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Un placement avec intérêt

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En Charente-Maritime, depuis vingt ans, l’association parentale Adapei 17 forme et soutient, grâce à son service Prefass, des accueillants familiaux pour adultes handicapés mentaux. Au cœur de son travail : la mise en œuvre du projet personnalisé des usagers.

La sonnette vient à peine de retentir que la porte s’ouvre sur un homme au sourire franc, crâne rasé et carrure d’ancien militaire. Derrière lui, un jeune homme élancé en sweat-shirt à capuche salue la nouvelle venue. Ce matin, comme environ deux fois par mois, Isabelle Mansencal, éducatrice spécialisée au Prefass (1) – le service de placement familial de l’Association départementale des parents et amis de personnes handicapées mentales de Charente-Maritime (Adapei 17), à Rochefort –, rend visite à Dominique Marpaud, accueillant familial, et à son « pensionnaire ». Depuis trois semaines, la maison abrite un second jeune homme. Un séjour temporaire, le temps d’un stage en établissement et service d’aide par le travail (ESAT). « Vous étiez un peu sceptique sur la cohabitation », se souvient Isabelle Mansencal. Dominique Marpaud hoche la tête. « Finalement, ça s’annonce plutôt bien. Le soir, c’est musique, discussion dans la chambre, ça rigole, ça tape des mains, reconnaît-il en associant du regard son pensionnaire. Pour lui, c’est assez responsabilisant. Il explique les règles au nouveau venu et se montre très attentif. » Une impression positive qui pourrait déboucher sur une installation durable du garçon dans la maison. « Attention, cela dépendra aussi du bilan de l’ESAT, car il faut que l’ensemble s’accorde avec son projet de vie », rappelle Isabelle Mansencal.

Rattaché au pôle « hébergement et services » de l’Adapei 17, le Prefass assure le recrutement et l’accompagnement d’accueillants familiaux. Agréés par le conseil général, directement rémunérés par la personne accueillie (lire encadré page 31), ces accueillants reçoivent à leur domicile des personnes handicapées mentales âgées de 20 à 60ans (2), issues d’établissements ou de leur domicile, bénéficiant d’une orientation par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Financé par un prix de journée, le service dispose de 88 places et d’une équipe de six personnes : une chef de service, deux éducatrices spécialisées, une conseillère en économie sociale et familiale (CESF) côtoient une assistante sociale et une psychologue qui partagent leur temps avec le reste du pôle, plus un psychiatre intervenant sur des vacations. A l’origine de sa création, en 1989, la nécessité de « trouver des solutions pour les jeunes majeurs de l’institut médico-éducatif de l’Adapei, maintenus dans la structure faute de place dans des établissements pour adultes », évoque Sylvie Jauvat, la chef de service. A l’époque, le placement familial est encore peu développé, en particulier pour les adultes handicapés. Le Prefass devient alors « le premier service de placement familial structuré et conventionné » par le département. Depuis, d’autres ont ouvert leurs portes en Charente-Maritime, mais l’Adapei17 s’en distingue par son positionnement particulier : « Nous accompagnons les accueillants familiaux, mais en tant qu’association parentale, notre usager reste la personne handicapée, insiste Jean-Pierre Slosse, directeur du pôle “hébergement et services”. Les accueillants sont nos partenaires, au même titre que la famille naturelle ou le mandataire judiciaire. D’ailleurs, nous n’offrons pas de service de tutelle. »

