Dans un « Rapport 2011 sur la situation des chômeurs, chômeuses et précaires », le Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP) entend rendre compte de l’ampleur de cette réalité sociale et de la difficile reconnaissance de la parole des privés d’emploi.
C’est une pierre de plus à l’édifice de l’organisation de l’expression des personnes privées d’emploi. Pour la première fois, le Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP) publie un rapport sur l’état du chômage en France (1), production collective de bénévoles coordonnée par Robert Crémieux, ancien président de l’organisation.
Objectif : proposer un « support au débat » et permettre une prise de conscience « pour aller vers une amélioration des droits et de la situation des personnes concernées ». Comme il existe des rapports annuels sur d’autres sujets sociaux, « il devenait nécessaire que les chômeurs et précaires, par leurs associations, s’expriment sur leurs conditions de vie, les revenus, la vie sociale et collective, sur l’emploi inaccessible, la mise en concurrence des uns contre les autres pour prendre les rares places existantes, le mensonge de l’assistanat… », explique dans la préface Marc Desplats, président du MNCP. L’idée est d’ores et déjà de renouveler l’exercice chaque année dans une approche participative ouverte aux contributeurs extérieurs.
En une soixantaine de pages, le rapport dépasse donc la mesure statistique pour décrire « un fait social global ». Pour en rendre compte, le MNCP propose de changer de thermomètre : il rappelle que, toutes catégories confondues, y compris les salariés précaires ou en formation, ce sont au total plus de 5 millions de personnes qui sont inscrites à Pôle emploi, contre, selon la DARES, 2 874 000 en décembre 2011, pour la seule « catégorie A » (2). Le total de personnes indemnisées par l’Unedic, du nombre d’allocataires de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) et du RSA, lui, s’élève à 4,6 millions de personnes. Malgré tout, « jamais l’entreprise de stigmatisation des chômeurs n’aura tourné à plein régime comme en 2011 ». A l’inverse, alors que le chômage engendre stress et souffrance individuelle, l’association s’étonne de l’absence de données sur le sujet et du silence autour du suicide des demandeurs d’emploi. Le président de France prévention suicide a notamment proposé la mise en place d’un suivi médical pour les chômeurs « comparable à celui qui est réalisé par la médecine du travail pour les salariés en activité », souligne-t-elle.
Le rapport s’attarde sur la question des ressources des demandeurs d’emploi, « mal renseignée sur le plan statistique ». A côté de ceux qui ne perçoivent rien, des jeunes adultes notamment, les allocataires du RSA, qui comprennent les chômeurs en fin de droit, ont des ressources journalières qui « s’établissaient à partir de 15 € par jour » (pour une personne seule) en 2011, le même montant que pour l’ASS. Il existe « toute une catégorie de chômeurs/ salariés précaires que l’INSEE s’efforce de recenser et qui, selon son portrait social 2011, sont six millions à toucher moins de 750 € par mois », relève-t-il. Selon Pôle emploi, le montant mensuel moyen des allocations de l’assurance chômage était de 1 108 € par mois, soit 37 € par jour. Il est donc « réaliste de considérer que les indemnités versées se situent au niveau du seuil de pauvreté, ou en dessous, pour des centaines de milliers de chômeurs ».
Le rapport fustige encore la convention tripartite Etat-Unedic-Pôle emploi pour la période 2012-2014 (3), qu’il juge inadaptée dans ses objectifs et ses moyens à la crise de l’emploi. Egalement épinglé : l’endettement de l’Unedic, « mise en déficit chronique par les partenaires sociaux qui la gère » au profit « des banques accordant les crédits » mais au détriment des salariés et des chômeurs. « Il vaudrait mieux pour la transparence et la sincérité des activités et des budgets de l’Unedic que les principaux payeurs, salariés et “bénéficiaires” chômeurs, aient leur mot à dire », plaide-t-il.
Si les organisations de chômeurs n’ont pas réussi à être associées aux dernières négociations, leur prise de parole a « marqué des points », notamment par la relance des comités de liaison de Pôle emploi (4). Mais si la direction « continue à ne pas entendre les propositions formulées, si les comités de liaison n’obtiennent rien en matière d’accueil, d’écoute, alors les participants auront le sentiment d’avoir servi de caution. L’année 2012, qui coïncide par ailleurs avec la prise de fonction d’un nouveau directeur général, Jean Bassères, sera décisive de ce point de vue. » Signe inquiétant cependant : l’existence de ces instances « a disparu » du rapport 2010 du médiateur de Pôle emploi, Jean-Louis Walter, successeur de Benoît Genuini, qui avait démissionné après un premier rapport très critique sur le service rendu aux usagers. Ce bilan, qui faisait état de 15240 saisines en 2010 – un chiffre considérable « s’agissant de personnes souvent en souffrance sociale » – rejoint pourtant le constat des associations sur un point, « l’insécurité juridique » des chômeurs, souligne le MNCP. En cause : les complexités administratives, difficulté « qui rejoint par ailleurs le problème général de l’accès aux droits des personnes en difficulté ».
Selon l’association, les régions (sur la question des formations, encore trop difficiles d’accès), les départements, l’Unedic et l’Etat doivent organiser le dialogue avec les chômeurs et précaires. Ces derniers commencent à se faire entendre, notamment via le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, ou par le Sénat et le Conseil économique, social et environnemental qui les a auditionnés. Un pas important, estime le MNCP : « Faire du chômage un cas à part, en marge de la société, revient à se priver des possibilités de mieux comprendre la crise sociale. »
(1) Disponible sur
(2) Demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, sans emploi.
(3) Voir ASH n° 2730 du 28-10-11, p. 14.
(4) Voir ASH n° 2746 du 10-02-12, p. 13.