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Station d’accueil

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Dans le XIVe arrondissement parisien, Les Enfants du canal ont installé un accueil de jour dans un bus à impériale. Dotée d’une équipe composée de travailleurs sociaux, de travailleurs pairs et de bénévoles, cette structure innovante accueille des personnes sans abri souvent très isolées.

A Paris, en face du 17, rue Froidevaux, entre bâtiments Art déco et cimetière, est installé un drôle de bus à impériale. Habillé d’un trompe-l’œil évoquant la façade d’un immeuble cosy et accueillant, avec des commerces de rez-de-chaussée et des habitations au premier, il est enrichi de références aux principes fondamentaux de la République. Quatre jours par semaine, le Busabri ouvre ses portes aux personnes sans domicile, dès 8heures. Chaque journée débute par l’installation du groupe électrogène ronflant qui alimentera le dispositif jusqu’à 18 heures. Les deux ou trois premiers habitués patientent, avant de prendre place sur les sièges du bus spécifiquement aménagé. Au rez-de-chaussée, un espace de convivialité, avec une kitchenette et des tables pour jouer à un jeu de société, discuter, lire le journal… A l’étage, en haut d’un étroit escalier, le petit bureau de l’assistante de service social qu’une cloison sépare d’un espace de réunion où se tiennent des activités d’animation. Aujourd’hui, Maurice Boisset, l’un des agents d’accueil, prépare le café pour tout le monde. « J’ai été dans la rue, moi aussi, et on m’a accueilli. Alors maintenant, c’est bien que j’aide les autres à mon tour », explique-t-il. Car le Busabri n’est pas un simple accueil de jour, c’est aussi un chantier d’insertion pour huit personnes qui ont elles-mêmes expérimenté la vie de sans-domicile fixe et ont entamé un parcours d’insertion.

Dans le sillage des Don Quichotte

Le dispositif a été créé en 2009 par l’association Les Enfants du canal (1), elle-même issue des Enfants de Don Quichotte (2). Réunissant des travailleurs sociaux, des sans-abri, des militants du droit au logement, elle s’est fixé pour objectif d’élaborer des structures innovantes pour l’accueil, l’accompagnement et le logement des personnes sans domicile ou mal logées. Un centre d’hébergement et de stabilisation de 20 places a d’abord été créé dès 2007. « Au cours de la mobilisation des Don Quichotte sur les bords du canal Saint-Martin, on s’était aperçu que les sans-domicile qui s’investissaient dans l’action avaient repris leur vie en main, résume Cédric Lautard, chef de service du Busabri, titulaire d’une licence professionnelle d’intervention sociale. Alors on s’est dit : pourquoi ne pas créer des postes de travailleurs pairs, à l’image de ce qui peut se faire au Canada dans le domaine de la toxicomanie ou de la santé mentale ? » L’association a donc ouvert un premier accueil de jour dans la résidence du centre d’hébergement et mis en place des équipes de maraude, ces deux dispositifs étant animés par d’anciens SDF. « L’accueil de jour n’a pas fonctionné, reprend Cédric Lautard. Il y avait une proximité trop grande entre les agents d’accueil et les habitants du centre de stabilisation. Ils étaient dans une dynamique d’insertion trop proche et la relation risquait de se transformer en rapport de pouvoir ou d’autorité de la part du travailleur pair. » Par ailleurs, ces pairs étaient issus du combat mené par les Don Quichotte. « Ils avaient vraiment l’idée que l’intervention des travailleurs sociaux était inadaptée et qu’ils pouvaient faire eux-mêmes l’accompagnement, en mieux. »