S’assurer des motivations de chacun

Première mission du Prefass : le recrutement des accueillants. Après les formalités administratives auprès du conseil général, les candidats se tournent vers le service de placement de leur choix, qui dispose de quatre mois pour délivrer un avis sur la pertinence de l’agrément. La procédure comporte une visite à domicile, en compagnie d’un contrôleur de l’aide sociale. « Il s’agit notamment de rencontrer la famille du candidat, pour s’assurer que tout le monde est en harmonie avec ce projet, développe Sylvie Jauvat. Les enfants, en particulier, peuvent éprouver des inquiétudes, car le pensionnaire va beaucoup accaparer leur papa ou leur maman. Et il est hors de question de déséquilibrer le système familial. » Au fil de plusieurs entretiens, la chef de service et la psychologue du pôle, Valérie Coco, s’efforcent également de « trouver les motivations profondes de la personne », d’expérience « rarement celles qu’elle annonce, puisqu’elle ne peut pas savoir à quoi s’attendre ». Certaines situations sont rédhibitoires : un manque de mobilité, qui freinerait la participation à des activités et compliquerait les suivis médicaux ; l’absence d’autres ressources dans le foyer ; un système familial dysfonctionnel… « Nous voulons aussi percevoir une petite flamme, affirme Sylvie Jauvat. Sentir que la famille a quelque chose à proposer. D’ailleurs, nous annonçons très vite notre niveau d’exigence : cela suffit à dissuader les moins motivés. » Car du côté des personnes accueillies, si certaines fréquentent les ESAT ou les foyers occupationnels de l’association, la plupart passent leurs journées au domicile, où il n’est pas question de se limiter au nursing. Les « exigences » du service quant à la qualité de l’accueil sont formalisées dans un référentiel, rédigé avec les accueillants eux-mêmes. Entre guide de bonnes pratiques et grille d’autoévaluation des prestations, le document permet à chaque accueillant d’élaborer son propre projet.

Un « engagement lourd »

Pour l’installation d’un nouvel accueil aussi, la procédure est longue, structurée en étapes successives (rencontre, repas en commun, nuit puis semaine sur place). Elle correspond, insiste Sylvie Jauvat, à « un engagement lourd ». Pour décider de l’affectation d’un usager, les professionnels travaillent par hypothèse : « Il faut associer la pathologie et les besoins de la personne accueillie avec le profil de la famille, sa composition, son projet, sa situation géographique… » Des accueillants au fonctionnement rigoureux conviennent davantage à des personnalités « fragiles, qui ont besoin de structure, de repères », tels certains autistes. D’autres s’accommodent mieux de simples déficiences intellectuelles ou de pathologies psychiatriques – dont le nombre tend à croître.

Aux premiers temps de l’accueil, la visite sur place des professionnels est hebdomadaire ; puis les rencontres s’espacent, intervenant en moyenne deux fois par mois. Les éducateurs se partagent les dossiers par secteurs géographiques. En ce jour de mars, Emmanuelle Marzin, CESF faisant fonction d’éducatrice, a ainsi rendez-vous à Saintes avec Sandrine Viaud. Depuis 1998, une jeune handicapée mentale partage la vie de famille de cette dernière, installée dans une maison longère du XVIIIe siècle à la décoration soignée. « Il a fallu reprendre toute l’éducation à la base, raconte l’accueillante, et je l’ai fait en même temps que j’élevais mes enfants. » Pendant plusieurs années, la santé de sa pensionnaire a constitué la priorité. « Elle présentait un diabète très élevé, elle a dû être hospitalisée quelque temps. Aujourd’hui, elle a perdu dix kilos. Le diabète s’est stabilisé, et après dix ans sans sucre, elle gère mieux la frustration. » Parmi les points à aborder ce jour-là : l’avancement du projet personnalisé de la jeune femme. Inscrite à plusieurs cours de gymnastique dans un club local, stimulée par son accueillante, elle ne manque pas de relations sociales. « Mais elle aimerait rencontrer des personnes qui lui correspondent, sur une activité qui l’intéresse », explique Emmanuelle Marzin. Une inscription au service d’accueil et d’activités de jour (SAAJ) de l’Adapei17 a été envisagée. Problème : le conseil général de Gironde, dont elle dépend, ne finance que l’hébergement. « En attendant son rattachement à la Charente-Maritime, nous essayons avec la tutrice de trouver un autre budget », indique Emmanuelle Marzin.

Evaluer le potentiel de l’usager

Elaboré après trois mois d’accueil, le projet personnalisé a été systématisé à partir de 2008. Sa mise en place et son accompagnement sont assurés par Valérie Coco. A la base du projet : l’évaluation des compétences et du potentiel de la personne, un travail réalisé par les éducateurs du service avec l’usager et son accueillant. Comme le souligne la psychologue, des grilles d’autonomie aident à « identifier les difficultés, mais surtout les points forts, sur lesquels s’appuyer pour mettre en œuvre le projet ». Aidé de son entourage (famille naturelle, tuteur, accueillant…), l’usager est invité à énoncer son projet de vie. « Le projet de vie, c’est ce qui n’est pas discutable, que les objectifs ou les envies soient accessibles ou pas, résume Valérie Coco. Par exemple, travailler à l’ESAT ou avoir son propre appartement, fonder une famille. » De ce projet de vie découle l’objectif général du projet personnalisé, décliné en objectifs opérationnels. Ces derniers sont inscrits noir sur blanc, décomposés en actions, contextes d’apprentissage et outils d’accompagnement. Le suivi est assuré par les éducateurs au cours de leurs visites, et le bilan est réinterrogé environ tous les dix-huit mois. « Des changements de famille, des problèmes de santé peuvent avoir chamboulé les priorités, expose la psychologue. Mais les demandes peuvent aussi avoir changé parce que la personne a développé de nouvelles compétences ! »

