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Vigie territoriale

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Salariée par la municipalité de Nantes en tant que « chargée de quartier », Virginie Danneyrolle est un trait d’union entre la ville et le quartier Malakoff. Sa tâche consiste à décliner les politiques publiques au niveau local, en étant à l’écoute des habitants et en veillant à leur qualité de vie. Plusieurs métiers en un, qu’elle peine à faire tenir dans une seule journée. Récit.

Le quartier Malakoff, à Nantes, n’est pas encore tout à fait éveillé. Déjà, des grues soulèvent des charges, des coups de marteaux résonnent, des bétonnières ronronnent bruyamment. Cité d’habitat social construite dans les années 1960 et enclavée entre voies de chemin de fer et Loire, Malakoff est en chantier depuis six ans : 1 200 logements sont en réhabilitation et 1 500 autres en construction. C’est ici, parmi les 3000 habitants qui vivent ce grand bouleversement, que Virginie Danneyrolle dirige une équipe de six salariés (1). « Je suis chargée de quartier à Malakoff et à Saint-Donatien depuis 2009, explique-t-elle. Nantes en compte dix pour ses onzegrands quartiers. Créés en 1995, ces postes sont en majorité occupés par des membres des anciennes équipes de DSU [développement social urbain] des quartiers prioritaires. » Ils sont nés d’une volonté de la ville de territorialiser son action, pour placer la participation des habitants au cœur de la politique de la ville.

Mettre les habitants en mouvement

A 9h15, dans la cuisine qui jouxte le bureau de l’équipe de quartier, Virginie Danneyrolle fait le point, comme toutes les semaines, avec chacun des membres : les deux agents de développement social et urbain qui suivent les projets portés par les habitants et les associations ; la médiatrice du grand ­projet de ville (GPV), chargée de la communication et de la concertation sur la rénovation urbaine à Malakoff ; le correspondant de vie quotidienne, qui se consacre au cadre de vie et à la gestion des déchets ; le correspondant du journal de quartier réalisé avec les habitants et l’assistante.

Où en sont les actions menées dans le quartier, et comment l’équipe accompagne-t-elle les habitants ? « Mon premier axe de travail est d’animer un projet de quartier en lien avec les politiques publiques de la ville et de Nantes Métropole, décrit Virginie Danneyrolle. Ces politiques sont thématiques : culture, sécurité publique, environnement, action sociale, sport. Ma mission est de les faire vivre sur un territoire. » Ce projet doit aussi s’inscrire dans un développement social et urbain. « C’est le fil rouge du travail du chargé de quartier : savoir organiser et mettre les habitants en mouvement pour que leurs projets améliorent leur vie quotidienne et pour favoriser l’égalité des chances dans la ville », précise la jeune femme de 35 ans qui, après des études de géographie, a travaillé en Côte d’Ivoire et au Canada, puis comme chef de projet dans une agglomération du Pas-de-Calais et à Cholet (Maine-et-Loire).

Il est 11heures. « Qu’avez-vous pensé de la dernière réunion du groupe parentalité ? », demande Virginie Danneyrolle à Olivier Grimault et à Emmanuelle Guilbaudeau, éducateurs spécialisés en prévention spécialisée à Malakoff, qu’elle rencontre toutes les six semaines. « Il faut aussi que l’on réfléchisse à la suite de nos actions autour de la ­prévention routière », rebondissent ces derniers. Pour la chargée de quartier, le partenariat avec les éducateurs est précieux. « L’un de mes rôles consiste en une veille territoriale : être au plus près du terrain pour savoir ce qui se passe, être en alerte et alerter, détaille-t-elle. Les travailleurs sociaux nous remontent leurs observations de terrain, leur avis sur la manière dont on peut mobiliser le public, ce que l’on peut en attendre. Nous partageons nos diagnostics sur les situations du quartier. » Le transfert d’informations fonctionne dans les deux sens : « La chargée de quartier nous renseigne sur la rénovation urbaine et les nouveaux dispositifs dont on peut se servir pour travailler avec les habitants », soulignent les deux éducateurs. Les professionnels croisent leurs regards, mais les missions de Virginie Danneyrolle diffèrent de celles d’un travailleur social. « Nous n’avons pas vocation à l’accompagnement individuel, et les habitants, qui nous voient souvent avec l’élu de quartier, nous assimilent à l’institutionnel, remarque-t-elle. Ils m’appellent parfois la “chef de quartier” et je suis aussi celle qui parle avec la police. » Au quotidien, les différents professionnels intervenant sur le secteur peuvent même avoir des positionnements divergents. Comme lorsque Virginie Danneyrolle a dû intervenir face à des jeunes qui posaient problème dans l’espace public. « Nous voulions en savoir plus sur l’histoire de ces jeunes, mais le secret professionnel et le respect de l’anonymat sur lesquels se fondent les travailleurs sociaux ont été un point de blocage. Parfois, j’ai l’impression de donner beaucoup d’informations sans en avoir autant en retour », regrette-t-elle. La chargée de quartier a finalement convoqué les jeunes turbulents et leurs parents. « Je sais qu’un rappel à la loi seul ne fonctionnera pas. C’est pourquoi il m’importe de travailler en collaboration avec les éducateurs », précise-t-elle cependant.

