Recevoir la newsletter

« LA CIGARETTE EST SOUVENT LA DERNIÈRE COMPAGNE DES PERSONNES PRÉCAIRES »

Article réservé aux abonnés

Alors que les pouvoirs publics luttent contre le tabagisme, « fléau sanitaire », depuis bientôt 40 ans, ces efforts n’ont pas eu le résultat escompté : si l’on fume moins chez les cadres, ce n’est pas le cas parmi les populations précaires. Patrick Peretti-Watel, sociologue à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), publie une enquête sur ce sujet (1).

Pourquoi vous être intéressé à « la cigarette du pauvre » ?

La lutte contre le tabagisme est l’une des priorités de santé publique en France comme dans la plupart des pays développés. Une autre priorité est la réduction des inégalités sociales de santé. Or on se rend compte qu’en augmentant le prix des paquets, en interdisant la vente aux mineurs et de fumer dans les lieux publics et en lançant des campagnes médiatiques antitabac de plus en plus musclées, l’écart se creuse entre les classes sociales : le tabagisme a baissé chez les cadres et, dans une moindre mesure, chez les ouvriers, alors qu’il a augmenté parmi les chômeurs. Environ un tiers des adultes fument en France, mais c’est le cas de plus de 50 % des personnes sans emploi ! Cette pratique, qui était « démocratique », se concentre désormais sur les populations les plus précaires !

Comment l’expliquez-vous ?

D’abord, la cigarette – même si les tabacologues le contredisent – est perçue par les fumeurs comme un anti-stress. Dans les populations précaires, qui subissent un stress socio-économique, elle est considérée comme un des moyens légitimes de s’accorder un moment de détente. Il existe aussi un problème « temporel ». Les campagnes de prévention demandent aux fumeurs d’arbitrer entre le plaisir immédiat que la cigarette leur procure et les effets délétères sur leur santé sur le long terme. Or les personnes précaires se projettent peu dans l’avenir. Quand on n’a pas de logement, pas de travail, pas de loisirs, on ne prend pas au sérieux ces menaces futures. C’est là qu’apparaît un problème de défiance général vis-à-vis des pouvoirs publics et des autorités sanitaires. L’indifférence, voire la méfiance, face aux messages de prévention est un obstacle à l’arrêt. Enfin, il y a l’ennui. La cigarette est souvent la dernière compagne, un substitut au lien social. « C’est tout ce qui me reste », m’ont dit des fumeurs…

Mais comment font-ils face à la hausse des prix ?

Plus de 15 % des fumeurs consacrent 20 % de leur revenu à l’achat de cigarettes. La hausse des prix paupérise donc les fumeurs qui ne renoncent pas à fumer. Pour préserver le poste budgétaire alloué à la cigarette, les personnes en situation précaire savent se débrouiller : elles rognent sur leurs autres dépenses – habillement, alimentation – demandent plus souvent des cigarettes à des passants, se mettent aux cigarettes roulées, essaient de se fournir sur Internet, sur le marché noir et à l’étranger. Gardons enfin en tête que l’arrêt n’est pas facile : prise de poids, stress, peur de devenir désagréable avec ses proches… Ce « coût » est fortement perçu par les fumeurs.

Quelles solutions préconisez-vous ?

Je ne pense pas qu’il faille stopper la hausse des prix. Au contraire, il faut qu’elle reste régulière et importante car elle donne quelques résultats. Mais cela ne suffit pas. Il faut combiner cette mesure avec des actions d’aide à l’arrêt. Déjà en débloquant des moyens pour aider les gens à arrêter de fumer et réduire leur défiance. Il faudrait qu’une partie des recettes fiscales de l’augmentation du prix (environ 12 milliards d’euros par an) soit aiguillée vers des actions de prévention et que ce soit clairement affiché. Je pense aussi à des actions de proximité. La lutte anti-tabac ne peut pas se borner à de grands posters et à des messages nationaux. L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé envisage de mettre en place, pour des professionnels de la prévention « de terrain », des filières de formation à l’aide à l’arrêt avec des entretiens en face à face. Enfin, de façon plus générale, puisque le chômage, les mauvaises conditions de logement ou le manque d’équipements de loisirs sont favorables au tabagisme, les politiques améliorant le cadre de vie et développant le marché de l’emploi sont susceptibles de créer des conditions indirectes favorables à l’arrêt.

Notes

(1) La cigarette du pauvre – Enquête auprès des fumeurs en situation précaire – Patrick Peretti-Watel – Ed. Presses de l’EHESP – 21 €.

Questions à

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur