettront de reconstituer les parcours médicaux se révèle une étape indispensable. D’autant que les pathologies psychiques peuvent avoir des conséquences importantes sur le plan somatique. Ainsi, la prise de neuroleptiques fragilise souvent les dents, et les comportements compulsifs entraînent parfois une surcharge pondérale. Les deux infirmières, les deux aides-soignantes ainsi que le médecin généraliste présent cinq heures par semaine interviennent auprès de ce public pour lequel un suivi sanitaire régulier apparaît très difficile. « Nous essayons déjà de leur faire prendre conscience qu’ils ont un corps, souligne Karine Hadid, infirmière au Samsah depuis janvier 2008. Ce qui est loin d’être simple. Certaines personnes ont connu des périodes d’errance ou présentent des addictions à l’alcool. Et d’une façon générale, tout ce qui touche au domaine sanitaire leur évoque des souffrances, notamment celles qui sont liées à des hospitalisations. » Le suivi gynécologique des femmes se révèle particulièrement délicat. « Il s’inscrit dans une sexualité très pauvre et, pour la plupart, leur rappelle qu’elles n’ont pas eu d’enfants », observe l’infirmière. Pour mettre en place un tel suivi, il est primordial d’établir une relation de confiance avec ce public très méfiant envers les « blouses blanches ». Le personnel médical et paramédical proscrit d’ailleurs les uniformes, générateurs d’angoisse. Et, là aussi, mieux vaut ne pas être pressé. « Cela peut prendre des semaines, des mois, voire des années pour que quelqu’un aille chez le dentiste », indique Marion Calvès, l’autre infirmière du service. Il faut donc se saisir des moments où les personnes semblent décidées à entreprendre une démarche de soins.
Selon André Soares, le médecin généraliste mis à la disposition du service par une convention liant l’association à la municipalité, il n’est pas question cependant de « créer une filière de soins spécifique », même si les textes encadrant la création des Samsah prévoient la présence d’un médecin coordonnateur. « Il s’agit plutôt de ramener ces personnes vers le droit commun », déclare-t-il. Ce qui passe par une orientation vers les structures sanitaires locales, notamment le centre municipal de santé, où il exerce également. « Certaines personnes accueillies qui n’ont pas de médecin traitant me choisissent ou optent pour l’un de mes collègues du CMS », précise-t-il. Pour celles qui sont déjà suivies par un médecin traitant, André Soares prend contact avec celui-ci pour lui indiquer que son patient est pris en charge par le Samsah et qu’il peut y trouver un relais. Cette médiation médicale est en tout cas indispensable pour des personnes ayant souvent renoncé à se soigner en raison de leurs troubles psychiatriques ou pour des raisons matérielles. « Nous sommes parfois sollicités afin de trouver un spécialiste qui accepte la CMU, relève André Soares, et nous faisons en sorte d’accélérer l’obtention de certains rendez-vous. »
Au Samsah, dans les récits des uns et des autres, il n’est souvent question que d’« éducs », ce terme pouvant désigner aussi bien les éducatrices spécialisées et les monitrices-éducatrices que les aides-soignantes et les AMP, voire les infirmières. Cette particularité a décontenancé Marion Calvès à son arrivée au Samsah, en décembre 2011. « Auparavant, je travaillais dans une clinique de réadaptation, et j’ai d’abord eu l’impression que tout le monde faisait la même chose. Nous effectuons les visites à domicile, participons aux activités. » Autant de tâches qui s’éloignent des attributions classiques d’une infirmière. « Il faut du temps pour s’apercevoir que chacun a son propre regard », insiste-t-elle. Car, à Vitry, les approches se complètent mais ne se confondent pas. « Ici, il n’existe pas de séparation hermétique entre le sanitaire, le social et l’éducatif », souligne André Soares. Les ateliers peuvent ainsi constituer un levier intéressant dans l’objectif de reconquête du corps, comme l’illustrent les ateliers esthétiques mis en place ces dernières années. A l’origine plutôt destinés aux femmes, ils sont désormais également investis par les hommes. Aux soins du visage et au maquillage se sont ajoutés les rasages, les coupes d’ongles, voire les coupes de cheveux. « Tout en étant très prudente, l’équipe a su générer un climat autour du bien-être du corps, et cela a porté ses fruits », note Karine Denis. Sachant que le respect de l’intimité est particulièrement important dans ces moments où les personnes accueillies s’exposent physiquement. Ainsi, personne ne peut pénétrer dans la salle où se déroule un atelier esthétique sans frapper au préalable.