Faire remonter les doléances

Quand la chargée de quartier n’a pas rendez-vous avec la prévention spécialisée, elle rencontre, avec son équipe, les référents du GPV de Nantes Métropole, dont Geneviève Garcia-Oriol, pour se tenir informée des actualités du chantier. Son rôle consiste alors à faire remonter les doléances des habitants : une rue que l’on doit laisser accessible au bus, des appartements surchauffés après l’amélioration de l’isolation, etc. « L’intérêt de travailler avec l’équipe de quartier, c’est de garantir la cohérence même d’un projet où il nous faut travailler avec les habitants, estime Geneviève Garcia-Oriol. Et d’obtenir toute leur expertise sur la dynamique sociale du quartier, que nous ne pouvons pas mesurer de là où nous sommes. Ils traitent la question urbaine de façon plus réaliste, plus pragmatique, avec la vision des usagers. »

Midi sonne. Alors qu’elle sort dans la rue, Virginie Danneyrolle est interpellée par deux habitantes : « On n’a plus Internet, alors qu’on continue à payer : ce n’est pas normal ! » Autre doléance : « On reçoit tellement de courriers de Nantes Habitat [le bailleur social], certains se contredisent. On est perdues ! » La professionnelle écoute, prend des notes, promet un retour rapide et rejoint David Martineau, l’élu du quartier, pour leur rendez-vous bimensuel. « Je travaille avec la chargée de quartier sur la base de sa double compétence, explique celui-ci. Son expertise locale et sa capacité à comprendre et à intégrer les politiques transversales de la ville pour les mettre à exécution localement. » Virginie Danneyrolle apprécie cette partie de sa mission liée au politique : « J’aime travailler des dossiers, des stratégies. Croiser les perspectives urbaines, sociales et économiques de façon concrète, comme de réfléchir à la diversification d’un îlot d’habitats ou à la réimplantation de commerces et d’entreprises dans le quartier. »

Pour David Martineau, l’équipe de quartier constitue l’indispensable affichage d’une présence politique sur le terrain. C’est aussi un support pour son action. « Contrairement à des maires d’arrondissement, nous, élus de quartier, n’avons aucun staff. Nous avons pourtant en face de nous des habitants très exigeants. Avec l’équipe, je peux vraiment travailler les dossiers. Sans elle, mon action se bornerait à être une campagne électorale en continu. » Pour l’adjoint au maire, il importe cependant de ne pas confondre les rôles : « Ils font un travail administratif de très bon niveau mais qui ne doit pas être politique. Il est important que Virginie ­Danneyrolle ne soit pas interpellée comme une élue par les habitants. Il faut conserver les deux niveaux de dialogue. » D’ailleurs, pour définir son poste, « dialogue » est l’un des mots clés de la chargée de quartier. « J’ai un rôle d’interface entre toutes les entités du secteur : institutions, associations, élus, habitants, ville, commerçants. Je mets en lien, je vise la cohérence, en faisant de la médiation et en désamorçant les conflits éventuels. »

