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Délinquance des mineurs : « Il faudrait mettre le focus sur les invisibles »

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En matière de délinquance des mineurs, il faut frapper fort dès la première infraction pour éviter la récidive… Telle est l’antienne répétée depuis plus de dix ans par les pouvoirs publics. Dans une contribution à un ouvrage collectif sur les sorties de délinquance, le sociologue Sébastien Delarre montre que, au contraire, les mesures les moins coercitives semblent les plus efficaces avec les primodélinquants.

En matière judiciaire, les statistiques officielles sur l’efficacité des mesures se concentrent sur les récidivistes. En quoi diffère votre approche ?

Dans cette étude, mon objectif consistait à remonter en amont aussi loin que possible pour partir des premiers contacts des mineurs avec la justice. En effet, dans la mesure traditionnelle de la récidive, on ne prend en considération que les individus ayant une première inscription au casier judiciaire national. Mais beaucoup de jeunes ont eu des contacts avec la justice sans être enregistrés. Ceux que l’on appelle les « primodésistants » entrent dans le système judiciaire et le quittent aussitôt. Le taux de « désistance » se situe, selon mes calculs, aux alentours de 65 %. Une nette majorité de jeunes ne fait plus parler d’elle après un premier contact avec la justice. Alors que pour les mineurs sortants de prison, ces proportions statistiques tendent à s’inverser à mesure que l’on progresse dans la ­hiérarchie des peines : c’est un effet dit de « sur-sélection ». Ces jeunes déjà inscrits au casier judiciaire national ont déjà eu de multiples contacts avec la police, le juge pour enfants, les services éducatifs… Ils sont passés à travers tous ces filtres et présentent un profil spécifique. Car pour qu’un jeune soit inscrit au casier judiciaire, il faut qu’il ait commis une infraction très grave ou qu’il ait cumulé les infractions. On sursélectionne ainsi des individus à haute tendance réitérante, ce qui biaise les chiffres.

Vous fondez vos travaux sur le « panel des mineurs ». De quoi s’agit-il ?

Cette base de données, peu connue, a été mise en place au début des années 1990 par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse et la SDSE (le bureau de l’INSEE installé au ministère de la Justice). Elle a été conçue à l’origine pour rassembler différentes informations sur les mineurs, qu’elles proviennent du parquet ou de la juridiction, en essayant d’intégrer des données sociodémographiques telles que la taille de la fratrie ou encore la profession des parents. Malheureusement, sur cet aspect, le panel n’a pas atteint ses objectifs, dans la mesure où les greffiers n’ont pas le temps de saisir ce type de données. Il reste néanmoins très utile car il rassemble des informations éparpillées dans différents systèmes du ministère de la Justice. Mais même de cette façon, un certain nombre de cas échappent à l’observation statistique. Ainsi, un mineur arrêté par la police et qu’on laisse repartir avec un simple avertissement reste parfaitement invisible statistiquement parlant. Or c’est sur tous ces invisibles, ou ces désistants, qu’il faudrait mettre le focus.

Que recouvre ce concept de « désistance »?

Avec les analyses de récidive, on est incapable de dire pourquoi certains individus ne reviennent pas dans le système judiciaire. L’intérêt du concept de « désistance » est qu’il permet d’approcher tous les processus biographiques qui font qu’un individu ne persiste pas dans la délinquance. Ce peut être un changement de lieu d’habitation, un mariage, une formation, l’entrée dans la vie professionnelle… On intègre tous ces facteurs dans des modèles et on évalue leurs poids respectifs dans la propension statistique des jeunes à ne pas revenir au contact de la justice.

Depuis dix ans, le législateur a institué un certain nombre de mesures nouvelles en matière de délinquance des mineurs. Pourtant, aucune véritable étude d’impact n’a été réalisée…

Le problème est que les bases de données permettant de réaliser ces mesures d’impact ne sont pas accessibles aux sociologues ni aux démographes travaillant sur la justice des mineurs. Du côté des pouvoirs publics, il existe bien la SDSE, qui réalise un certain nombre d’évaluations. Mais elle est déjà surchargée de travail, et n’a donc pas le temps d’analyser tout ce qui concerne ce domaine. Sans compter que le système judiciaire est lui-même très complexe. D’où des systèmes de données extrêmement difficiles à utiliser. Ainsi, pour cette étude, six à sept mois de mise en forme des données ont été nécessaires pour obtenir une base exploitable.

Si l’on observe vos résultats par grandes catégories d’infractions, quelles mesures donnent les meilleurs résultats ?