A la faveur d’un déménagement du centre d’hébergement et de stabilisation, l’accueil de jour disparaît donc de la résidence. Mais en parallèle le projet du Busabri maintient le principe d’un accueil réalisé par des travailleurs pairs. « Là, nous avons mieux défini leur positionnement, précise le chef de service. Les travailleurs pairs sont des médiateurs, et non des travailleurs sociaux. Ils sont présents pour faciliter le lien, voire l’instaurer. Mais ce n’est pas à eux que revient le diagnostic d’une situation, ni l’orientation ou l’accompagnement social. » Au départ, les travailleurs pairs sont embauchés sous la forme d’un contrat d’accompagnement dans l’emploi et, à partir de janvier 2011, le projet est transformé en chantier annuel d’insertion avec un financement du conseil général et de l’Etat. « Il est également précisé dans le contrat de ces salariés qu’ils sont dans un projet d’accompagnement vers un projet professionnel différent de la fonction qu’ils occupent actuellement. » Enfin, ils sont orientés par Pôle emploi et aucun ne fait partie du programme d’hébergement des Enfants du canal, ce qui permet de marquer une distance avec les usagers qu’ils côtoient. Il n’en demeure pas moins que le dispositif a été créé pour répondre à la demande de personnes qui s’étaient retrouvées dans l’aventure des Don Quichotte, rappelle Anne-Lore Leguicheux, assistante de service social. « Ce sont elles qui ont demandé la création de ce type d’outil, un dispositif où les travailleurs sociaux mettraient un pied dehors et les SDF un pied dedans. » Un pari réussi, aux yeux d’Annabelle Echappé, assistante sociale au sein de l’association Aux captifs, la libération, qui a eu l’occasion d’assurer le suivi social de personnes passées par le Busabri. « C’est vrai que la différence avec les autres organisations, c’est la proximité de cette équipe avec les usagers », reconnaît-t-elle.

Pour l’heure, un bus sédentarisé

Chaque matin, dans le Busabri, une équipe de maraude se met en place. Etrangement, pour ce qui se voulait au départ un accueil de jour mobile, le Busabri s’installe toujours au même endroit. « Il nous a d’abord fallu créer un repère », remarque Cédric Lautard. En outre, trouver un espace de stationnement n’est pas chose aisée, surtout avec le groupe électrogène qui peut constituer une gêne pour les riverains. « Pourtant, je reste persuadé qu’un jour le bus sera réellement mobile, assure Christophe Louis, directeur des Enfants du canal. Il ne circulera pas avec des gens à son bord, mais il pourra s’installer dans différents endroits en fonction des jours de la semaine. »

Ce jeudi, Cédric Lautard est de sortie avec Maurice Reculard, un agent d’accueil et travailleur pair. Ils descendent l’avenue du Général-Leclerc et y rencontrent Emile, un homme déjà hébergé par l’association. Quelques mots sont échangés, par courtoisie. Après s’être éloigné, Cédric explique à Maurice : « Cette personne est déjà suivie au centre de stabilisation, elle a un référent, donc ce n’est pas la peine d’insister, elle n’a pas besoin de notre accompagnement. » Les maraudes restent la principale méthode pour aller au-devant des personnes vivant dans la rue, les inviter à fréquenter l’accueil de jour, voire initier un suivi social pour ceux qui refuseraient absolument de passer au bus. « Au fur et à mesure que le chantier d’insertion avance dans l’année, l’objectif est que les maraudes soient réalisées par les travailleurs pairs et les jeunes en service civique, sans la présence d’un travailleur social », indique Cédric Lautard, Plus loin, en pénétrant dans un square, les deux hommes voient Eric. Une canette de bière à la main, l’homme affiche un œil gauche tellement tuméfié que les paupières ne s’ouvrent plus. Il s’est fait agresser dans la nuit et voler une partie de ses affaires. « Je l’ai emmené à l’Hôtel-Dieu, explique son compagnon. Mais il n’a pas voulu attendre. » Il est à peine 9 heures du matin. La maraude doit s’interrompre pour l’accompagner immédiatement aux urgences. Cédric Lautard appelle ses contacts à l’hôpital Cochin pour tenter de le faire admettre rapidement. Avec Maurice Reculard, il cherche ensuite à convaincre Eric. Finalement, le trio prend la direction de l’hôpital. « Moi j’ai soif. Je vais pas attendre des heures », se plaint régulièrement le blessé, pour manifester sa volonté de quitter la salle d’attente. Rapidement, un médecin vient indiquer les examens à réaliser, puis Eric est admis de l’autre côté des portes automatiques. Maurice Reculard l’accompagne, afin de s’assurer qu’il ne reparte pas avant d’avoir été examiné et soigné. Pendant ce temps, Cédric retourne au Busabri. Il est 10 h 45 et l’accueil de jour est plein.