Il est 14 heures. Toutes les six semaines, les chargés de quartiers nantais se réunissent avec les différentes directions de la ville pour un point d’information. Si la direction de la jeunesse met en place un plan pour les adolescents, comment sera-t-il décliné spécifiquement dans chaque quartier ? La direction de la culture crée un nouveau dispositif « carte blanche » pour un accès favorisé aux spectacles : quels pourront être ses relais dans les quartiers ? Virginie Danneyrolle adapte les réponses en fonction de l’analyse de son quartier, qu’elle construit jour après jour. « On apporte la plus-value du terrain, pour que la politique ne soit pas descendante. La ville joue le jeu, avec une culture du participatif. Ce qui est intéressant à Nantes, c’est que la ville met de l’argent sur les quartiers prioritaires comme Malakoff dans son budget classique, pas via un budget parallèle. Nous avons des moyens sans le sentiment d’exclusion. »

Défendre la logique territoriale

La chargée de mission tient en outre beaucoup à l’aspect « aide à la décision politique » de sa mission. « Nous ne sommes pas simplement le volet social d’un projet urbain, signale-t-elle. Pour moi, l’intérêt est d’évaluer en quoi les transformations urbaines participent à l’évolution sociale d’un quartier, et la manière dont on y implique les citoyens. » Comment un nouvel équipement peut-il apporter un mieux-être aux habitants ? En quoi une nouvelle ligne de bus peut-elle ouvrir des horizons en termes d’emploi ? « Quand la ville réfléchit à une nouvelle structure, je préconise l’embauche prioritaire de jeunes du quartier. Quand elle m’annonce que le gymnase va fermer pour travaux alors que le terrain de basket n’est déjà plus accessible, je lui suggère de faire différemment. » Mais Virginie Danneyrolle lutte pour ne pas devenir la seule interlocutrice des habitants. « Je ne suis pas le décodeur des directions municipales qui doivent garder le contact avec le terrain. Ils ont ­l’impression que je connais tout le monde et que mon point de vue est le même que celui des habitants. Alors que ce n’est pas forcément le cas. »

De fait, l’équipe de quartier occupe une situation assez paradoxale. Elle est un service de la ville mais se sent un peu à part. La différence d’approche – expertise territoriale contre expertise thématique – n’est en effet pas toujours facile à orchestrer. « Je sais que les agents des directions thématiques en ont parfois assez de devoir nous mettre en copie de tous les mails, de s’entendre dire : “Qu’en pense la chargée de quartier ?” C’est un choix politique d’avoir des gens sur le terrain, mais certains administratifs le subissent. » Virginie Danneyrolle et ses homologues sont d’ailleurs surnommés les « préfets de quartier ». Ils demeurent pourtant persuadés que la logique territoriale peut redonner du souffle à une action publique parfois trop déconnectée des pré­occupations locales. « Nous sommes un peu “poil à gratter”, sourit-elle. Parce que nous ne sommes attachés à aucune politique publique en particulier. Nous disposons d’une certaine indépendance qui nous permet de remettre des choses en question. » Le poste nécessite d’ailleurs de ne pas avoir peur du conflit, souligne la chargée de quartier, de ne pas chercher le consensus à tout prix et d’oser interpeller les uns et les autres.

Dès 16 heures, à peine de retour au bureau, Virginie Danneyrolle saisit son bloc-notes pour le tour de quartier hebdomadaire que l’équipe se partage, l’intervention de proximité pouvant être chronophage. « Ce que j’aime, ce sont les multiples facettes du métier. On participe à de grandes réunions de directions qui traitent de stratégie de développement territorial et, l’heure suivante, on court vérifier qu’un panneau de basket ne vas pas s’effondrer sur un terrain. » Au cours de sa déambulation, la chargée de quartier discute avec les habitants qu’elle connaît, rend visite à un commerçant qui vient d’installer une terrasse, félicite une association d’accueil de femmes pour la rénovation de ses locaux. Au détour d’une cage d’escalier, elle est interpellée par des habitants sur des questions individuelles : un voisin harceleur, une lettre d’expulsion, etc. Elle s’efforce d’orienter les demandeurs vers les bons interlocuteurs. Elle passe dans les locaux de l’association des aînés du quartier : « Comment va se passer votre relogement avec les travaux ? […] Une habitante se débarrasse de sa table basse. Vous n’en cherchiez pas une ? » Certains discutent volontiers. D’autres, notamment ceux dont les grands enfants ne sont pas des anges, la toisent parfois en chien de faïence. Chargée de quartier ou œil de la municipalité ?