Monter en compétences, c’est aussi l’ambition que forme le service pour les accueillants qu’il soutient. Au quotidien, les éducateurs peuvent ainsi proposer des outils ou des techniques à mettre en œuvre dans l’accompagnement. Ancien agent territorial spécialisé des écoles maternelles, Marie-Josée Marpaud – la sœur de l’ex-militaire – ne manque pas d’idées d’activités pour son pensionnaire. Mais les échanges restent compliqués : l’homme ne parle pas, et peine à retenir ce qui est énoncé. « Des tests avec la psychologue ont cependant montré qu’il dispose d’une excellente mémoire visuelle », témoigne Noémie Rulland, son éducatrice référente. Des images et des pictogrammes ont donc fait leur apparition dans la maison : des smileys pour décrire son humeur, des cartes figuratives pour demander un aliment ou une boisson, un calendrier rempli de dessins pour repérer l’organisation de la semaine, etc.(3) « Ce que j’aimerais, c’est pouvoir l’accompagner dans les magasins et qu’il puisse choisir quelque chose qui lui plaise », glisse Marie-Josée Marpaud. « Vous savez, jusqu’à présent, on ne lui a jamais demandé son avis, souligne Noémie Rulland. Mais pour l’instant, il s’agit déjà d’instaurer la demande. Le reste, ce sera une autre étape. »

La plupart des accueillants sont également avides de formation. « Quand on commence, on ne connaît pas grand-chose au handicap. On le découvre au quotidien mais il nous manque des éclairages théoriques », reconnaît ainsi Marlène Devillers, ancienne assistante familiale de l’aide sociale à l’enfance, qui héberge deux personnes bipolaires. La procédure d’agrément n’exige aucune formation préalable, et aucun contrôle n’est exercé sur les cinq jours de formation – sur cinq ans – que l’accueillant doit avoir effectué pour obtenir son renouvellement. Vie affective, premiers secours, médicaments, pathologies, juste distance avec la personne accueillie… Le programme est défini chaque année avec les participants et fait appel à de nombreux intervenants extérieurs. Pour Jean-Pierre Slosse, l’intérêt des formations dépasse la simple diffusion de connaissances : « Il s’agit aussi de valoriser le rôle et l’image des accueillants, défend-il. Nous exigeons une certaine qualité de service. Il faut de la reconnaissance en échange. » Pendant les séances, les adultes handicapés présents sont regroupés et pris en charge par les éducateurs autour d’activités ou de sorties. Un contexte neutre, en dehors de la présence de l’accueillant, qui peut libérer la parole de certains.

Aucune situation n’est en effet à l’abri de la crise. Assise dans le bureau de Sylvie Jauvat, une nouvelle accueillante affiche un air désemparé. Avant de lui être confié, son pensionnaire, un homme de 37 ans, vivait avec sa mère. Recourant à l’accueil familial le temps d’une hospitalisation, cette dernière avait laissé entendre qu’elle envisageait un placement définitif. Très vite, cependant, elle s’est immiscée dans le dispositif. « Elle téléphone à son fils sur son portable, interrompt ses activités, lui annonce qu’elle va venir le chercher dans l’heure, bouscule notre organisation, à tel point qu’il n’ose plus rien faire, de peur de devoir arrêter », raconte l’accueillante. Association parentale, l’Adapei encourage le maintien des liens familiaux. Pour autant, les professionnels du service veillent à éviter le plus possible la relation directe entre famille naturelle et accueillants, se posant en tiers extérieur. A plusieurs reprises, Jean-Pierre Slosse et Sylvie Jauvat ont rencontré la mère, mais aussi son fils. « Il est vraiment tiraillé, constate la chef de service. Quand vous ne pourrez plus supporter, donnez votre préavis. Je ne vois pas d’autre moyen de le protéger. Peut-être qu’il créera une situation de crise insupportable pour sa maman, et alors nous serons présents. Mais ce sera sa décision à lui. »

