Quel bilan dressez-vous de la mise en œuvre de la loi du 4 mars 2002 ?
Ce texte a constitué une étape décisive. Ses principes ne sont plus remis en cause, alors qu’ils avaient été fortement débattus. Il n’est pas si fréquent qu’une loi puisse être regardée, dix ans après sa promulgation, comme un droit normal et légitime. Toutefois, en transformant le droit applicable, la loi de 2002 a fait apparaître des insuffisances et des inégalités importantes. C’est la raison pour laquelle il faut aujourd’hui la remettre sur le métier.
Quelle était alors la motivation pour mettre ce texte en chantier ?
Il s’agissait de l’aboutissement d’une longue évolution de la société, marquée par la montée en puissance des associations de malades et d’usagers du système de santé à travers des actions déterminantes et emblématiques telles que la lutte contre le sida ou encore le Téléthon. Ces associations ont imposé la place des malades dans le débat. Il faut aussi citer le processus d’humanisation des hôpitaux, qui s’est déroulé à partir des années 1950 et a abouti à la charte du patient hospitalisé en 1974. Une troisième clé est l’évolution jurisprudentielle considérable de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat dans les années 1990, qui a révolutionné pendant une décennie le droit à l’information dans le domaine de la santé. Enfin, la loi du 4 mars 2002 s’appuie sur une ambition politique portée par plusieurs ministres – Claude Evin, Martine Aubry et Bernard Kouchner – au sein des cabinets auxquels j’ai collaboré.
Quelles sont les dispositions majeures de la loi ?
Le premier volet concerne les droits individuels des usagers du système de santé. Le législateur a souhaité consacrer un droit d’accès direct au dossier médical, un droit à la protection de la dignité et un droit à la codécision, c’est-à-dire au fait qu’une personne puisse prendre des décisions pour sa santé avec son médecin. Le deuxième volet porte sur les droits collectifs, tels que la reconnaissance du rôle des associations de malades et d’usagers. Il s’agissait de les faire bénéficier d’un certain nombre de prérogatives, comme le droit à la formation ou le congé de représentation, pour siéger notamment dans les conseils d’administration des hôpitaux. Ces associations se sont également vu reconnaître la capacité d’agir en justice auprès des victimes d’erreurs médicales. Ces droits collectifs allaient jusqu’à la participation des associations à l’élaboration de la politique de santé, mais cette disposition n’a jamais été appliquée, ce qui est fort dommage. Le troisième volet de la loi porte sur la qualité du système de santé, le premier droit des patients étant évidemment d’être bien soigné. Il comporte diverses dispositions passées un peu inaperçues en 2002, comme des règles déontologiques de prévention des conflits d’intérêts. Enfin, le dernier volet concerne l’indemnisation des accidents médicaux fautifs et de l’aléa médical.
La loi a-t-elle réellement fait progresser le droit à l’information ?
En consacrant la jurisprudence existante, mais aussi en allant au-delà, elle a en particulier permis, ce qui n’était pas possible auparavant, un accès direct au dossier médical par les patients, tant en ville qu’à l’hôpital. Jusqu’alors, il existait un filtre entre le patient et son dossier, alors que peu d’informations sont plus intimes que celles sur la santé. On peut dire que la loi de 2002 a inversé la charge de la preuve. Auparavant, le malade devait justifier sa demande d’information. Aujourd’hui, c’est au soignant de s’expliquer s’il rechigne à la donner. Bien sûr, il reste des difficultés d’application. On observe parfois des délais de trois semaines, voire un mois, pour avoir accès à son dossier, alors que la loi prévoit un délai de huit jours, au plus, lorsque le dossier est récent.
Faut-il développer ce droit à l’information au-delà des seules données médicales ?
Sur ce point, notre pays n’est pas très en avance. Le texte de 2002 contient déjà des dispositions sur le coût des soins mais l’information sur la qualité du service de santé et sur les tarifs reste à renforcer. Le succès des palmarès des hôpitaux et des cliniques, qui fleurissent régulièrement dans la presse, montre à quel point elle n’est pas assurée par les pouvoirs publics. Il est assez difficile de s’y retrouver et un effort important devrait être réalisé en la matière. Il s’agit d’une avancée qu’il faudrait envisager dans la perspective d’un renforcement de la loi.
