Travail de rue : une grande proximité

Le travail de rue auprès d’enfants est le parent pauvre des formations initiales de la filière éducative. Tel est le constat de l’association La Voix de l’enfant qui a réalisé une enquête sur ce sujet dans le cadre du programme européen Leonardo 2009-2011 (1). Celle-ci repose sur un petit échantillon de professionnels : 100 intervenants issus de la prévention spécialisée et des associations d’aide aux mineurs étrangers isolés ont été interrogés, dont sept sur dix sont titulaires du diplôme d’Etat d’éducateur spécialisé, les autres étant essentiellement des moniteurs-éducateurs et des animateurs. Plus de la moitié de ces professionnels (55 %) n’a pas reçu de formation sur les méthodes éducatives et de prise en charge à mettre en place pour venir en aide aux enfants lors d’interventions de rue. Quant à ceux qui ont bénéficié d’un tel enseignement, ils ont rarement disposé d’un quota d’heures suffisant pour appréhender correctement cette problématique, font observer les enquêteurs. Aussi préconisent-ils qu’un module pluridisciplinaire conséquent soit obligatoirement inscrit dans le programme des formations initiales du secteur éducatif.

Le travail de rue a notamment ceci de particulier qu’il implique de multiples proximités avec les enfants, explique Laurent Ott, formateur et chercheur, responsable de l’association Intermèdes Robinson. Il détaille plusieurs de ces proximités dans son ouvrage Pédagogie sociale. Une pédagogie pour tous les éducateurs (2). La première proximité est, bien sûr, géographique : c’est celle qui permet la rencontre. Il ne s’agit pas d’une rencontre fortuite, car cette présence éducative proche est une présence régulière, affirmée, dite et explicite. La proximité politique, quant à elle, « peut être plus compliquée à faire comprendre ou faire passer », note Laurent Ott. Il s’agit non de connivence, mais d’un « engagement net et clair pour les personnes vers qui nous allons ». S’agissant de la proximité culturelle entre éducateurs et éduqués, elle est présentée par le chercheur comme une nécessité. « Rien de ce qui intéresse l’enfant ne devrait laisser indifférent un éducateur, ce qui revient d’autant plus à bannir toute attitude de moquerie ou de suffisance de sa part. » Se plaçant résolument aux côtés de ceux qu’il accompagne, l’éducateur a, en outre, un important rôle de passeur à jouer sur le plan culturel, qui consiste à la fois à enrichir l’environnement des enfants et à démystifier la culture savante et l’ensemble des discours « qui placent les enfants et les familles pauvres dans une position culturellement dominée ». Enfin, et elle est évidemment essentielle, la proximité relationnelle des éducateurs de rue avec les usagers est sans doute facilitée par le fait qu’ils n’ont ni bureau ni institution pour faire obstacle à l’échange. Disponible pour les adultes comme pour les plus jeunes, « le pédagogue social est avant tout celui avec qui on peut parler en toute simplicité », à l’instar d’un « grand camarade », selon la formule de Freinet pour qualifier les éducateurs. Tout l’art de ces derniers tient probablement à leur capacité à se laisser « toucher » – au sens propre et au sens figuré de ce terme, précise Laurent Ott. « La professionnalité de l’éducateur ne réside en rien dans l’illusoire recherche de la mise à l’écart de ses propres émotions et de sa propre affectivité ; elle réside, au contraire, dans la capacité de ce dernier à faire de ces deux domaines un véritable outil de travail, à la fois honnête et rigoureux. »