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Accueil des sans-abri : assez d’aberrations !

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Accueil d’urgence insuffisant en quantité et en qualité, réseau des CHRS affaibli, Etat se désengageant de ses responsabilités… Jean-Pierre Gille, militant associatif, administrateur d’une association de solidarité et administrateur national et régional de la FNARS, dénonce les conditions actuelles de prise en charge des personnes sans domicile.

« Une nouvelle politique, menée par circulaires, a été annoncée en 2010 aux associations de solidarité gestionnaires de lieux d’accueil pour personnes à la rue : il s’agit d’un concept expérimenté, nous dit-on, à l’étranger, celui du “logement d’abord”. Nous ne sommes pas opposés à cette évolution mais nous devons être vigilants pour que sa mise en œuvre n’entraîne pas paradoxalement la non-prise en charge de ces personnes. Par respect pour elles, nous nous refusons à prendre le risque de voir des solutions que l’on dit validées à l’étranger plaquées sur une réalité sociétale différente.

Aussi, n’est-il pas prématuré, sinon imprudent, d’en vouloir une application immédiate, comme l’ont affirmé Nathalie Kosciusko-Morizet et Benoist Apparu ? De quels moyens disposent-ils ? La “refondation” ne serait-elle pas pour certains décideurs politiques un prétexte pour tester un autre concept, lui aussi effectif à l’étranger, en particulier dans les pays anglo-saxons, qui renvoient la charge d’une solidarité sociale aux organismes non gouvernementaux de type caritatif (et quelquefois communautaire) ? Faut-il passer d’une situation de droit dont l’Etat doit se porter garant à une logique du don laissée à l’initiative individuelle ? Ne s’agit-il pas de limiter sinon de diminuer les financements consacrés actuellement par l’Etat à l’hébergement ? Et ne confond-on pas dans une même approche deux situations différentes, celle d’un temps d’urgence et celle d’un temps d’insertion ? Pour définir une politique cohérente d’accueil et d’accompagnement des plus exclus vers le logement, sinon l’hébergement, n’est-il pas nécessaire de les distinguer ? Que recouvre la notion d’urgence ? Que recouvre la notion d’insertion ?

Les médias parlent souvent, pour ne pas dire exclusivement, de l’hébergement d’urgence, question qui ne se poserait qu’en période hivernale. Il est par contre très rarement question de l’hébergement dit d’insertion. Le premier est spectaculaire à cause du froid (alors qu’il y a autant de décès – en partie par déshydratation – en été): il est donc factuel et saisonnier. Le second se vit dans la durée afin d’accompagner les personnes pour qu’elles reprennent place dans la société : cette démarche n’a aucun caractère sensationnel mais est essentielle !

Constatons tout d’abord que l’hébergement d’urgence, cet hiver, s’est accompagné, dans un premier temps, de la non-prise en charge de plus de la moitié des demandeurs sur certains territoires. Cela a été dû au manque de places en logement – ce qui montre que ce concept de “logement d’abord”, c’est-à-dire en première intention, ne peut être immédiatement opérationnel, faute de disponibilité – mais aussi en hébergement. Il s’agit bien d’un déficit en places d’accueil d’urgence, de type asilaire, qu’il faut distinguer des places d’hébergement pérennes. Devant ce manque de places, des dortoirs ont été improvisés dans des halls et autres gymnases (ce qui ne peut se justifier que lors d’événements imprévisibles). Cette ouverture de 19 000 places a d’ailleurs été tardive – il a fallu que le thermomètre passe franchement sous zéro ! Autant de personnes sont donc restées à la rue en décembre et janvier. Ce déficit dans l’hébergement d’urgence a d’ailleurs été souligné dans un récent rapport parlementaire, celui de Danièle Hoffman-Rispal et Arnaud Richard, qui préconise l’accroissement plus que significatif (70 000) du nombre de ces places (1) !

Des obligations légales non respectées

Il faut noter que, suivant les dispositions du code de l’action sociale et des familles, cette pratique de non-réponse, hélas récurrente année après année, ne respecte pas les obligations qu’ont les services de l’Etat, en particulier ses représentants dans chaque département en la personne du préfet. Ces obligations légales ont de nouveau été rappelées aux pouvoirs publics par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 10 février 2012 (2) : toute personne résidant sur le territoire français, si elle le demande, doit être hébergée et accompagnée pendant le temps nécessaire à la résolution de ses problèmes de non-logement et de non-travail. Il ne s’agit pas d’une simple mise à l’abri de quelques heures, pour la nuit, même renouvelée quotidiennement en période hivernale, comme le pratiquent ces accueils d’urgence.