Il faut préciser qu’il s’agit de résultats encore très expérimentaux, qui appellent des méthodologies plus poussées, notamment sur les critères socio­démographiques des jeunes concernés. En outre, il ne s’agit pas de faire des prescriptions en expliquant que, pour telle infraction, c’est forcément telle mesure qui marche. Cela hérisserait les magistrats, et on le comprend. Néanmoins, on voit apparaître des corrélations intéressantes qui ont du sens. Pour la catégorie des infractions telles que les destructions et dégradations, on s’aperçoit notamment que la mesure la plus efficace, c’est-à-dire qui a le meilleur taux de désistance, c’est la réparation. Demander à un jeune qui a détruit des biens privés ou publics de réparer ce qu’il a fait, cela a du sens pour lui, semble-t-il. La réparation apparaît aussi comme une mesure très adaptée dans le cas de violences. Elle a un impact supérieur aux autres mesures qui peuvent être prises dans ce genre de situation. Mais, encore une fois, il ne faut pas voir dans cette étude un classement des meilleures mesures. Ce n’est pas aux statisticiens de la chancellerie de dire ce qu’il faut faire dans telle ou telle situation. Les éducateurs, les juges ou les procureurs restent les meilleurs spécialistes. Autrement, on tomberait dans le travers des méthodes dites actuarielles(1) inspirées du monde des assurances, avec l’établissement automatique de profils de risques.

Vos résultats vont néanmoins clairement à l’encontre de l’idée, martelée ces dernières années par les pouvoirs publics, que plus la sanction est forte dès le début, moins les jeunes délinquants récidivent…

En effet, mes observations ne vont pas dans le sens du discours ambiant sur le renforcement des peines et sur la sévérité accrue en direction des mineurs délinquants. En réalité, les mesures les plus douces peuvent produire les meilleurs résultats. En ce qui concerne les infractions sur les stupéfiants, c’est la prise en charge civile qui fonctionne le mieux. Le dossier au pénal se clôt sur une admonestation, puis on ouvre un dossier au civil en demandant, par exemple, le suivi thérapeutique du mineur concerné. Car quand on condamne un consommateur de drogue à une peine sévère, c’est une sorte de double peine. Il se nuit déjà à lui-même par sa consommation et on rajoute encore à ses difficultés.

Dans un autre article paru dans la revue Champ pénal, vous mesurez l’impact des récentes réformes de la justice des mineurs et de leurs mesures phares. Qu’en ressort-il ?

Depuis dix ans, la justice des mineurs a connu de nombreuses réformes avec un discours très volontariste du côté de la chancellerie et de vives réactions du côté des professionnels. J’ai voulu aller au-delà de ces discours en essayant de voir, dans les faits, ce qui se passe réellement. Il apparaît que les lois votées durant cette décennie (« Perben I et II », sécurité intérieure, « Dati »…) s’assimilent en partie à ce que la juriste Christine Lazerges appelle des lois déclaratives. Ce sont des textes dont l’objectif est surtout de réactiver constamment les débats sur la justice des mineurs, mais pas vraiment d’aboutir à une application réelle. Il faudrait pour cela contraindre les magistrats à utiliser les mesures qu’elles proposent. Or ceux-ci continuent de recourir prioritairement aux instruments traditionnels mis en place par l’ordonnance de 1945, qui reste la référence normative de la profession. En revanche, du côté du parquet, les choses sont différentes, dans la mesure où le poids de la chancellerie se fait davantage sentir. Le principal changement que j’observe ces dernières années est la montée en puissance du présentenciel. Autrement dit, avant de prononcer une décision définitive, le magistrat va prendre une mesure de réparation ou de liberté surveillée provisoire pour mettre le mineur à l’épreuve. Et c’est seulement à l’issue de cette période qu’il rendra sa décision.

Allez-vous continuer vos recherches à partir de ces résultats expérimentaux ?

Beaucoup de travaux sont actuellement en cours. J’aimerais aussi pouvoir appliquer la méthode dite des graphes sur l’ensemble du territoire, juridiction par juridiction, afin d’observer plus finement la variabilité des adaptations sur le terrain.

REPÈRES

Sébastien Delarre, sociologue et chercheur associé au CNRS, est maître de conférences à l’université Lille1, au Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques. Il a rédigé l’article « Evaluer l’influence des mesures judiciaires sur les sorties de délinquance » dans l’ouvrage collectif Les sorties de délinquance. Théories, méthodes, enquêtes (Ed. La Découverte, 2012), dirigé par Marwan Mohammed.

Notes

(1) Voir ASH n° 2736 du 9-12-11, p. 42.

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