Le bus reçoit quotidiennement une soixantaine de personnes. Certaines n’y entrent qu’un moment, d’autres y retournent plusieurs fois dans la journée. D’autres, encore, restent du matin jusqu’au soir. « On vient, on passe le temps, on boit un café », résume Aïssa, 38 ans, qui vit dans le XVe arrondissement. A ses côtés, Hakim, 19 ans, se trouve là pour la première fois. Elégamment vêtu d’un costume et d’un béret siglé, le jeune homme dépare un peu dans l’assemblée. Volubile, il explique à qui veut l’entendre qu’il n’est vraiment à la rue que depuis un mois, qu’il a perdu ses deux parents et qu’il lui faut absolument une tente pour dormir dehors. « Les centres d’hébergement d’urgence, j’ai déjà donné, merci », conclut-il.

Créer une vraie disponibilité

Outre les travailleurs pairs et l’assistante de service social, l’équipe compte un encadrant technique et une conseillère en insertion socioprofessionnelle présente au siège pour le suivi des agents d’accueil en chantier d’insertion. Trois volontaires en service civique et quelques bénévoles qui proposent des ateliers complètent les effectifs. « Cela peut sembler beaucoup, reconnaît Cédric Lautard. Mais tous les agents d’accueil ne sont pas présents en même temps. » Ils se relaient par équipe de trois, entre les horaires du matin et ceux de l’après-midi. Et parfois certains sont absents pour des raisons de formation liée à leur projet professionnel. Enfin, un ou deux d’entre eux peuvent sortir en maraude ou pour accompagner une personne dans une démarche, comme c’est le cas de Maurice Reculard ce matin. « Mais surtout nous avons voulu avoir un nombre important d’accueillants pour créer une vraie disponibilité », précise le chef de service. La variété des profils des intervenants est également un point clé de la structure : « Cela permet de favoriser l’insertion et de sortir les gens de ce qu’ils ressentent comme le carcan du travail social, résume Christophe Louis. Les jeunes en service civique apportent un dynamisme, une naïveté, un fonctionnement différent. Leur présence donne aussi aux personnes de la rue l’occasion de donner des leçons à leur tour. » La diversité des modes d’intervention est tout aussi importante : « Nous essayons d’avoir le plus de portes d’entrée possibles – des interlocuteurs variés, des ateliers, les maraudes… – pour “accrocher les gens”, leur permettre de se remobiliser et de recréer du lien », explique Anne-Lore Leguicheux. En revanche le lieu offre peu de services concrets : à l’occasion, un duvet peut éventuellement être donné, mais l’aide matérielle n’est pas l’objectif premier du Busabri.

Ce jour-là, parmi les travailleurs pairs, Prosper J.Nkounkou, un ancien joueur de football congolais, discute justement de sport avec quelques usagers du bus. Un volontaire du service civique remplit des mots fléchés avec l’aide de deux accueillis. Pendant ce temps, Maurice Boisset offre des cafés dans des gobelets marqués au prénom des consommateurs. « Parce que ça coûte cher d’en sortir un nouveau à chaque fois, explique celui-ci. Alors on les réutilise dans la journée. » Il note aussi le prénom de chaque arrivant dans un registre et lui demande s’il a besoin d’un rendez-vous avec l’assistante de service social. Celle-ci reçoit sans rendez-vous, deux journées par semaine. Les autres jours, elle peut prendre le temps de réaliser des entretiens plus approfondis. « C’est très important ce qui se passe en bas, comment les travailleurs pairs arrivent à dédramatiser l’image de l’assistante sociale, à faciliter les choses, remarque Anne-Lore. Sans eux, je ne pourrais pas avoir la même qualité de contact. » Les personnes accueillies dans le bus ont été parfois ballottées entre différents services et référents sociaux, avant de « décrocher » complètement de tout suivi social. L’assistante sociale offre donc aux usagers du Busabri la possibilité de réenclencher un suivi ou, lorsque c’est possible, de renouer avec le précédent. Pour certains d’entre eux, elle est l’unique référente. A l’image de Sabine, qui résume simplement : « Les assistantes sociales, je ne les aime pas, à cause de toutes ces histoires d’enfants enlevés à leurs parents qui n’ont rien fait de mal… Y a qu’Anne-Lore qui est bien. » D’autres ne la rencontrent jamais. « Il y a des gens qui fréquentent le Busabri et qui mettent longtemps avant de venir me voir », souligne la professionnelle. En moyenne, elle effectue une soixantaine d’entretiens par mois, sur une file active d’environ 200personnes fréquentant le bus. Ce jeudi, c’est à peine si la jeune femme peut prendre le temps de déjeuner. « La demande principale, c’est évidemment l’hébergement, relève-t-elle. Mais il y a parfois beaucoup de choses à régler avant d’en arriver là : des problèmes de santé, des addictions, des souffrances psychiques… » Les accompagnements sont d’abord orientés vers la réactivation des droits communs (52 % des suivis): domiciliation, couverture maladie, papiers d’identité, revenu de solidarité active, etc. Viennent ensuite l’accès aux soins (18 %) et l’accès aux services tels que bagageries, consignes ou espaces solidarité insertion. En 2010, huit personnes accueillies par le Busabri ont même pu accéder au centre d’hébergement et de stabilisation des Enfants du canal.