Aider l’accueillant à prendre du recul

Les crises apparaissent en général au-delà de six mois d’accueil. « Avant, tout est idyllique, décrit Marie-Jo Bonnet, l’assistante sociale du service. Chacun est en phase de séduction et veut faire plaisir à l’autre. La désillusion ou les conflits émergent plus tard. » En dehors des heures d’ouverture, un système de permanence assuré par les cadres du pôle « hébergement et services » permet d’intervenir au plus vite. Hospitalisation d’un usager, fugue, urgence dans la famille nécessitant de confier le pensionnaire à un remplaçant – une personne non agréée (souvent un voisin) nommément désignée dans le contrat d’accueil –, comportement ingérable… Selon les cas, Sylvie Jauvat se rend sur place, quelle que soit l’heure, ou s’efforce de calmer la situation par téléphone. « Je m’attache surtout à ne pas culpabiliser les accueillants, à les aider à prendre un peu de recul, insiste-t-elle. Je les responsabilise en leur disant que je compte sur eux, et que nous reprendrons les choses ensemble dès le lendemain. »

Attentif aux accueillants, le Prefass reste toutefois centré sur l’usager. Et peut avertir à ce titre le conseil général en cas de situation préoccupante – ce qui ne signifie pas forcément l’existence d’un danger. Un exemple récent : un usager était contraint de dormir dans une autre pièce que celle qui avait été agréée, trop proche de la chambre conjugale au goût de l’accueillante. Prise dans un conflit de loyauté, la personne accueillie n’a rien dit : la situation a été rapportée par d’autres usagers ayant effectué un séjour temporaire dans la maison. Alerté, le conseil général a retiré l’agrément. De fait, le risque de maltraitance reste une préoccupation majeure. Et si le service exerce une vigilance constante pour un repérage rapide des situations, « l’outillage et la professionnalisation » constituent, selon Jean-Pierre Slosse, la meilleure des préventions. Depuis quelques années, les accueillants sont ainsi vivement encouragés à prendre des vacances. Un moyen de « casser provisoirement la relation », qui permet de « prendre du recul » et offre aux usagers, hébergés de façon temporaire dans d’autres familles du service, « des points de comparaison ». Petite victoire pour les professionnels : au dernier rapport d’activité, neuf accueillants sur dix s’octroyaient trois semaines de répit par an.

RÉMUNÉRATION
Un statut précaire

Le contrat d’accueil familial est un contrat de gré à gré, conclu entre l’accueillant familial et la personne accueillie ou son représentant légal. L’accueillant n’est pas salarié : il perçoit une rémunération mensuelle autour de 650 € net (financée par l’allocation de placement familial de son usager) et un montant équivalent au titre des indemnités d’entretien (allocation aux adultes handicapés et allocation logement). Un statut précaire, dénoncent certains accueillants : « Aujourd’hui, un de mes pensionnaires forme le vœu d’aller vivre en établissement. C’est son projet et je le soutiens, mais s’il part, je perdrai la moitié de mes revenus, sans compensation puisque nous ne cotisons pas au chômage », explique Sylvie Poupard, accueillante depuis sept ans, après avoir travaillé onze ans comme aide médico-psychologique en foyer occupationnel. En Charente-Maritime, une délégation est allée porter ces revendications auprès du conseil général, proposant deux solutions : être salarié par un particulier employeur, comme les assistantes maternelles, ou directement par le conseil général ou les associations, comme les assistantes familiales de l’aide sociale à l’enfance.

Notes

(1) Placement, recherche de familles d’accueil et suivi social (Adapei 17): 19, avenue Thomas-Wilson – 17300 Rochefort – Tél. 05 46 83 99 92.

(2) Les usagers âgés de plus de 60 ans peuvent être maintenus dans le service à titre dérogatoire tant que la dépendance reste majoritairement liée au handicap. Impossible, en revanche, d’intégrer le Prefass au-delà de cette limite d’âge.

(3) Méthode PECS (Pictures Exchange Communication System), développée dans le champ de l’autisme.

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