Le Conseil d’Etat a rendu, le 11 avril, une décision importante en matière d’accès des étrangers à la procédure du droit au logement opposable (DALO). Répondant à une demande du Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) et de la Fédération des associations pour la promotion et l’insertion par le logement (FAPIL), les Hauts Magistrats ont en effet annulé « pour excès de pouvoir » les dispositions de l’article 1er du décret n° 2008-908 du 8 septembre 2008 qui subordonnent l’accès au DALO à une condition de résidence préalable en France de deux ans pour les étrangers autres que ceux détenant une carte de résident ou titre de séjour équivalent et autres que les ressortissants communautaires. Les sages considèrent en effet que, ce faisant, cet article institue une différence de traitement injustifiée.
Cette annulation ne prendra toutefois effet qu’à compter du 1er octobre 2012.
Pour bien comprendre les tenants et les aboutissants de cette affaire, il convient de rappeler que le droit pour les personnes mal logées de pouvoir se tourner vers l’Etat pour obtenir un logement est conditionné, notamment, au fait de résider sur le territoire français de façon régulière et permanente. Cette condition – qui, concrètement, ouvre aux étrangers le droit au DALO – est remplie selon des modalités différentes suivant qu’il s’agit de ressortissants européens ou de pays tiers. Ce sont ces modalités qui étaient contestées par les deux associations requérantes. Ainsi, au regard de l’article 1er du décret du 8 septembre 2008, les citoyens de l’Union européenne, les ressortissants d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen (1) ou de la Confédération suisse doivent remplir les conditions exigées pour bénéficier d’un droit de séjour en France pour une durée supérieure à trois mois sur le fondement de l’article L. 121-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Les ressortissants de pays tiers doivent, pour leur part, soit être titulaires d’une carte de résident ou de tout autre titre de séjour prévu par les traités ou accords internationaux et conférant des droits équivalents à ceux de la carte de résident, soit justifier d’au moins deux années de résidence ininterrompue en France sous couvert d’un des cinq titres de séjour listés par l’article contesté du décret, renouvelé au moins deux fois (2).
Une différence de traitement condamnée par le Conseil d’Etat sur le fondement de l’article 6-1 de la convention internationale du travail n° 97 du 1er juillet 1949 concernant les travailleurs migrants (3), qui stipule que les pays qui ont signé ce texte s’engagent « à appliquer, sans discrimination de nationalité […] aux immigrants qui se trouvent légalement dans les limites de [leur] territoire, un traitement qui ne soit pas moins favorable » que celui qu’ils appliquent à leurs propres ressortissants en matière notamment de droit au logement.
Les sages reprochent ainsi à l’article contesté d’avoir subordonné le DALO de certains travailleurs migrants à une condition de résidence préalable de deux ans sur le territoire national qui ne s’applique pas aux ressortissants nationaux. Ils soulignent également que la liste des cinq catégories de titres de séjour permettant à leurs détenteurs de demander le bénéfice du DALO sous la double condition d’une durée de résidence préalable de deux ans sur le territoire national et d’au moins deux renouvellements du titre de séjour détenu ne comprend pas la carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » ou « salarié en mission », ni la carte de séjour « compétences et talents ». Les étrangers titulaires de ces titres sont donc exclus du dispositif. Or ces titres de séjour sont susceptibles d’être attribués à des personnes pouvant avoir la qualité de travailleur migrant au sens de la convention du 1er juillet 1949.
La Haute Juridiction ne conteste pas pour autant le droit qu’avait le pouvoir réglementaire de « régler de façon différente des situations différentes » ni à déroger au principe d’égalité « pour des raisons d’intérêt général ». Mais, dans l’un comme l’autre cas, « la différence de traitement qui en résulte » doit être « en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit » et ne pas être « manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier ». Or, en l’espèce, « la différence de traitement qui résulte du décret attaqué ne se justifie ni par un motif d’intérêt général, ni par une différence de situation au regard de la condition de permanence du séjour entre les personnes détentrices d’une carte de séjour temporaire portant la mention “étudiant” ou “salarié en mission”, ou d’une carte de séjour “compétences et talents”, d’une part, et les personnes détentrices d’autres titres de séjour temporaires inclus dans le champ du décret […], d’autre part ».
L’annulation prononcée ne prendra effet toutefois qu’à compter du 1er octobre 2012 afin, selon le Conseil d’Etat, « de permettre au gouvernement de prendre les dispositions assurant la continuité de la procédure du droit au logement opposable ». En outre, « sous réserve des actions contentieuses engagées » à la date de l’arrêt contre les actes pris sur le fondement du décret attaqué, les effets produits par les dispositions controversées antérieurement à leur annulation « seront regardés comme définitifs ». Autrement dit, il n’y aura pas de recours possibles – autres que ceux déjà engagés – pour les rejets de demandes d’application du DALO pris sur le fondement des dispositions aujourd’hui annulées. La Haute Juridiction a en effet considéré que « la rétroactivité de l’annulation du décret attaqué produirait des effets manifestement excessifs tenant au vide juridique ainsi créé ».
(1) Font partie de l’Espace économique européen tous les pays de l’Union européenne, plus l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège.
(3) La convention définit le travailleur migrant comme la personne qui émigre d’un pays vers un autre en vue d’occuper un emploi autrement que pour son propre compte.