Favoriser l’analyse des pratiques

De même que les agents d’accueil doivent progresser vers l’autonomie lors des maraudes, ils sont également amenés, progressivement, à accompagner les usagers du bus dans certaines démarches pratiques. « Les démarches auprès des services administratifs peuvent être angoissantes, rappelle Anne-Lore Leguicheux. Les travailleurs pairs et les volontaires du service civique ont donc la possibilité de les accompagner à la caisse d’allocations familiales, à l’assurance maladie, au commissariat, etc. » Une autonomie qui va grandissant pour les travailleurs pairs, sous l’œil vigilant de Clément Etienne, l’encadrant technique, diplômé d’un BTS en économie sociale et familiale : « A ce stade de leur parcours, après deux mois sur le chantier, les travailleurs pairs maîtrisent bien les règles de l’accueil, la gestion de l’espace collation. Ensuite, il leur faudra développer leur autonomie en ce qui concerne les maraudes, les accompagnements, voire la gestion d’un atelier. » En effet, des animations de type atelier chant, écriture, sorties culturelles sont mises en œuvre, encadrées par un jeune en service civique ou un bénévole. « L’objectif est toujours le même : créer un lien et amener la personne à se dévoiler un peu, souligne Clément Etienne. Et si des choses importantes sont livrées là, ou dans la relation avec un agent d’accueil, cela montre que la confiance s’est instaurée. On peut reprendre le truc avec un travailleur social, mais si on sent que cela ne met pas en danger le travailleur pair, alors on laisse l’accompagnement se poursuivre. »

Pour soutenir les travailleurs pairs, une séance de supervision et d’analyse des pratiques leur est également proposée toutes les deux semaines, animée par une intervenante extérieure. « C’est un temps basé sur ce qu’ils vivent dans leur poste et qui peut faire écho en positif ou en négatif à ce qu’ils ont eux-mêmes vécu. Il s’agit de les aider à sortir d’un mécanisme de pensée fondé sur le ressenti, pour prendre du recul, analyser et avancer. » En outre, le mercredi, jour de fermeture du bus – « afin d’éviter que les personnes sans abri ne fréquentent que ce lieu d’accueil », précise Cédric Lautard –, est consacré à un temps de réflexion en groupe et à diverses sessions de formation.

Autour du véhicule, à la faveur de rayons de soleil printaniers, les personnes accueillies s’égaillent sur le trottoir et les bancs publics installés là. Clément Etienne, relayé à l’hôpital auprès d’Eric par William Gouron – l’un des travailleurs pairs qui a pris son service à 13 heures –, est au téléphone. Inlassablement, il recherche des places d’hébergement pour la nuit à venir, mais la plateforme téléphonique du service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) dysfonctionne et il peine à joindre un interlocuteur. Il est particulièrement attentif à la situation du jeune Hakim… Anne-Lore Leguicheux et lui doivent pouvoir se remplacer sur certaines tâches. L’accompagnement social des personnes accueillies reste néanmoins la spécialité d’Anne-Lore, la formation et la remobilisation professionnelle des travailleurs pairs revenant à Clément Etienne. Il est 17 heures. Clément devrait être parti depuis une heure déjà, mais il est inquiet : William Gouron et Eric ne sont toujours pas rentrés de l’hôpital. Quand, soudain, les deux hommes apparaissent, un sachet de médicaments à la main. Malgré son impatience, Eric a finalement subi tous les examens nécessaires, puis est allé chercher ses médicaments à la pharmacie sous le regard vigilant de William. « Je le lui ai simplement demandé comme une faveur, glisse le travailleur pair avec un petit sourire. Et ça a marché. »

Notes

(1) Les Enfants du canal : 26, avenue de l’Observatoire – 75014 Paris – Tél. 01 53 62 06 65 – lesenfantsducanal@orange.fr.

(2) Voir ASH n° 2487 du 29-12-06, p. 32.

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