Après le coup de semonce des départements, qui réclament une implication significative de l’Etat dans la prise en charge des mineurs isolés étrangers, 15 associations et syndicats – parmi lesquels la CGT-PJJ, la Cimade, le GISTI, DEI-France, Hors la rue, ou encore le Secours catholique – tapent du poing sur la table. Mais pas vraiment avec le même angle d’attaque. Dans une saisine du défenseur des droits Dominique Baudis, du 16 avril, ils fustigent « la forte dégradation de la prise en charge des mineurs isolés étrangers en région parisienne », en contradiction avec la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance et la convention internationale des droits de l’Enfant. Leur constat : « Le conflit entre l’Etat et les conseils généraux, tant sur leurs compétences que sur l’implication financière, conduit à l’oubli par les autorités publiques des droits et des besoins de ces enfants. » Les modalités de prise en charge de ce jeune public vulnérable par les départements particulièrement exposés – Paris et la Seine-Saint-Denis – sont vivement épinglées.
Depuis la fin du « plan grand froid », en moyenne 25 jeunes restent, selon les signataires, chaque nuit à la rue à Paris. Les organisations dénoncent la non-application de l’article 223-2 du code de l’action sociale et des familles, qui prévoit l’accueil immédiat et provisoire d’un mineur, en cas d’urgence et quand le représentant légal ne peut donner son accord. « Seuls les jeunes de moins de 16 ans, ou plus exactement jugés tels après l’évaluation de leur âge par la plateforme d’accueil et d’orientation [Paomie, mise en place par le département de Paris et gérée par France terre d’asile], qui peut durer plusieurs jours, sont pris en charge » au titre de cet article, déplorent-ils. Ils contestent la méthode d’évaluation de l’âge par la Paomie, qui se substitue pourtant au très contesté examen osseux et dont les critères se fondent, selon elles, « essentiellement sur l’apparence physique », sans que « le doute ne profite au jeune en demande de protection ». La saisine évoque également la non-prise en charge de certains jeunes trop proches de la majorité et une attente « de plusieurs semaines avant d’obtenir une place de mise à l’abri », souvent en hôtel, ou en foyer.
Elle pointe également les effets pervers du système de « péréquation » mis en place depuis septembre dernier, selon lequel le conseil général de Seine-Saint-Denis, qui avait engagé un bras-de-fer avec l’Etat, n’accueille plus qu’un mineur isolé sur dix, les autres étant orientés par le parquet de Bobigny vers une vingtaine de départements du grand bassin parisien. « De nombreux jeunes placés ont été envoyés dans d’autres départements seulement pour s’y voir refusés par les foyers ou les lieux d’accueil. Plusieurs départements ont refusé de se plier à la nouvelle procédure, ce qui a transformé les jeunes en balles de ping-pong renvoyés d’un endroit à un autre. »
L’audience devant le juge des enfants peut nécessiter trois ou quatre mois d’attente.
La saisine critique, passé ce long parcours d’obstacles avant une prise en charge par l’aide sociale à l’enfance, l’insuffisance de l’accompagnement, notamment vers la scolarisation ou la formation. Cette dernière conditionne pourtant l’accès à un titre de séjour. Un problème d’autant plus préoccupant que « les contrats jeunes majeurs sont de moins en moins accordés ».
Marie Derain, adjointe au défenseur des droits chargée de la défense et de la promotion des droits de l’enfant, a rencontré les signataires de cette interpellation le 17 avril. De son côté, l’Assemblée des départements de France (ADF), qui avait saisi Dominique Baudis le 16 février, s’est entretenue avec lui le 18 avril, en présence du directeur de la protection judiciaire de la jeunesse. La réunion a débouché sur plusieurs pistes de travail. Tout d’abord, l’élaboration d’un « diagnostic partagé » sur la situation des mineurs étrangers isolés, en vue d’alimenter un tableau de bord de suivi, explique-t-on dans l’entourage de Dominique Baudis. Autre préconisation : « que l’Etat et l’ADF réfléchissent à une politique globale de prise en charge, fondée sur les obligations de la protection de l’enfance et de la convention internationale des droits de l’Enfant. Contractualisée, cette politique pourrait ensuite être sanctuarisée par la loi. » Le défenseur des droits, qui a insisté pour que le sujet fasse l’objet d’un travail interministériel, devrait élaborer des recommandations sur ce « contrat » avant l’été. Il a par ailleurs suggéré, en attendant, d’élargir le nombre de départements qui « soulagent » la Seine-Saint-Denis dans le cadre du dispositif de « péréquation » mis en place en septembre dernier. Autre question à régler : la pérennisation du financement par l’Etat du transfert des mineurs de ce département vers ceux désignés pour les prendre en charge, garanti seulement jusqu’au 30 juin. Depuis le début de ce dispositif d’urgence, 132 mineurs ont été accueillis dans 15 départements, avec une ordonnance provisoire de placement de six mois. Au-delà, l’épineuse question de la participation financière de l’Etat ne pourra être abordée avant la prochaine législature. En mars dernier, l’ADF avait rejeté la proposition formulée par le ministère de la Justice, qualifiée de « cache-misère » (1).
Trouver une solution pérenne favorable à l’intérêt supérieur des enfants fait consensus, « mais qu’on ne se trompe pas de responsable », réagit Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile, qui demande de longue date, avec d’autres associations, l’organisation d’une table ronde régionale réunissant tous les acteurs. « Nous sommes exposés car nous sommes en première ligne, mais l’intervention de l’Etat, elle, n’a pas varié, elle a même diminué, depuis le dispositif Versini de 2003. »
A Paris, le département rappelle les efforts déployés : 85 millions d’euros (contre 40 millions en 2009) pour 1700 mineurs accueillis, 100 places pérennes de mise à l’abri, auxquelles se sont ajoutées 70 places hivernales, en plus des 25 places financées par l’Etat. « On ne peut pas créer des places au même rythme que les arrivées : il y a eu 800 admissions pour la seule année 2010 », explique-t-on. Quant à l’évaluation effectuée par la Paomie, elle « consiste en un entretien de deux heures par des professionnels, qui correspond aux recommandations européennes en la matière ». Tout en reconnaissant l’imperfection du dispositif, la ville explique que les mineurs pour lesquels la minorité ne fait pas de doute bénéficient d’une admission provisoire à l’ASE, tandis que les autres sont mis à l’abri en attendant l’ordonnance de placement du juge. Par ailleurs, « 500 jeunes isolés sont en contrat jeune majeur actuellement ». Paris demande une meilleure répartition géographique par des plateformes interrégionales d’orientation.
(1) Voir ASH n° 2751 du 16-03-12, p. 22.