Selon les associations, la représentation des usagers a peu progressé. Partagez-vous cette analyse ?
Il serait faux d’affirmer qu’il n’y a pas eu de progrès mais il est certain que, d’une région à l’autre, les moyens dont disposent les associations restent très disparates. La loi les a invitées à siéger dans de nombreuses instances mais, pour assurer cette représentation, elles ont besoin de gens disponibles et formés. Or il y a une quasi-absence de financements publics à cet égard. Si l’on veut que la démocratie sanitaire vive, il faut assurer ce financement. C’est l’une des raisons pour lesquelles je crois nécessaire de repenser la loi. Par ailleurs, je n’observe pas d’opposition de principe de la part des professionnels de santé. Au contraire, les associations d’usagers étant favorables à la défense des institutions de santé, il peut y avoir une alliance objective avec elles.
Le principe de sécurité sanitaire inscrit dans la loi de 2002 n’a-t-il pas été bousculé par toute une série d’affaires ?
De fait, la loi du 4 mars 2002 rappelle le principe fondamental de toute action médicale – que ce soit pour un médicament, un traitement ou une opération chirurgicale – qui consiste à évaluer les bénéfices et les risques afin de s’assurer que dans chaque cas, en l’état des connaissances, les premiers l’emportent sur les seconds. C’est le véritable principe de précaution en matière de santé, et c’est une difficulté permanente pour les professionnels et les pouvoirs publics car il peut toujours se produire des défaillances graves, à titre individuel ou collectif. Mais la loi ne peut que poser ces principes. C’est ensuite aux pouvoirs publics, à travers des budgets, de la formation continue, des dispositifs de contrôle et de veille, de se montrer suffisamment efficaces.
Faut-il étendre le périmètre de la loi de 2002 ?
Des dispositions portant sur des sujets aussi importants que l’accès au dossier ou à la personne de confiance doivent, de mon point de vue, être appliquées également dans les services et les établissements médico-sociaux. Une personne âgée, un malade chronique ou une personne handicapée peuvent passer d’un secteur à l’autre au fil de leur prise en charge. Les règles doivent donc être identiques entre les deux. Il faut réfléchir à une unité d’approche juridique et technique sur cette question.
Le refus de certains médecins de soigner des bénéficiaires de la CMU n’entre-t-il pas en contradiction avec le principe de non-discrimination énoncé dans la loi ?
Il n’y a pas de doute. Ces refus sont d’ailleurs aussi en contradiction avec la loi instaurant la CMU elle-même. La question des inégalités d’accès au système de santé est au cœur de ma réflexion sur une refonte de la loi de 2002. S’il y a nécessité de revoir ce texte, c’est bien autour des droits sociaux. Il y a dix ans, la CMU, qui venait d’être votée, constituait une avancée importante en matière de protection sociale. Depuis, malheureusement, les problèmes d’accès aux soins se sont considérablement accrus. Les restes à charge, les dépassements d’honoraires, les conditions de remboursement et les inégalités territoriales d’accès aux soins sont autant d’éléments de remise en cause des droits des malades. Une refonte de la loi devrait également comporter des dispositions sur la démocratie sanitaire, le financement des associations mais aussi la possibilité de mener des actions collectives en justice. Il faudrait également permettre l’autonomisation des conférences régionales de santé afin qu’elles ne soient plus dépendantes des agences régionales de santé (ARS). Enfin, les conventions médicales et pharmaceutiques organisant la médecine de ville devraient être élaborées aussi avec l’Etat et les associations de patients. Les volets régionaux de ces conventions devraient d’ailleurs être négociés par les ARS car il n’est pas possible de demander à celles-ci d’organiser l’offre de soins sans moyen d’action sur l’offre de médecine de ville.
Chargé de préparer, de 2000 à 2002, la loi sur le droit des malades auprès de Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé, Didier Tabuteau est aujourd’hui responsable de la Chaire santé à Sciences-Po Paris. Il codirige en outre l’Institut droit et santé de l’université Paris-Descartes. Il a coécrit avec Pierre-Louis Bras un « Que sais-je ? » sur les assurances maladie (Ed. PUF, 2012) et a cosigné le Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire (Ed. Odile Jacob, 2011).