Mais cette notion même d’urgence n’est-elle pas fallacieuse ? Dans 99 % des cas, ce ne sont pas des personnes se retrouvant à la rue du jour au lendemain suite à la survenue récente d’uneexpulsion, d’une sortie (prévisible) d’établissement (prison ou hôpital), d’un sinistre, d’une mésentente familiale, ou de violences. Par suite d’une logique aussi aberrante que leur mise à la porte de ces accueils tous les matins, ce sont les mêmes personnes qu’au premier jour qui reviennent. On ne voit pas, dans une telle procédure imposée par les services de l’Etat, le début d’une attitude de respect due à ces personnes comme l’énoncent les recommandations de bonnes pratiques professionnelles de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) !

Ne faut-il pas d’abord se poser la question de la pertinence du non-accompagnement que constitue cet “hébergement d’urgence” (au mieux en nuitées d’hôtel dont le coût cumulé au niveau national sur des décennies laisse pantois), sans prise en charge dans la durée ?

La question évidente qui se pose à tous, et cela malheureusement depuis des décennies, est bien la nécessité d’établir de façon pérenne non seulement une mise à l’abri mais aussi un accompagnement effectif de ces personnes à la rue, que ce soit en logement ou en hébergement. Même la capacité du dispositif actuel de l’hébergement d’insertion ne pourrait y répondre : il faudrait la doubler !

La réponse n’est donc pas organisationnelle, dans une meilleure coordination du 115 ou dans de nouveaux services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO) (dont les représentants des logeurs sont généralement absents). La réponse doit être structurelle : comment réaliser, en logement ou en hébergement, un accueil et un accompagnement effectif de ces personnes ? L’efficience, si chère aux services de l’Etat, est à ce prix !

Dans le dispositif de l’hébergement d’insertion, dont les 70 000 places sont en centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), gérés pour la plupart par des associations, l’accompagnement des personnes est fait par des équipes de professionnels dans le respect des règles établies par le code de l’action sociale et des familles et sous le contrôle des services concernés de l’Etat, suivant de bonnes pratiques professionnelles édictées sous l’égide de l’ANESM. Il dure le temps nécessaire à ces personnes pour accéder à au moins un droit fondamental, celui du logement, et si possible, en l’absence d’un recours à une solvabilisation par une aide sociale, à un droit constitutionnel non inscrit dans le droit positif (celui des lois), l’accès à un emploi, cette valeur travail, si prônée mais si peu respectée. Le flux moyen annuel dans les établissements est de l’ordre du quart des capacités. Il dépend beaucoup du contexte territorial.

Cette situation “de blocage”, empêchant un flux plus important (moins de 7 % des demandes d’hébergement passant par le 115 y trouvent une réponse), et donc responsable de ces files d’attente, serait due à l’occupation abusive, pour ne pas dire l’encombrement, de ces places en hébergement d’insertion par des personnes qui devraient être soit en logement social, soit en centre adapté (résidence sociale et pension de famille). Et cela par la seule négligence de leurs gestionnaires ! Or le contrôle du fonctionnement de ces établissements (durée de séjour, sorties vers le logement et l’emploi, signalisation des places vacantes) est exercé de façon continue et tatillonne par les services de l’Etat, et ses représentants territoriaux, les préfets. En fait, gestionnaires et services de l’Etat seraient donc conjointement responsables des difficultés d’accès à ces centres.

Manque de volonté de l’Etat

Lorsque l’on veut bien se donner les moyens d’analyser les causes, on constate que, suivant les territoires, il y a soit un grave déficit de logements sociaux, soit un grave déficit en emploi donc de solvabilisation des personnes à la rue, quand ce ne sont pas les deux cumulés. Tout comme il y a un déficit en places d’hébergement de stabilisation, de résidences sociales et en pensions de famille !

L’Etat, garant en droit comme en fait de la cohésion sociale, a tendance à se désengager de ses responsabilités : il l’a fait l’été dernier en incitant les préfets à ne pas mettre à couvert non seulement des hommes seuls mais aussi des femmes avec enfants, alors que les capacités immobilières d’hébergement d’urgence “hivernal” étaient en grande partie non utilisées. Il n’entend pas plus mettre en œuvre, en particulier, une véritable politique de prévention. Meilleure illustration de ce manque de volonté et de son désengagement, son refus de garantir la solvabilisation de certains locataires vis-à-vis de leurs bailleurs (ils auraient été, d’après la Fondation Abbé-Pierre, déjà plus 500 000 ménages en situation d’impayés de loyer en 2009 !), d’où les expulsions (50 000 départs volontaires après jugements et 10 000 exécutés avec l’appui de la force publique en 2010, ce qui concerne au moins 80 000 personnes mises à la rue, dont des enfants !). Or ces expulsions impliquent des personnes dont le “savoir-loger” n’est pas majoritairement en cause : elles se retrouvent à la rue parce que ne pouvant plus, en grande majorité de bonne foi, faire face à leurs frais locatifs. Autre exemple, celui du non-respect par les préfets des décisions judiciaires concernant les recours introduits dans le cadre de la loi sur le droit au logement opposable : devant l’impossibilité ne serait-ce que d’héberger les demandeurs, les préfets font le choix de payer une amende, fort dérisoire au demeurant, qui est à charge de l’Etat et qui alimente un fonds régional du logement… de l’Etat !