Sa fonction nécessite de savoir faire face à tous les événements. Quand, il y a deux ans, la moitié du cen­tre commercial, cœur du quartier, est partie en fumée dans un incendie criminel, Virginie Danneyrolle a senti que son poste n’était pas « un métier, mais plein de métiers ». « J’ai appris le fonctionnement d’une ­cellule psychologique, la gestion des relations avec les assurances, la négociation de tickets de bus gratuits pour les habitants qui ne pouvaient plus aller faire leurs courses. » Le poste nécessite des capacités d’organisation et d’adaptation. « C’est passionnant, même si l’on se sent parfois schizophrène. D’autant que ma zone théorique d’intervention est très large. » En effet, le grand quartier va jusqu’à Saint-Donatien et regroupe 33 000 habitants. « Même si je consacre 70 % de mon action au secteur d’habitat social de Malakoff, je me retrouve parfois au téléphone avec des habitants qui se plaignent du manque de stationnement devant chez eux. Alors qu’ici, à Malakoff, on travaille avec des gens qui ne trouvent pas d’emploi parce qu’ils n’ont pas le permis. »

Dans de rares cas, en porte-à-faux

Dans sa relation aux habitants, la chargée de quartier dit se positionner plus sur l’écoute que sur la justification des politiques municipales. Au cours de son périple, elle va ainsi à la rencontre du correspondant de vie quotidienne de son équipe, en discussion avec un policier à propos de la pose d’un radar pédagogique aux abords de nouveaux passages pour piétons. L’ouverture d’un récent boulevard modifie le visage du quartier. « Nous essayons d’anticiper les problèmes ou les conséquences de certains aménagements sur la vie quotidienne des gens, détaille-t-elle. Comme ici avec la vitesse excessive. » Même si c’est rare, il est arrivé à la jeune femme de ne pas être convaincue par une décision venue d’« en haut ». « C’est compliqué quand on doit présenter un projet dont on sent déjà qu’il ne va pas coller avec la réalité du terrain. On le “vend” un peu aux habitants, mais ça dysfonctionne et ils viennent nous le reprocher. »

A 18 heures, la journée n’est pas finie. Avec les 54conseillers de la commission locale de quartier et les élus, Virginie Danneyrolle et son équi­pe évoqueront ce soir un plan de déplacements doux (2) pour Malakoff. L’agent de la ville prépare le dossier. « Ces instances de concertation font partie de ma mission d’animation du dialogue citoyen. » Des sujets sont régulièrement mis au débat, et souvent des élus de la ville et de Nantes Métropole sont invités. « On parle de tranquillité publique, d’emploi, de culture, pour ne surtout pas se cantonner à tenir des réunions publiques sur ce qui sort de terre ici et là. Pour atténuer l’impression de toujours courir après le projet urbain, qui est le plus visible. » Quand les travaux seront finis, le métier de la chargée de quartier en sera-t-il modifié ? « Certainement. Mais un immense chantier débutera alors sur la partie nord du secteur. On recommencera ailleurs… » Comme d’habitude, Virginie Danneyrolle travaillera cette semaine entre 50 et 60 heures. Sans regret. Mais elle reconnaît que les chargés de mission sont insuffisamment équipés au regard de toutes les tâches qui leur sont confiées. « Un recentrage serait salutaire, pour que l’on ne perde pas notre spécificité : la coordination de l’urbain et du social. »

Notes

(1) Equipe de quartier Malakoff-Saint-Donatien : 13, rue d’Angleterre – 44000 Nantes – Tél. 02 40 41 61 10.

(2) Sont dits « doux » les déplacements dans l’espace public sans apport d’énergie autre qu’humaine (vélo, marche…).

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