Cette collaboration entre les éducatrices, les aides-soignantes et les AMP permet d’aborder les questions d’hygiène du corps, des vêtements et des logements. Pour des personnes atteintes de pathologies psychiques graves, la saleté est en effet souvent perçue comme une sorte de protection. « Lorsque nous nous rendons en visite à domicile, nous n’allons pas décrasser chez eux », précise Sylvie André, monitrice-éducatrice. En effet, toute intervention extérieure peut être ressentie comme une agression. Le temps est alors un élément clé pour lever les réticences. Ces visites à domicile s’effectuent toujours à deux. « Nous essayons autant que possible de favoriser le double regard médico-social », insiste le directeur de la structure. Chaque professionnel apportant la spécificité de son approche professionnelle. L’aide-soignante n’hésitera pas à ouvrir le réfrigérateur pour faire le point avec la personne sur l’équilibre de son alimentation, tandis que l’aide médico-psychologique sera, elle, plus attentive à la sécurité de l’appartement (telles les prises électriques). Un double regard qui se retrouve lors des permanences durant les temps d’accueil libre ou les dimanches.
Sortir de l’isolement, se réapproprier son corps pour pouvoir se soigner, la prise en charge offerte par le Samsah est globale. Elle inclut aussi l’aide aux formalités administratives. Pour des personnes handicapées psychiques, les lieux publics – et donc les administrations – peuvent être très anxiogènes. L’équipe du Samsah propose donc des accompagnements. « Il n’existe pas un suivi type, mais un accompagnement sur mesure pour chaque personne », détaille Louis-Paul Thomas. Il s’agit notamment de protéger un public particulièrement vulnérable. « Les personnes qui présentent des psychoses peuvent être facilement utilisées. Il est facile de leur proposer des drogues, de les entraîner dans des comportements délictueux ou de leur soutirer de l’argent », précise Renaud Debeaurepaire. Une protection saluée par la municipalité. « Cela évite que l’appartement de ces personnes soit squatté parce qu’elles n’ont pas la force de refuser », note Dominique Etave, élue chargée du handicap à la mairie de Vitry-sur-Seine. Pour la responsable municipale, ce suivi « de A à Z » rassure aussi les bailleurs sociaux. « Ils sont souvent réticents à loger des personnes souffrant de handicaps psychiques. Le suivi par le Samsah lève cette réticence. »
Si, cinq ans après sa création, les structures psychiatriques et les pouvoirs publics reconnaissent l’action du Samsah, le véritable hommage vient des usagers. Ce sont eux qui réclament, parfois, le bénéfice d’un suivi par le service. « Quand certaines des personnes que nous accompagnons sont réhospitalisées, nous continuons le suivi à l’hôpital. Comme les malades se parlent, notre équipe est identifiée. Lors de visites à l’hôpital, des patients nous demandent d’être pris en charge », constate Louis-Paul Thomas. Karim Ben Slimane, 23 ans, est arrivé de cette façon au Samsah, après cinq années d’hospitalisation. « S’il n’y avait pas eu le Samsah, je n’aurais pas pu sortir de l’hôpital psychiatrique. » Depuis un mois, il vit dans une chambre d’hôtel. Suivi en hôpital de jour, il fréquente les temps d’accueil du Samsah. « J’ai enfin une sensation de liberté. »
(1) Samsah de Vitry-sur-Seine : 18, rue Félix-Faure – 94400 Vitry-sur-Seine – Tél. 01 43 91 11 27 – samsah.
(2) Fondation des amis de l’atelier : 17, rue de l’Egalité – 92290 Châtenay-Malabry – Tél. 01 46 29 59 00.