Les centres d’hébergement d’insertion n’ont pas vocation à être logeurs ou cautions pour logeur. Ils n’en ont pas les moyens : les associations qui s’y sont risquées dans la décennie précédente ont dû se déclarer en cessation de paiement, leurs financeurs publics ayant brutalement mis fin à leur appui. Ces centres n’ont pas davantage les compétences humaines en termes de personnel pour accueillir certaines populations relevant par exemple de la psychiatrie. D’autres services publics sont chargés du suivi des malades psychiatriques, de la recherche d’emploi, ou de l’orientation vers une formation. Et pourtant, sur toutes ces questions, nombre de services d’établissements d’hébergement assurent un rôle subsidiaire ! Quelle légitimité y a-t-il à vouloir juger l’efficacité de ces centres d’insertion uniquement sur un nombre de retour au logement ou à l’emploi ?

Sans attendre que de nouvelles solutions, celles qui seraient induites par une politique du “logement d’abord”, soient opérationnelles, un “rebasage” et un redéploiement territorial des financements publics concernant les centres d’hébergement sont mis en œuvre. On commence par déshabiller Pierre pour habiller Paul. La direction générale de la cohésion sociale a bien décidé depuis deux ans de réduire, par le biais des financements, le nombre des places pérennes d’hébergement d’insertion. Cette politique se traduit dans un premier temps par le non-remplacement de professionnels partant à la retraite, augmentant la charge d’accompagnement de ceux qui restent. Mais l’accélération des diminutions de crédits, annoncées dans certaines régions même si les échéances électorales les reportent, va entraîner inévitablement des plans de licenciements, et une diminution des capacités de prise en charge : il ne s’agit pas d’un glissement progressif d’un dispositif à un autre, mais bien de la destruction non seulement en termes de capacité d’accueil, mais surtout en termes de capacité d’accompagnement social de ce secteur de la cohésion sociale.

Et cela dans un temps où l’on constate une montée du chômage, une augmentation du coût des loyers et des charges sans parler de celui de l’énergie, circonstances qui mettent à la rue par pauvreté nombre de personnes (3), on choisit cependant de réduire le financement public des centres d’hébergement de réinsertion, dont l’inspection générale des affaires sociales et celle des finances ont constaté la sous-dotation. Ces réductions ont commencé par des régions définies comme surdotées sur des critères plus que contestables. S’y ajoute la fongibilité de ces enveloppes budgétaires qui fait que les financements destinés aux centres d’hébergement sont réaffectés vers le financement de structures où l’accompagnement social est très réduit, ou encore, suivant les années, vers celui de l’accueil hivernal – dit “d’urgence” – dont les besoins explosent et dont nous contestons tant l’efficacité que les conditions qui ne respectent pas les dispositions du code de l’action sociale et des familles.

On déconstruit le filet ultime de l’accueil et de l’accompagnement des personnes les plus fragiles, filet pourtant légitime en droit dans notre pays, dans un contexte de chômage qui augmente mécaniquement le nombre de celles qui doivent, faute de cet accueil, recourir aux aides privées des associations de solidarité qui font appel aux dons.

Un engagement solennel et explicite des candidats

Ce réseau des centres d’hébergement d’insertion, aussi imparfait qu’on le prétende, répond à une nécessité sociale actuelle bien réelle (plus de 90 000 personnes y sont accueillies chaque année): il joue un rôle évident dans la cohésion sociale. Pour ce qui est de la mise à l’abri “hivernale”, exigeons par respect des personnes concernées que cessent ses mises à la rue quotidiennes. Exigeons encore fermement la non-suppression en fin de saison hivernale des lieux d’accueil actuels. Exigeons aussi la prise en charge des accompagnements que nécessite la situation sanitaire, sociale et économique de ces personnes : il ne s’agit là que de respecter la loi !

Il nous faut, sur ces points, un engagement solennel et explicite, non seulement des candidats à la présidence de la République, mais aussi de tous les candidats à la députation sur nos territoires pour que soient mis en place tous moyens de prévention permettant d’éviter à tous ces mises à la rue qui séparent les familles et cassent les personnes, physiquement et moralement.

L’aide sociale, dont certains parlementaires actuels dénoncent la nécessité pour l’Etat d’en être le garant et d’en assumer le coût, est bien un investissement collectif participant par son rôle sécuritaire et redistributif à une égalité et à une fraternité républicaines. »

Contact : jp.gille@laposte.net

Notes

(1) Voir ASH n° 2745 du 3-02-12, p. 5.

(2) Voir ASH n° 2747 du 17-02-12, p. 9.

(3) L’augmentation du nombre de personnes sans domicile entre 2001 et 2010 est évaluée à 75 % par la Fondation Abbé-Pierre et la Cour des comptes.

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